Les journalistes du monde entier ont dû faire face à une nouvelle année difficile pour rendre compte des problèmes urgents d'aujourd'hui. Alors que le monde est toujours aux prises avec la pandémie de COVID-19, les journalistes ont été en première ligne pour couvrir les variants du virus et corriger la désinformation entourant les vaccins.
Ils ont également tenu leurs lecteurs informés des crises telles que l'insurrection du 6 janvier aux États-Unis ou la reconquête de l'Afghanistan par les Talibans, parmi beaucoup d'autres. Ils ont accompli tout cela dans un contexte de répression grandissante de la liberté de la presse, de la Biélorussie et du Myanmar au Nicaragua en passant par Hong Kong.
Face à ces défis, de nombreux journalistes ont innové afin d'impliquer plus efficacement leur public, découvrant au passage de nouvelles méthodes pour améliorer leurs reportages.
Nous avons discuté avec les lauréats ICFJ Knight de ce que cette année leur a appris et de leurs conseils pour les autres professionnels des médias à l'aube de 2022.
Fabiola Torres
Amérique Latine
Créons de multiples façons d'écouter, et de prêter attention aux besoins des différents groupes qui composent nos communautés. Nous savons que notre travail de développement de l'audience nécessite un effort d'équipe et ne peut être le projet d'une seule personne. Notre équipe chez Salud Con Lupa a lancé de multiples projets pour écouter et recenser les besoins des différents groupes de notre communauté :
- "Les autres patients", une collection d'histoires rapportées par les membres de notre public sur leurs besoins de santé non satisfaits.
- “In Memoriam,” un espace pour le deuil virtuel et collectif des personnes décédées du COVID-19.
- "En première ligne," une collection de témoignages de travailleurs de première ligne luttant contre le COVID-19.
Transformons la façon dont nous faisons du journalisme sur la santé. Nos reportages doivent aider les membres de notre public à comprendre leurs problèmes, tout en les aidant à les résoudre. Pour donner quelques exemples, notre site pourrait présenter une enquête exposant la corruption parmi les responsables de la santé publique, tout en mettant en avant le témoignage d'une personne ayant subi une crise de panique. Les sujets que nous couvrons sont divers, mais notre contenu est ancré sur deux points : il démystifie la santé et la science, et se compose d'histoires auxquelles notre public peut s'identifier.
Investissons dans la santé mentale de notre équipe. Le stress, l'anxiété, la dépression, les troubles du sommeil, de l'alimentation, et le burn-out ne sont que quelques-uns des problèmes de santé mentale dont souffrent quotidiennement de nombreux journalistes qui couvrent la pandémie. Elle a soumis les professionnels des médias à une pression sans précédent, mettant à l'épreuve leurs conditions psychosociales et les capacités des rédacteurs en chef et des directeurs à identifier et à soutenir leurs équipes.
[Lire aussi : Les Prix Nobel de la paix 2021 mettent en lumière le rôle du journalisme face à l’autoritarisme]
Hannah Ajakaiye
Nigéria
Le besoin d'informations crédibles alors que le monde combat la pandémie de COVID-19, ainsi que la montée de l'autoritarisme sont des questions importantes que les médias doivent [traiter] en 2022.
Je conseille aux vérificateurs de faits et aux responsables des médias d'expérimenter de nouveaux formats pour atteindre les gens avec des informations vérifiées sur les plateformes de réseaux sociaux. Essayer de nouveaux formats tels que le contenu audio et humoristique pour le fact-checking et l'éducation aux médias est un moyen optimal d'atteindre un large public. Pour combattre la désinformation à l'avenir, il est nécessaire de tenir compte des nuances locales et des habitudes de consommation de l’information propres à chaque contexte culturel. À cela s'ajoute la nécessité de privilégier les solutions non technologiques pour atteindre les publics mal desservis.
Avec les préparatifs des élections dans des pays comme le Brésil, le Nigéria, le Kenya et les Philippines, le développement de compétences pour enquêter sur les plateformes numériques est vital pour les journalistes en 2022. Des cas de propagande informatique et des campagnes de désinformation sexiste à grande échelle sont susceptibles d’être très présents dans certaines de ces élections. La familiarisation avec l'open source intelligence (OSINT), un domaine d'investigation utilisant des informations accessibles au public, est primordiale pour les journalistes qui veulent combattre la désinformation autour des élections dans ces pays.
Sérgio Spagnuolo
Brésil
Le journalisme a besoin d'innovation, et rapidement. Alors que les entreprises de réseaux sociaux lancent de nouveaux produits et formats pour dominer le monde du contenu, le journalisme résiste. Il est toujours lié aux mêmes vieilles recettes : blocs de texte, galeries de photos, éditions imprimées.
Ces recettes fonctionnent et sont efficaces pour transmettre des informations complexes à des publics très engagés. Mais nous n'avons toujours pas trouvé de meilleur moyen de diffuser des informations à des publics plus jeunes et nous n'avons pas créé de meilleure approche pour les produits numériques.
D'après mon expérience, voici quelques domaines qui pourraient permettre au journalisme de rattraper ses concurrents de la tech :
- Le développement d'applications a été un moteur essentiel pour les grandes rédactions du monde entier. Il donne plus de liberté aux organisations pour monétiser et expérimenter avec leur contenu. En même temps, il fait entrer la technologie dans le monde du journalisme, non pas comme un complément, mais comme partie intégrante du journalisme lui-même.
- L’agrégation d’informations a une grande valeur, mais elle ne peut pas être entièrement réalisée par des machines. Pour une qualité optimale, les journalistes doivent y jouer un rôle à part entière.
- Essayez d'atteindre votre public où qu'il se trouve, tout en le dirigeant vers votre site web autant que vous le pouvez. Le nombre de pages vues et de visiteurs uniques est un indicateur important, mais générer des actions et un impact l’est bien plus encore.
[Lire aussi : Assumez votre côté "nerd" et améliorez vos reportages]
Rawan Jayousi
Afrique du Nord et Moyen Orient
La liberté et l'indépendance des médias sont confrontées à des menaces croissantes et à des défis sans précédent dans le monde entier. Les multiples changements rapides qui ont émergé dans nos sociétés, du moins au cours des deux dernières années, me permettent d'affirmer sans crainte que c'est notre rôle, en tant que journalistes, de suivre la voie du changement et de faire de notre mieux pour que notre travail soit une vertu et non un vice.
Mon conseil aux journalistes en 2022 est de commencer à innover le plus tôt possible. Pour moi, choisir de lancer un incubateur de nouveaux médias pendant la pandémie n'a pas été une décision facile. Mais mon moteur était de protéger la profession dans la région en créant un écosystème médiatique qui aide les jeunes femmes journalistes à trouver de nouveaux moyens et de nouvelles solutions pour créer leur start-up média. Cette année, j'ai beaucoup appris et j'ai compris qu'il était crucial de mener davantage de recherches sur le journalisme dans la région arabe si nous voulons sauver les médias existants et en soutenir de nouveaux.
Cela dit, je pense que, dans un monde devenu virtuel, avec les difficultés actuelles et émergentes auxquelles est confronté le journalisme, l'inégalité entre les sexes et le chômage des jeunes journalistes, de nouvelles solutions doivent être créées.
L'avenir n'est plus très loin. C'est pourquoi l'innovation et la numérisation ne sont plus un luxe.
Photo de Rina Filatova sur Unsplash.
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