Couvrir le séisme en Turquie et Syrie : les journalistes témoignent et vous conseillent

15 févr 2023 dans Reportage de crise
Une photo d'une pelleteuse et des sauveteurs travaillant dans les décombres

Le séisme de magnitude 7,8 qui a secoué la Turquie et la Syrie le 6 février a fait au moins 36 000 morts et des milliers de blessés. Les rédactions et les journalistes sont en première ligne pour couvrir les ravages de la catastrophe, tout en se servant des réseaux sociaux pour partager les noms des personnes disparues et les coordonnées des organisations d'aide d’urgence.

J'ai discuté avec des journalistes en Syrie, en Turquie et au Liban de leurs expériences pendant et après le tremblement de terre. Ils m’ont parlé de la manière de rendre compte du séisme de manière responsable, de vérifier les informations qui circulent et m’ont expliqué pourquoi il est important de collaborer en temps de crise.

 

Photo des dégâts au nord de la Syrie, prise par le journaliste Rami Muhammad
Photo des dégâts au nord de la Syrie, prise par le journaliste Rami Muhammad

 

Être témoin de la catastrophe

Les journalistes, tant en Turquie qu'en Syrie, ont été directement touchés par le séisme. "Je me suis réveillé terrifié, car j'avais l'impression que le monde tremblait de partout, et j'ai quitté notre maison avec mes enfants et ma femme car je pensais qu'il pouvait s'agir d'un tir de missile", raconte le journaliste syrien Ahmed Orabi, qui se trouvait avec sa famille à Al-Atarib, à Alep, en Syrie, lorsque la catastrophe a eu lieu. "L'électricité a été coupée dans la maison et nous avons passé environ six heures dans ma voiture. Il pleuvait, nous avons entendu le bruit des bâtiments effondrés et senti l'odeur de la destruction."

Toujours à Alep, la journaliste syrienne indépendante Haneen Al-Sayed, décrit ainsi cette nuit tragique : "J'ai eu peur et j'ai couru dans la rue avec mes enfants, mon mari et ma mère. Des pierres nous tombaient sur la tête ; l'étage supérieur de notre maison s’effondrait."

Alors même que les journalistes faisaient partie des personnes touchées, beaucoup se sont empressés d'apporter leur aide après le séisme. Rami Muhammad, un autre journaliste syrien, a aidé à sauver des victimes piégées sous les décombres. "L'étendue des dégâts est effrayante ; à première vue, on a l’impression d’être entré dans une zone visée par des bombes atomiques", dit-il.

Ali Al Ibrahim, journaliste d'investigation et cofondateur de Syrian Investigative Reporting for Accountability Journalism (SIRAJ), raconte qu’il a perdu des proches dans le tremblement de terre : "Mon oncle, sa femme et leurs trois enfants sont restés 42 heures sous les décombres jusqu'à ce qu'ils meurent tous."

 

La vie de Bisnia dans la région rurale d’Idlib, en Syrie, prise par le journaliste Ahmed Orabi
La vie de Bisnia dans la région rurale d’Idlib, en Syrie, prise par le journaliste Ahmed Orabi

Les médias et les articles humanitaires

En Syrie, qui a reçu peu d'aide internationale à la suite du tremblement de terre, les citoyens se sont mobilisés pour rechercher des personnes au milieu de centaines de bâtiments effondrés, raconte Khalil Ashawi, un photographe de Reuters et cofondateur de Frontline in Focus. Les parents de M. Ashawi ont été pris au piège sous les décombres à Antakya, en Turquie, pendant deux jours avant d'être retrouvés vivants.

Après s'être assuré que les membres de son équipe, basés en Syrie, étaient en sécurité, M. Ashawi leur a demandé de documenter le séisme avec des photos aériennes et des histoires centrées sur l'humain. Internet et l'électricité étant largement coupés en Syrie, d'autres membres de l'équipe se sont rendus à la frontière du pays pour télécharger le contenu sur le site web et les réseaux sociaux.

Hadil Arja, fondatrice de Tiny Hand et cofondateur de Frontline in Focus, conseille aux journalistes de faire de leur mieux pour rester professionnels dans leurs reportages sur les conséquences traumatisantes de la catastrophe. "Les journalistes en Syrie et en Turquie doivent avoir la volonté et la détermination de rapporter les événements et les faits avec un professionnalisme et une objectivité extrêmes", insiste-t-elle. "[Ils] devraient rendre compte de la souffrance des gens et écrire des histoires humanitaires pour faire résonner les voix des personnes touchées."

 

Les dégâts sur la voiture de la journaliste Haneen Al-Sayed
Les dégâts sur la voiture de la journaliste Haneen Al-Sayed

Vérifier les informations

Les fausses informations prolifèrent lors des catastrophes naturelles, avertit Joyce Hanna, fact-checker à l'AFP. "Les diffuseurs de fake news profitent des catastrophes aux photos humaines choquantes, comme un enfant pleurant après avoir perdu sa famille et des images d'enfants sous les décombres", déplore-t-elle. "Les fomenteurs de rumeurs repostent d'anciennes vidéos terrifiantes sorties de leur contexte pour inciter les utilisateurs à les partager sur les réseaux sociaux."

Depuis le séisme, l'équipe de Mme Hanna s’est servie de méthodes telles que la recherche d'images inversée et le démontage de vidéos en images fixes pour vérifier si les contenus multimédia publiés sur Internet sont récents ou issus de catastrophes passées.

"Nous nous appuyons également sur notre expérience journalistique, comme l'ajout de mots-clefs pour vérifier les informations, et la limitation de la recherche à une période spécifique, en plus de contacter nos correspondants dans le monde entier pour garantir l'authenticité des informations et des images", ajoute Mme Hanna. "Lors de catastrophes et de tremblements de terre, ne publiez pas de photos et de vidéos avant d'avoir vérifié leur crédibilité, afin d'éviter la propagation de rumeurs."

 

Photo d’Haneen Al-Sayed
Photo d’Haneen Al-Sayed

Communiquer les faits et les chiffres

Mostapha Raad, journaliste pour Scientific American, a couvert les répliques ressenties par les Libanais à la suite du tremblement de terre initial. "Je me suis concentré sur la magnitude du séisme et son impact sur le Liban et les pays voisins", explique M. Raad. "Je partage des informations scientifiques simplifiées sur ma page Facebook, sur des sujets comme les failles sismiques au Liban, pour rassurer les citoyens et [apaiser les craintes]. Je leur indique également ce qu'ils doivent faire pour se protéger."

M. Raad conseille aux journalistes de se référer aux sources officielles pour obtenir des chiffres précis sur les catastrophes naturelles, de vérifier les comptes des experts avant de partager leurs tweets ou leurs posts sur les réseaux sociaux, et de demander conseil aux scientifiques, aux experts et aux centres de recherche spécialisés dans les séismes et les catastrophes naturelles.

Il invite également à garder à l'esprit que la désinformation peut causer du tort aux personnes souffrant de la catastrophe. Ainsi, il faut s'assurer que les chiffres que vous recueillez correspondent aux données présentées par d'autres sources.

 

Photo Khalil Ashawi
Photo : Khalil Ashawi

 

Conseils pratiques pour couvrir le séisme

La journaliste et formatrice syrienne Mais Katt donne les conseils suivants aux journalistes qui font des reportages sur les catastrophes naturelles :

  • Donnez la priorité à votre sécurité ; c'est plus important que d'être le premier à obtenir un scoop.
  • Évitez de vous rendre dans les zones à risque et suivez les règles de sécurité recommandées par les autorités locales et les services de sécurité.
  • Respectez l'éthique journalistique et les normes professionnelles lorsque vous couvrez des catastrophes.
  • Respectez les directives relatives à la publication de photos d'enfants, et respectez la vie privée des familles touchées.
  • Suivez les normes professionnelles lorsque vous interviewez des personnes qui peuvent avoir subi un traumatisme.
  • Vérifiez les informations avant de les publier, car les crises sont un terrain propice à la désinformation.

Image principale de Karem Keelia, un collaborateur de Frontline in Focus. Toutes les photos ont été publiées avec l’accord de leurs auteurs.

Cet article a d’abord été publié sur IJNet en arabe.