Journaliste pigiste, freelance : comment gérer l’inflation ?

Jul 8, 2022 em Etre freelance
Une calculatrice et un carnet avec un stylo

C'est bien connu, pour être un.e pigiste (à peu près) zen, il vaut mieux avoir un peu d'argent de côté. Or, si en temps normal faire des économies est déjà un défi pour de nombreux pigistes, aujourd’hui, avec l’inflation, cela semble encore plus compliqué. "Je ne paie pas de loyer actuellement. Avec mon budget pige et l’inflation immobilière, je galérerais à prendre un appartement. J’ai une amie qui gagne 800 euros par mois, son loyer est de 600 euros… tu t’en sors pas", affirme Simon, pigiste à Nantes. 

"J’ai un temps partiel en CDI dans un média protestant qui m’apporte 800 euros par mois, avant, avec 400 euros de piges en plus je m’en sortais, aujourd’hui, il faut que je fasse 600 euros pour vivre correctement", ajoute pour sa part Victoire, 29 ans. 

"Je le sens quand je fais les courses, j’ai commencé à faire la chasse à toutes les dépenses ‘champagne’", ironise pour sa part Adrien, pigiste TV. Plus d’achats compulsifs de livres, plus de shopping, faire durer le plein et/ou s’octroyer moins de loisirs…. Avec l’augmentation des prix, certains pigistes doivent se serrer la ceinture. "C’est surtout qu’on ressent une ambiance anxiogène, le fait que ça flambe de partout rajoute de l’incertitude", ajoute Déborah 30 ans. 

Baisse des tarifs de la pige 

En France, les pigistes sont payés à la journée, au reportage ou au feuillet. Pour pouvoir prétendre à la carte de presse, ils doivent être payés en salaire. Des conditions d’attribution qui correspondent de moins en moins à la réalité du terrain selon certains journalistes : "les tarifs des piges n’augmentent jamais, alors que le Smic si", regrette Delphine. Or, "le montant minimum des revenus du journalisme pour avoir ou garder la carte de presse est indexé sur le Smic : la moitié du Smic annuel est demandé". Une situation qui ne prend pas non plus en compte le fait que de plus en plus de médias insistent pour payer les journalistes-pigistes en facture pour faire des économies. 

Robin de son côté constate que "les piges ont tendance à baisser en tarif et en nombre". Le journaliste, également photographe, explique qu’il est aujourd’hui payé 228 euros hors taxe pour une journée de travail, alors qu’il y a cinq ans pour le même média et le même travail, il gagnait environ 400 euros hors taxe la journée. Alors, pour s’en sortir, il touche à tout : de la photo, de l’éducation aux médias, du reportage écrit et un peu de “corpo”…Il explique :

"Si je ne m’étais pas diversifié il y a quelque mois, j’aurais arrêté le journalisme" 

Déborah elle aussi, cumule le statut de salarié et d’auto-entreprise et écrit les comptes- rendus et les rapports d’une structure publique pour maintenir ses comptes à flot. Malgré ça et même si elle arrive à vivre de ses piges, elle pioche souvent dans son épargne :

"Les grosses dépenses, ce n’est pas pour moi. Je ne peux pas partir au Vietnam ou aux Seychelles de si tôt et si j’ai besoin de matériel, je fais une collecte auprès de ma famille pour mon anniversaire par exemple". 

Victoire elle, est obligée de compenser en travaillant plus et aussi les week-ends, quitte à sacrifier un peu de ses loisirs :

"On accepte de prendre plus de commandes, des histoires qui ne réinventent pas le journalisme, mais qui permettent de mettre du beurre dans les épinards", affirme-t-elle. 

Manque de reconnaissance 

En plus de devoir proposer sans cesse des articles à différents médias pour compenser la baisse des tarifs et l’inflation, les pigistes doivent également régulièrement se battre pour être payé à temps, en salaire et au bon tarif. "On ne sait jamais quand on va être payé. Quant au prix, je ne me sens pas en position de force alors je négocie pas. J’ai trop peur qu’une collaboration s’arrête", regrette Déborah.

Pour Simon, c’est tout le système de paiement au feuillet qui est à remettre en cause, car le journaliste fait tout un travail de calage, de recherche et de reportage avant l’écriture. Un temps qui n’est finalement pas rémunéré à sa juste valeur. Pire encore, Robin a dû renoncer à partir couvrir la guerre en Ukraine parce que les conditions de sécurité n'étaient pas réunies : "Les rédactions faisaient des économies de tous les côtés, y compris sur la qualité des gilets pare-balles. Ils ne voulaient pas nous payer les frais en liquide avant de partir…", s’indigne-t-il. 

Cette précarité amène parfois les journalistes à remettre en cause leur travail : "En automne dernier, pour un article où j’ai dû me déplacer, j’ai été payée 60 euros ! Ça a été un abîme. Je me suis demandée si j’allais être aussi mal payée toute ma vie. On n’a aucune reconnaissance pécuniaire. Je me suis sérieusement demandée si je n’allais pas arrêter le journalisme", se rappelle Victoire. "J’ai dit à mes employeurs que je ne pouvais pas leur rendre mes papiers tout de suite, je suis beaucoup sortie, ça m’a fait du bien et finalement, je suis revenue avec des idées de sujets et une envie de les faire", ajoute-t-elle. 

Arrêter le journalisme en raison de la précarité semble être comme un bruit de fond chez de nombreux pigistes. Certains, à bout, franchissent le pas, mais d’autres aiment encore trop leur métier pour se réorienter : "Je pense moins à la reconversion qu’il y a quelques années. Finalement, il y a peu de boulots capables de m’animer autant que celui-ci", affirme Adrien. 

Des sacrifices, mais pas trop

Et pour tenir le coup, cela nécessite quelques sacrifices et surtout une certaine organisation : "Le bon conseil, c’est de faire ses comptes, d’anticiper, de lisser sur l’année et surtout de ne pas faire n’importe quoi avec son argent", affirme Simon. Pour Adrien, il est essentiel de définir ce qui est important pour soi et qu’on ne veut surtout pas sacrifier : "Quand tu fais un boulot qui prend toute ta vie, il est nécessaire de ne pas rogner sur tout et s’accrocher à ce qui rend la vie chouette", affirme-t-il.

Victoire confirme : "Je sors beaucoup, ça me permet de rencontrer des gens, je n’ai pas envie de rogner là-dessus", explique-t-elle. Par contre, elle va moins s’acheter de vêtements et se procurer certains livres via le service presse des maisons d'édition. 

Beaucoup de pigistes rechignent à faire de la communication ou des collaborations moins journalistiques, de peur d’entacher leur image : "Ce n’est pas ça qui n’est pas éthique, c’est la situation économique qui nous oblige à le faire qui ne l’est pas", observe Adrien. "Il ne faut pas se sentir coupable de faire un peu de communication, ce n’est pas dévalorisant. N’oublions pas qu’un journaliste mort de faim ne fait pas d’articles", conclut-il. 


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Photo : Ashraf Ali, via Unsplash, Licence CC