Ça commence souvent par un mail ou un message Whatsapp : "journaliste pour tel média, j’ai eu votre contact par untel, je viens dans votre pays et je cherche un fixeur". Si, à cause du COVID-19 et des restrictions de voyage, ce type de propositions a quasiment disparu, elles reviendront et cet article a pour but d’expliquer le rôle du fixeur, les bons et les mauvais côtés de cette activité.
Le fixeur est celui qui accompagne un journaliste, une équipe de tournage dans son pays dont il maîtrise le terrain, les codes, les enjeux. Il peut aussi servir de traducteur. Le terme vient de l’anglais "to fix", arranger, dépanner. Mais quand le fixeur est lui-même journaliste, il fait plus qu’arranger, dépanner.
Le travail du fixeur
Selon le média (presse écrite, radio ou TV), le type de reportage (actu, magazine ou documentaire) et le contexte (dans les pays en conflit, cela mérite un article à part !), il y a des spécificités mais "c’est un énorme investissement humain et éditorial, explique Marie Naudascher, journaliste française au Brésil. Soit le journaliste qui nous sollicite a une idée précise et on lui procure des contacts en piochant notamment dans notre carnet d’adresses, soit il a une idée générale et on donne carrément l’histoire qui sera racontée dans son reportage !".
Emmanuelle Sodji, JRI togolaise qui a enquêté sur le trafic de Tramadol en Afrique de l’Ouest, confirme : "La qualité du reportage dépend de toi, tu trouves les bons personnages, les bonnes séquences". C’est le fixeur qui gère aussi la logistique (véhicule, chauffeur, traducteur, restauration), les demandes d’autorisation et l’emploi du temps.
Le journaliste ou l’équipe viennent pour une durée limitée, avec un certain budget, tout doit donc être calé et selon Marie, "il ne peut pas y avoir de galère, tu as un plan B, un plan C, il faut être un vrai couteau suisse". Capacité d’adaptation et réactivité sont essentielles. En tout cas, il est primordial de bien comprendre les exigences des confrères/consœurs avant leur arrivée et bien s’accorder sur le travail attendu.
Une activité qui permet d'apprendre et de voyager
Si la rémunération est intéressante (au moins 150 euros par jour, plus le remboursement des frais lors de la préparation), ce n’est pas ce qui motive en premier les journalistes-fixeurs. "Côtoyer des aînés expérimentés m’a permis de voir d’autres façons de travailler, j’ai beaucoup appris et je me suis fait des amis", admet Rania Massoud, ex-journaliste à L’Orient Le Jour qui a ainsi parcouru le Liban du nord au sud, de camps de réfugiés aux villages de bord de mer.
Marie cite elle aussi le partage d’expérience et les opportunités de découverte, en particulier lorsqu’on travaille pour des télés et qu’il faut des images : "je suis allée en Amazonie pour un reportage sur les dauphins roses, je ne l’aurais pas fait autrement".
...et de déconstruire des préjugés (ou d'essayer !)
En reportage, les préjugés et les différences culturelles peuvent susciter des tensions. Souvent le journaliste connaît mal le sujet qu’il veut traiter. "Le plus dur, c’est de lui faire comprendre que sur le terrain, la réalité est différente", pointe Emmanuelle.
La JRI souligne aussi une difficulté propre à l’Afrique de l’Ouest : "nos collègues étrangers ne comprennent pas toujours qu’ici, il faut palabrer avec les gens, les mettre en confiance et que beaucoup de choses se décantent au dernier moment".
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Le fixeur doit donc rassurer son "client". Un client qui peut ne pas respecter les codes et les coutumes locales, ou avoir des idées préconçues. Pour Rania, "c’est le plus irritant. Je me souviens d’une consœur qui pensait qu’elle devait avoir le voile au Liban alors que moi je ne le portais pas !".
Les risques
En cas de sujet sensible, d’investigation, le fixeur doit garantir la sécurité. Mais la sienne peut être menacée après la publication ou la diffusion du sujet. "C’est toi qui es sur place, rappelle Marie. C’est ton numéro de téléphone que les interviewés ont !". Elle donne l’exemple d’une personne fortunée qui ne voulait pas montrer le système de sécurité de son domicile. "C’est la première chose que le cadreur a filmée, or j’avais donné ma parole que ça n’apparaîtrait pas". Heureusement, l’épisode n’a pas eu de conséquence fâcheuse.
Autre écueil : si l’utilisation des informations n’est pas honnête, le fixeur va se "griller" auprès de ses sources locales, un réseau qu’il a peut-être mis des années à construire.
L'absence de statut
Marie a arrêté à cause de l’absence de statut. Le fixeur est un collaborateur de l’ombre, sans assurance, ni rémunération fixe, en général payé de la main à la main. "C’est ça le fixing, conclue Emmanuelle. Tu n’existes pas". Il arrive néanmoins que le fixeur existe, qu’il soit cité au générique ou en tête d’article comme un journaliste à part entière, car sans lui, rien n’aurait été possible.
Delphine Bousquet est journaliste, formatrice en journalisme et correspondante de plusieurs médias français au Bénin, lauréate du concours Covering COVID de l’ICFJ. Elle travaille aussi comme fixeure.
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