Le salaire quand on est en poste dans une rédaction est une question importante, mais lorsqu'on est pigiste – on écrit pour différents médias – elle est bien sûr cruciale.
Le journaliste indépendant est soumis à la situation économique des pays où sont situés les médias pour lesquels il/elle travaille. La crise sanitaire mondiale a donc fortement touché les pigistes.
Pour maintenir des revenus réguliers, les journalistes indépendants doivent se soumettre à une bonne discipline professionnelle et personnelle et s'imposer une organisation efficace. Il faut savoir être opiniâtre et patient ; avoir une bonne estime de soi – il arrive de succomber au syndrome de l'imposteur – et beaucoup d'humour pour prendre les bonnes comme les mauvaises nouvelles avec philosophie et se remettre au travail sur un nouvel article.
La gestion de ses revenus quand on est journaliste-pigiste a fait l'objet le 22 juillet du webinaire n°54 dans le cadre du Forum de reportage sur la crise sanitaire mondiale. Quelles sont les clefs et les habitudes financières à adopter pour gérer, de manière efficace, ses revenus de journaliste ? Quelle planification mettre en place pour équilibrer les entrées et les sorties ? Comment les pigistes peuvent maîtriser leurs finances personnelles?
Un webinaire avec Elodie Hervé, journaliste indépendante, cofondatrice du collectif féministe Tu Piges ! Diplômée de l'École supérieure de journalisme de Lille, elle travaille depuis 2015 sur les questions de santé, de discriminations, de migrations, etc. et collabore avec différents médias : Têtu, What's up Doc, Numerama, Mediapart, LCI, etc.
Basée en France, entre Paris et Marseille principalement, Élodie Hervé souhaite parler du statut qu'elle connaît le mieux, celui des journalistes indépendants français, les pigistes. Ils et elles sont salariés : quand on travaille pour une rédaction, on est payé à l'article, en salaire, au pro rata du nombre de feuillets commandés (1 feuillet = 1 500 signes mots, ponctuation et espaces inclus). Le tarif minimum est en général de 53 euros brut le feuillet. La moyenne est autour de 70 euros brut.
S'organiser
Faire un grand tableau Excel ou autre, indiquant pour quel média vous écrivez, combien de signes, la date du rendu, le temps passé sur chaque article et la somme qui doit vous être payée et quand vous devez être payé + des colonnes pour les relances 1, 2, etc. Et une indiquant "Payée".
Avec ceci en tête pour chacun de vos articles, vous avez une idée de ce que vous allez percevoir mensuellement.
Les revenus des pigistes sont très aléatoires : un mois peut être à 500 euros et un autre, plus rarement, à 3 000 euros. Ces revenus sont à relativiser selon le pays dans lequel vous vivez. À Paris, 500 euros par mois, ce n'est pas vivable. Épargnez dès que vous le pouvez en prévision des mois maigres.
Elodie Hervé recommande d'utiliser des applications ou des programmes à la fois gratuits et sécurisés : Open Office, ou drive.
En France, le statut de pigiste permet difficilement de se projeter dans des investissements : vous êtes un salarié précaire, les banques ne vous font pas confiance/ont des doutes sur votre solvabilité en cas d'emprunt à long terme par exemple. Lorsque l'on fait un prêt, il faudra le rembourser et l'intégrer à la case "charges" de vos revenus/dépenses. Comme votre loyer si vous n'êtes pas propriétaire.
L'exercice de la pige, ou le journalisme indépendant est une activité assez solitaire. Le fait d'être au sein d'un collectif permet de trouver du soutien pour toutes sortes de questions ou lorsqu'une rédaction "oublie" de vous payer. Envoyer une relance à une rédaction indélicate au nom d'un collectif plutôt qu'en son nom propre est souvent plus efficace.
Par exemple, les journalistes de Tu Piges ont mis en place un réseau qui permet de mutualiser/partager des offres d'emploi, des contacts dans les rédactions ou de travailler en binôme ou trinôme sur des enquêtes (par exemple pour Mediapart). Cela permet de démarcher collectivement des rédactions, de se faire un nom/d'être un gage de qualité sur les différents thèmes traités.
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À quel moment se rend-on compte que l'on est en train de mal gérer son budget ?
À partir du moment où on accepte des articles sur lesquels on va passer trois mois et que l'on est payé 150 euros. Donnée relative, mais cela veut dire que lorsque vous vous rendez compte que vous travaillez à perte, c'est un problème.
Parfois, cela ne dépend pas de soi, on a travaillé, beaucoup, mais la rédaction décide de ne pas publier. En France, l'usage veut qu'une pige commandée est une pige payée, même si elle n'est pas publiée. Mais ce n'est pas toujours le cas. Pour le/la journaliste, cela représente une perte sèche.
Être stressé par ses revenus ou leur (ir)régularité est un stress constant pour tous les journalistes indépendants. Surtout avec la crise sanitaire. Par exemple, en un an, Élodie Hervé indique avoir perdu un tiers de ses revenus. Étant spécialisée principalement en santé, elle estime avoir de la chance, comparativement à d'autres journalistes, qui ont vu leurs revenus réduits plus drastiquement encore.
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S'organiser pour le suivi de la rédaction de ses articles
Avoir une visibilité sur ses rentrées d'argent est vraiment une nécessité. Cela vous permet de voir également avec quelle rédaction vous préférez travailler : meilleure écoute, meilleure prise en compte de votre avis, respect de votre travail et de votre écriture, respect du paiement, etc. Ce ne sont pas forcément les rédactions qui payent le plus qui sont les plus professionnelles dans leurs relations aux pigistes ou qui vous permettent de travailler sur des sujets que vous aimez.
Faire ce suivi, sous forme de tableau ou autre, vous permet de trouver un équilibre entre les employeurs qui payent bien ou mieux, mais pour lesquels vous ne faites peut-être des articles plus institutionnels, et d'autres employeurs, qui payent moins bien, mais qui sont plus épanouissants en termes journalistiques.
Comment équilibrer ses entrées et ses sorties d'argent ?
La première chose à identifier, c'est le point d'équilibre : combien vous gagnez, en combien de temps et pour quel degré d'investissement/plaisir de travail.
Une fois ce point d'équilibre identifié et la somme mensuelle que vous escomptez, vous travaillez en ce sens. Élodie Hervé choisit de lisser une année d'exercice pour établir son revenu mensuel "à l'équilibre".
Elle souligne que la crise sanitaire a bouleversé ce cadre car, pour de nombreux pigistes, elle a beaucoup travaillé à certaines périodes et pas du tout à d'autres. Les pigistes travaillent toujours en amont : ils et elles proposent des sujets et attendent le feu vert d'une rédaction pour se lancer. Mais, en période de pandémie, de nombreux médias étaient/sont eux-même à l'arrêt ou dans l'indécision, faute de perspectives.
Un pigiste peut refuser le tarif proposé pour une pige, parce qu'il l'estime trop bas. Mais un pigiste est rarement en position de force pour négocier.
Conseil : le site Paye ta pige recense les tarifs de piges des médias français. Cela permet de choisir la rédaction pour laquelle on veut/on ne voudrait pas travailler.
Journaliste indépendante, Julie Chansel travaille principalement sur des questions environnementales, féministes, sanitaires et sociales, migratoires et géopolitiques pour différents médias print et Web : La Marseillaise Hebdo Occitanie, Mediapart, Causette, Sans Transition Occitanie, We Demain, etc. Elle est membre du collectif Tu Piges ! Elle est également formatrice à l'Ecole supérieure de journalisme (ESJ Pro) de Montpellier.
Photo Visual Stories || Micheile sous licence CC, via Unsplash
Il est possible de voir ou revoir ce webinaire sur la chaîne Youtube d'IJNet.