Que faire si vous avez besoin de vous éloigner du journalisme

3 févr 2023 dans Bases du journalisme
Un homme en extérieur, devant le soleil couchant

Le stress et l'anxiété sont depuis longtemps répandus parmi les professionnels de l'information. Un article de la Columbia Journalism Review publié en 1999 notait que près de 40 % des responsables éditoriaux aux États-Unis "signalaient des problèmes de santé liés au travail, allant de l'insomnie à l'alcoolisme et à l'hypertension". Les réseaux sociaux n'existaient pas à l'époque, et peu de rédactions étaient ne serait-ce que connectées à Internet. Pourtant, les professionnels des médias travaillaient de longues heures et couvraient des sujets difficiles, entre autres facteurs de stress professionnel.

En 2015, le Dart Center for Journalism & Trauma a constaté qu'entre 4 et 59 % des journalistes présentent des symptômes de stress post-traumatique (SSPT), en fonction de leur domaine d'activité ou de leur lieu de travail. La pandémie de COVID-19, les troubles sociaux et toute une série de crises économiques à l'échelle mondiale dans les années qui ont suivi ont exacerbé la situation.

Que peuvent faire les journalistes pour prendre soin de leur santé mentale aujourd'hui, notamment pour évaluer s'ils ont besoin de faire une pause ? Voici quelques conseils de coachs qui travaillent avec des professionnels de l'information dans le monde entier.

Ce qu’on ne vous dit pas en école de journalisme

Lors d'une interview pour cet article, Phoebe Gavin, directrice exécutive des talents et du développement chez Vox, et coach en matière de carrière et de leadership, dit observer “une accélération du burn-out et des symptômes associés à l'épuisement". Ou, du moins, "des réponses et des descriptions de la façon dont les gens vivent le travail, qui s’approchent du burnout".

Cette situation, explique-t-elle, est le résultat des nombreux facteurs de stress que les journalistes subissent dans le cadre de leur travail. La profession aborde régulièrement des sujets difficiles, notamment, ces dernières années, la pandémie, les manifestations et la guerre. À cela s'ajoute l'incertitude économique qui continue de hanter le secteur.

La fondation The Self-Investigation, centrée sur le bien-être des journalistes, a pour objectif d'encourager les journalistes à se concentrer sur leur propre bien-être. L'une des formatrices de la fondation, Aldara Martitegui, a désigné la pandémie comme l'une des principales raisons de la situation actuelle. Pour elle, de nombreux journalistes qui n'étaient pas habitués aux reportages à haut risque se sont soudainement retrouvés dans une situation étrange et nouvelle. "Pour la première fois, nous avons dû rendre compte d'une réalité dure et difficile qui nous affectait en même temps", raconte-t-elle. Cette crise, dit-elle, a éloigné les journalistes du simple rôle d'observateur et les a transformés en parties concernées, elles aussi.

"Beaucoup d'entre nous ont vu que nous n'avions pas les outils nécessaires pour gérer une telle situation", raconte Mme Martitegui. "Cela a conduit les journalistes à s’ouvrir à l’idée de [reconnaître que] nous manquons d'outils émotionnels que l’école ne nous a pas appris."

Établir vos limites

The Self-Investigation, explique Mme Martitegui, tente de créer un espace pour que les journalistes prennent conscience des conditions dans lesquelles ils opèrent. Il s'agit également d'identifier ce dont nous avons besoin pour pratiquer un journalisme auquel nous croyons, et de le faire "d’un endroit de clarté mentale, dans un état d'esprit calme, et non agité."

Certaines questions peuvent en découler, continue Mme Martitegui :

  • "Est-il utile que je sois toujours connecté à l'information [et] aux réseaux sociaux ?"
  • "Comment cela affecte-t-il ma vie ?"
  • "Quel type de journaliste ai-je envie d’être ?"
  • "Puis-je être ce type de journaliste dans l'organe de presse dans lequel je travaille ?"

L'un des principaux défis que l'équipe de The Self-Investigation a remarqué chez les journalistes est leur incapacité à s'exprimer. "Nous voyons beaucoup de frustration chez les journalistes qui sont dépassés par la quantité de travail qu'ils assument, et ils se sentent incapables de dire : ‘Ca suffit, c'est fini, je ne peux pas faire ça’. Ils ressentent beaucoup de peur", dit-elle.

Ceci se produit également chez les indépendants, qui peuvent avoir peur de rejeter un projet, de crainte qu'on ne leur commande plus rien.

Mme Gavin fait la même observation. "C'est une question de limites et d'attentes, et il est nécessaire qu’elles soient claires", souligne-t-elle. Les journalistes doivent faire savoir ce qui leur convient : "Ils ne peuvent pas s'attendre à ce que leur associé, leur patron ou un membre de leur équipe sache comme par magie ce dont ils ont besoin."

Le rôle du secteur

Les managers doivent être à l'écoute des limites et des attentes de leurs employés, et être prêts à discuter de ce qui "a le plus de sens pour vous en tant qu'individu et permet de servir nos publics et de maintenir notre activité", explique Mme Gavin.

Ce n'est pas forcément le cas dans tous les médias. Il est donc important d'effectuer des recherches et "d'identifier les rédactions au grand turn-over, et celles qui sont conscientes que ce phénomène est un problème".

Certaines personnes occupant des postes de direction commencent à remarquer que le stress affecte leur personnel. Les journalistes fuient vers d'autres secteurs d'activité, et les rédacteurs en chef constatent qu'ils perdent des talents. "L’inquiétude s’installe parce que les gens sont vraiment en train de s'épuiser et veulent quitter la profession", affirme Mme Martitegui.

Selon elle, c'est peut-être pour cette raison que les dirigeants s'intéressent de plus en plus au bien-être émotionnel et à la santé mentale de leurs journalistes : "Le journalisme a besoin de journalistes en bonne santé. [Le secteur doit favoriser] le bon état d'esprit pour faire du journalisme."

Quelques conseils en plus

Mettez tout sur papier

Prenez le temps d’écrire ce que vous faites, ce que vous ressentez et comment vous aimeriez que les choses soient, recommande Mme Gavin. "Une fois que c'est sur papier, vous pouvez en faire une analyse un peu plus poussée, avec plus de distance émotionnelle que lorsque tout cela se bouscule dans votre tête", ajoute-t-elle. Posez-vous la question : Quels sont les problèmes sur lesquels j'ai une influence ? Quelles sont les présuppositions que je fais sur moi-même ou sur les autres ?

Soyez conscient de votre valeur

Plus vous vous connaissez, plus vous êtes en mesure de vous présenter comme un collaborateur de valeur. "Plus vous êtes stratégique dans le développement de vos compétences et de votre portfolio, et plus vous l’êtes dans le développement de votre réseau, plus des opportunités s’offriront à vous", assure Mme Gavin.

Soyez précis

"L'enrichissement de notre vocabulaire émotionnel et de notre connaissance de ce qu'est réellement l'épuisement professionnel, au-delà d’une définition à la mode promue par la pop culture, nous sera très utile pour déterminer la marche à suivre", précise-t-elle.

Entraînez-vous à l’assertivité

Il y a deux ingrédients-clefs pour cela : le respect et la fermeté, explique Mme Martitegui. Voici un exemple qu’elle cite pour aider les journalistes à comprendre comment communiquer ainsi : "Je comprends que vous avez besoin de cela. Je comprends votre besoin, que pour vous c'est important. Mais je ne peux pas le faire et je ne le ferai pas, car cela signifie que je ne me reposerai pas.”

Parlez à vos collègues

Cela peut aider à combattre la démotivation et l'inquiétude. "Cela nous aide à renouer avec les valeurs, les principes et les objectifs [du journalisme], et à ressentir à nouveau ce feu et cette passion pour la profession", espère Mme Martitegui.


Photo de Zac Durant sur Unsplash.

Cet article a été réactualisé le 25 janvier 2023.