Nos recherches ont démarré quand un collègue nous a confié être inquiet de l'avenir des médias de qualité. Pour lui, les grands médias traditionnels vont droit dans le mur car ils ne se positionnent pas efficacement face aux médias en ligne.
Cette discussion a eu lieu il y a deux ans, lors d'un de nos cafés hebdomadaires à la Faculté de communication de l'Université de Navarre. Mercedes Medina Laveron et moi-même avons alors décidé de nous emparer de cette question qui taraudait notre collègue Alfonso Sanchez Tabernero, le recteur de l'université. Nous voulions voir si nous pouvions identifier quelques solutions et voies de développement pour le secteur.
Comme souvent dans le monde académique, nous avons rédigé une étude.
A nous trois, nous avons identifié 20 exemples de journalisme pérenne de qualité dans quatre régions : l'Europe de l'Ouest, de l'Est, les Etats-Unis et l'Amérique Latine. Nous avons ensuite étudié les composantes de leurs modèles économiques pour voir s'ils permettaient d'envisager des solutions prometteuses.
Vous pouvez lire un résumé de nos recherches ici, avec un graphique détaillé des 20 organes de presse identifiés. Nous avons conclu qu'ils avaient tous cinq éléments en commun.
1) Indépendance et crédibilité
Les 20 médias se décrivent tous comme indépendants des pouvoirs politiques comme commerciaux et leur discours s'appuie sur le fait que cette liberté fait d'eux des sources crédibles et dignes de confiance. Leur proposition de valeur est basée sur cette indépendance, leur contenu hautement différencié et leur engagement tend vers une mission de service public.
Leur transparence inédite au niveau de leurs financements est un gage de légitimité : tous leurs propriétaires, investisseurs, actionnaires, donateurs et sponsors sont nommés explicitement. La plupart partagent leurs données financières détaillées, dont leurs sources de revenus et leurs dépenses. Tous les profils de leurs dirigeants et de leurs équipes (éditoriale, administrative ou informatique) sont détaillés.
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Quatorze des 20 médias mettent en avant le journalisme d'investigation et la volonté de faire rendre des comptes aux puissants comme un élément-clef de leur offre. Souvent, ils décrivent comment les informations publiées dans leurs enquêtes ont été obtenues et comment ils se sont accordés sur la manière de les présenter.
2) Leur attention envers leur public
Tous ont fait de la réponse aux besoins et problèmes de leurs usagers un axe prioritaire de leur travail. Les annonceurs et sponsors sont secondaires, voire inexistants. La moitié du groupe n'a pas recours à la publicité.
Ils se concentrent sur la valeur créée pour leurs utilisateurs, afin que celle-ci les amène à payer pour un abonnement numérique. La moitié des médias de l'étude ont une forme de paywall ou de modèle "freemium". Quoi qu'il en soit, la valeur ajoutée est essentielle, car il est impossible de demander à des gens de payer pour une information qui ne les intéresse pas.
3) Ils développent l'offre digitale en priorité
Ils se sont emparés du pouvoir qu'offre la communication digitale et de ses différences avec les médias traditionnels. Ils se servent de liens hypertextes pour donner aux lecteurs accès aux documents sources afin d'apporter des preuves et du contexte à leurs articles. Ils relatent les faits dans un format multimédia. Ils présentent leur travail sous des formes adaptées aux réseaux sociaux pour qu'ils puissent être partagés sur ces plateformes, la source principale d'information pour de nombreux utilisateurs.
4) Une équipe fondatrice de journalistes chevronnés
Presque tous ont été créés par des journalistes très expérimentés, issus des médias traditionnels. Ces derniers ont mis à profit leur expérience, leur réputation et leur légitimité, leur capital social en somme, pour attirer investisseurs, contributeurs et employés. Une exception étant Perspective-Daily en Allemagne, média spécialisé dans le journalisme de solutions, fondé par deux scientifiques.
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5) Ils interagissent avec leurs publics et favorisent l'engagement
La meilleure preuve d'engagement est le fait que leurs utilisateurs sont prêts à payer pour un abonnement digital ou devenir membre du média. Ils encouragent leurs publics à participer à la collecte d'information lors d'actions de crowdsourcing. Leurs canaux de communication sont ouverts pour créer de l'interactivité avec le public, ce qui permet de faire remonter des propositions de sujets, des scoops ou d'initier des enquêtes collaboratives.
Toutes ces organisations s'assurent que chacun des membres de l'équipe comprenne son rôle dans le succès financier et économique de l'entreprise. Sept d'entre elles sont des organisations sans but lucratif, mais pas les 13 autres.
Ces cinq voies vers la pérennité économique ne sont que quelques pistes parmi d'autres. Elles s'intègrent parmi les 10 changements de paradigmes pour un journalisme de qualité que j'évoque dans certains de mes articles.
Cet article a été initialement publié sur le blog de James Breiner. Il a été republié par IJNet avec son accord.
James Breiner est un ancien ICFJ Knight Fellow. Il a lancé et dirigé le Centre de journalisme digital de l'Université de Guadalajara. Faites un tour sur ses sites Internet : News Entrepreneurs et Periodismo Emprendedor en Iberoamérica.
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