Couvrir une élection : leçons de République Dominicaine et d'Haïti

15 oct 2020 dans Sujets spécialisés
Bureau de vote en République dominicaine

Avis aux journalistes à travers le monde qui couvrent les dernières semaines d'une campagne présidentielle américaine disputée sur fond de pandémie de COVID-19 : vous pourriez vous inspirer de vos confrères en République dominicaine et Haïti.

Après un report en mai dû au COVID-19, la République dominicaine a tenu son élection présidentielle au début du mois de juillet. La veille, le pays enregistrait un nouveau pic de cas confirmés de malades du COVID-19.

Couvrir cette élection était tant un défi qu'une opportunité pour les rédactions des journalistes dominicains et haïtiens présents sur Hispaniola. Elles se sont donc mobilisées pour améliorer leurs protocoles de sécurité afin de protéger leurs reporters sur le terrain. En parallèle, elles ont ré-évalué leurs angles d'enquête, leur modèle économique et ont encouragé les collaborations.

Mesures de sécurité

Pour couvrir l'élection, la rédaction du journal dominicain Listín Diario s'est divisée en deux groupes : ceux en télétravail, et ceux en présentiel.

En plus de respecter la distanciation sociale, la rédaction a renforcé ses mesures sanitaires. Ainsi, les bureaux étaient régulièrement traités au fumigateur, le bâtiment entier était entièrement désinfecté une fois par semaine et les stocks de masques et de combinaisons de protection ont été renouvelés.

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Listín Diario a accompagné ses employés lors d'entretiens virtuels et de conférences éditoriales en ligne, expliquant aux journalistes à quels moments le reportage en face-à-face était indispensable et prenant le temps de les écouter pour mieux comprendre leurs besoins. La rédaction s'est attachée à bien faire connaître les risques du COVID-19 à tous ses collaborateurs. "Nous avons beaucoup insisté sur le fait qu'ils ne devaient pas trop s'exposer aux risques de contamination", raconte le rédacteur en chef Juan Eduardo Thomas.

 

Voter in the Dominican Republic. Photo courtesy of Listín Diario.
Une électrice en République Dominicaine. Photo fournie par Listín Diario.

 

Eviter les contacts inutiles avec le COVID-19 était très important pour Mayelin Acosta, journaliste du journal Hoy. Même si Hoy a fourni des équipements de protection et de désinfection à son personnel, il était au final de la responsabilité des reporters de s'assurer qu'ils appliquaient les protocoles de sécurité et qu'ils étaient attentifs à d'éventuels symptômes.

Ceci est resté valable après l'élection. "Après avoir couvert le scrutin, j'ai continué à vérifier si je n'avais pas de symptômes et j'évitais d'aller au journal tous les jours", explique Mme Acosta.

Le planning éditorial

Un autre journal dominicain, Acento, a commencé à planifier sa couverture de l'élection en janvier. L'équipe a non seulement dû gérer l'instauration d'un état d'urgence sanitaire mais également un report d'un mois des élections municipales de février, à cause d'un problème informatique présumé.

"On a réorganisé l'équipe, retravaillé les plannings de travail et élaboré un plan dans lequel l'agilité du digital pouvait nous faire surmonter n’importe quelle épreuve", raconte le directeur Fausto Rosario.

Acento a ainsi créé des plateformes de communication pour attribuer les tâches de chacun et tenir les équipes informées. Chaque journaliste avait ses responsabilités, et une équipe de coordination a été formée, composée du rédacteur en chef et son adjoint, et des coordinateurs éditoriaux des services du soir et de la nuit. Comme nombre d'autres médias, ils ont arrêté de couvrir les actions de petite échelle qu'ils avaient l'habitude de traiter par le passé.

La viabilité économique

Les budgets contraints des rédactions durant la pandémie ont davantage compliqué le travail de reportage sur les élections. En mars, au moins sept clients ont renoncé à leurs contrats publicitaires avec Acento, par exemple.

Heureusement, le journal travaillait déjà sur des options de monétisation. L'une d'elle était la création d'une formule de crowdfunding à destination des lecteurs nommée Colabora con Acento (Associe-toi avec Acento), dont les dons seraient effectués via PayPal. "Le COVID-19 nous a poussé à tenter le coup. Et on a appris une chose : le public apprécie notre travail, au point même de vouloir participer financièrement à notre avenir," se réjouit M. Rosario.

Grâce aux contributions, Acento a pu donner une prime exceptionnelle à ses journalistes suite à leur travail sur les élections.

Le journalisme citoyen et le reportage en face-à-face

Laura de la Nuez, la seule correspondante de l'émission de télévision Al Rojo Vivo, travaille souvent sur des sujets hors du commun. Elle s'associe régulièrement avec des journalistes d'autres chaînes et s'appuie sur des contenus vidéo postés sur les réseaux sociaux pour nourrir ses reportages.

"Les gens normaux sont ceux qui ont connaissance des dernières actus dans une ville donnée, notamment dans les endroits difficiles d'accès pour les journalistes", remarque Mme De la Nuez. "Ce sont les vidéos que m'ont envoyées des personnes qui ne sont pas journalistes qui m'ont permis de couvrir ces élections."

 

Polling location in the Dominican Republic. Photo courtesy of Listín Diario.
Bureau de vote en République Dominicaine. Photo fournie par Listín Diario.

Sur place le jour du scrutin, elle a conseillé aux journalistes de se préparer à rencontrer de grands groupes d'électeurs et faire avec ceux qui ne respectaient pas la distanciation sociale.

En République Dominicaine, le Comité électorial central n'a pas diffusé d'informations claires aux citoyens sur le maintien des distances au sein des bureaux de vote, indique en effet Mme De la Nuez. Les journalistes devaient donc faire leur travail dans des conditions précaires tout en s'assurant de ne pas mettre leur santé en danger.

La coopération

A Haïti, un groupe de journalistes a décidé de lancer Desisyon RD 2020, une émission en créole haïtien au sujet de l'évolution des élections dominicaines. Ceci leur a permis d'identifier des opportunités de collaboration, raconte le journaliste Ives Marie Chanel.

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"Cela nous a aidé à découvrir le potentiel d'une couverture de sujets et d'actualités binationales. Il s'agirait là d'une diffusion par plus de 30 stations de radio et chaînes télévisées", explique-t-il. "L'événement a ravivé l'intérêt des Haïtiens pour les actualités dominicaines."

Cette initiative a réuni des médias et des journalistes haïtiens et dominicains pour la première fois. Des experts des sujets électoraux ont aussi participé, offrant leur analyse sur les résultats et expliquant leurs impacts pour les deux pays.

La coopération est essentielle pour M. Chanel, au vu notamment des contraintes exercées actuellement par la pandémie sur les pratiques journalistiques. Les médias étrangers peuvent s'inspirer de l'expérience Desisyon RD 2020 et créer des partenariats pour récolter et diffuser des informations aux niveaux local et régional lors de leur couverture d'élections futures.

"Cela nous permet d'atteindre nos objectifs plus facilement et peut même nous ouvrir de nouvelles portes", conclut M. Chanel.


Indhira Suero Acosta est une journaliste culturelle et une ambassadrice SembraMedia en République Dominicaine. C'est une ancienne lauréate Fulbright et la créatrice de Negrita Come Coco, média dédié à la culture pop et aux Afro-descendants. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @SueroIndhira.

Image principale fournie par Listín Diario.