En tant que journalistes, nous parlons régulièrement à des experts, mais sommes-nous certains de tirer le meilleur de ces échanges ?
Après m'être entretenu avec des experts du monde universitaire, des think tanks et avoir repensé à mes propres expériences en tant que sujet d'interviews, j'ai identifié comment les journalistes pourraient améliorer leurs entretiens avec des experts.
La critique la plus fréquente que j'ai entendue au cours de ces conversations est la suivante : "Les journalistes savent déjà ce qu'ils veulent écrire, nous ne sommes là que pour remplir leur texte à trous". Ce n'est pas forcément vrai, mais c'est souvent la conclusion que tirent les personnes interviewées.
Par exemple, ma collègue Hadil Abuhmaid m'a fait part d'une expérience récente : "Le journaliste a essentiellement dirigé mes réponses". Elle a refusé de jouer le jeu, s'opposant à l'approche, et aux conclusions, du journaliste.
D'autres se sont plaints des simplifications ou du manque de nuance des journalistes. Ces derniers maîtrisant rarement mieux leur sujet que leurs interlocuteurs, ce grief est peut-être justifié. Les journalistes doivent s'en prémunir.
Voici donc six propositions pour mieux gérer les relations avec les sources expertes et assurer la fluidité des entretiens.
1) Faites vos recherches
Cela devrait aller de soi, mais malheureusement, ce n'est pas toujours le cas : faites des recherches préalables sur votre sujet. Regardez leurs profils sur les réseaux sociaux. Identifiez et trouvez-vous des points communs ou quelque chose d'intéressant produit par votre source récemment. Dans la mesure du possible, vous pouvez y faire référence dans les premières minutes de vos échanges.
D'après mon expérience, vous obtiendrez une bien meilleure interview si votre interlocuteur voit que vous vous êtes préparé. Et en tant qu'interviewé, je suis beaucoup plus enclin à faire un effort supplémentaire et à être utile lorsque je sais que le journaliste a fait ses recherches.
2) Expliquez vos objectifs dès le début de la conversation
Avant même de démarrer l'interview, expliquez à votre expert de quoi il s'agit et ce que vous recherchez. Si votre publication n'est pas connue du grand public, présentez-lui votre lectorat.
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Les gens occupés ne peuvent pas dire "oui" à toutes les opportunités qui se présentent, donc vous devez vous présenter à votre source comme vous vous présenteriez à votre rédacteur en chef. Et surtout, donnez des éléments de calendrier. Quand avez-vous besoin que la personne vous réponde ?
Une date limite de réponse aide votre source à comprendre si elle a le temps de se préparer et peut également l'aider à se faire une idée du niveau d'approfondissement attendu.
Lorsqu'on me demande un entretien et que je dois répondre dans les deux heures, je peux supposer que vous cherchez à obtenir un verbatim court plutôt qu'une réponse longue et approfondie. Cependant, je ne peux pas évaluer cela si votre prise de contact initiale ne précise ni vos contraintes de temps, ni vos objectifs pour l'entretien.
3) Expliquez le procédé de rédaction d'un article
Rares sont les interviews reprises dans leur entièreté. Loin de là.
Un entretien de 30 minutes équivaut à une transcription de 4 500 à 5 000 mots environ, mais seule une fraction finira dans l'article de 800 à 1 000 mots ou la séquence vidéo de deux minutes. Quand vous n'êtes pas un journaliste ou un interviewé chevronné, ça, vous ne le savez pas.
Vous devez préparer votre interlocuteur avant l'interview. Les journalistes doivent, en règle générale, gérer les attentes de leurs sujets.
J'ai donné un jour une interview de 15 minutes à Marketplace Morning Report, une émission de huit minutes diffusée sur NPR. Ils ont utilisé environ sept secondes de mes réponses. Si je n'avais été pas conscient de la durée de l'émission et de la probabilité que la plupart de mes propos puissent être coupés, j'aurais été plutôt surpris, voire contrarié.
Il en va de même des interviews avec la presse écrite qui durent 45 minutes pour une citation ou deux, ou d'interviews télévisées de 30 minutes dont ne sont tirés que deux ou trois extraits sonores. Cela fait partie du jeu, mais vos interviewés ne connaissent pas toujours les règles au préalable. Veillez à le leur expliquer.
4) Gardez le lien avec vos sources pour de prochains sujets
Les journalistes veulent des sources fiables. Cela signifie que ce sont des personnes crédibles qui ont une bonne connaissance des faits et des arguments mais aussi des personnes qui donneront de bonnes interviews, même dans un délai très court. Ce type de sources valent leur pesant d'or, même si les journalistes ne doivent pas trop s'appuyer sur les seules mêmes personnes.
En même temps, les journalistes peuvent mieux se servir de ces sources pour générer de nouvelles idées. Les reporters le font tout le temps sur le terrain. Ils terminent souvent leurs échanges en demandant : "A qui d'autre devrais-je parler ?" ou "quels sujets ne sont pas assez couverts selon vous ?"
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En posant ces questions de manière sincère, vous obtiendrez de bonnes pistes pour de futurs reportages, tout en cultivant vos relations avec vos sources. C'est un excellent moyen de diversifier votre carnet d'adresses et de vous lancer dans la recherche de sujets futurs.
5) Si possible, vérifiez les faits exposés lors des entretiens avant publication
Beaucoup d'experts, en particulier ceux qui ont peu d'expérience avec les médias, demandent à voir un article avant sa publication. Dans la plupart des cas, c'est contraire aux pratiques journalistiques.
Cependant, rien ne vous empêche de faire du fact-checking et de revérifier les citations que vous avez attribuées à quelqu'un. Cela est particulièrement utile lorsqu'il s'agit de sujets sensibles ou qui ne relèvent pas de votre domaine de compétence.
Ma collègue, Amanda Cote, a parlé à un certain nombre de journalistes des problèmes liés au sexisme dans l'industrie du jeu. C'est exactement le genre de sujet pour lequel vous voulez être sûr de bien comprendre les citations et les faits.
Dans ces circonstances, si vous le pouvez, il vaut la peine de vérifier les faits une nouvelle fois avec votre source avant de rendre votre article.
6) Remerciez
La confiance dans le journalisme étant au plus bas, il incombe à tous les journalistes d'agir en tant qu'ambassadeurs de la profession. Si une source prend du temps pour une interview, faites-lui savoir que vous en êtes reconnaissant.
Une façon simple de le faire est de s'assurer que vous envoyez toujours aux personnes interrogées un lien vers l'article auquel elles ont contribué.
Cela ne prendra que quelques minutes. Vous pouvez même préparer un modèle d'e-mail prêt à l'emploi dans vos brouillons.
Il est préférable d'être averti par un journaliste lorsqu'un article auquel vous avez contribué a été mis en ligne que de le découvrir par le biais d'une alerte Google, d'une recherche en ligne ou lorsque quelqu'un d'autre vous le transmet.
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Rien de tout cela n'est particulièrement novateur, mais ce sont des pratiques souvent oubliées ou négligées, surtout lorsque le temps manque. Les journalistes sont plus que jamais sous pression, mais cela ne signifie pas que les médias doivent négliger leurs sources spécialisées.
Il est utile de se mettre à leur place. J'ai constaté que le fait d'avoir été des deux côtés de l'écran m'a vraiment aidé à être à la fois un meilleur intervieweur et un meilleur interviewé. Demandez-vous : comment aimeriez-vous être traité si un journaliste vous posait des questions ?
Etre plus respectueux de nos sources, c'est peut-être une résolution que nous pouvons tous espérer tenir en cette nouvelle année.
Image principale sous licence CC par Unsplash via Michael DeMoya.
Damian Radcliffe est le professeur Carolyn S. Chambers de journalisme à l'Université d'Oregon, membre du Tow Center for Digital Journalism de l'Université de Columbia, un chercheur honoraire de l'école de journalisme, médias et études de la culture de l'Université de Cardiff et membre de la Royal Society for the Encouragement of Arts, Manufactures and Commerce (RSA).
Il anime également le podcast Demystifying Media, dans lequel il interview des journalistes et chercheurs dans le domaine des médias sur leur travail. Retrouvez-le sur Twitter @damianradcliffe.