En France, Mediacités tisse un réseau d’investigation hors de Paris

por Xavier Alix
Dec 4, 2020 em Pérennité des médias
 L’équipe du journal Mediacités en avril 2019 à Paris (Crédits Photo : Joseph Melin)

Lancé fin 2016 à Lille par d'anciens journalistes de L’Express, le journal d’investigation en ligne a remporté le 19 novembre le prix Prix Innov’ créé par Franceinfo et Les Échos. Après avoir essaimé à Lyon, Toulouse et Nantes, Mediacités devrait s’implanter dans une cinquième métropole française en 2021.

Une sorte de Mediapart local ? Pas vraiment. "La comparaison ne me dérange pas. Mais ce n’est pas ce que nous revendiquons : nous sommes dépourvus de sensibilité politique et avons notre identité propre. Mediapart a la sienne, comme ses positions politiques", tranche Jacques Trentesaux, directeur de publication de Mediacités. L’ex chef du service Villes de L’Express est un des sept co-fondateurs du journal d’investigation exclusivement en ligne et lancé à Lille, fin 2016. 

[Lire aussi : Six conseils à suivre pour les journalistes d'investigation]

 

Le projet éditorial vise à proposer, sur un site web unique, des dossiers d’investigation sur des sujets propres aux grandes métropoles françaises, en dotant celles-ci d’une rédaction spécifique. À partir du printemps 2017, Mediacités a en effet implanté des bureaux à Lyon, Toulouse puis Nantes. Une cinquième métropole –dont le nom n’est pas communiqué– devrait être couverte à partir de septembre ou octobre 2021. Mediacités avait annoncé, fin novembre, la validation de cet objectif à nos confrères de la région Auvergne-Rhône-Alpes Our(s) : "Beaucoup d’éléments déjà en place, la gestion unique du site par exemple, permettent des économies d’échelle et donc un coût moindre qu’au départ pour ouvrir une rédaction."

"C’est un seul média mais multi villes"

Les rédactions attachées à chaque métropole sont composées d’un ou deux journalistes titulaires. Mais elles s’appuient sur des pigistes locaux ainsi que sur un réseau national totalisant ainsi une centaine de collaborateurs. Mediacités les rémunère, non à la quantité de signes, selon les habitudes françaises, mais en fonction de la longueur et de la complexité de l’enquête. Le forfait peut ainsi varier de 250 à 1 000 euros. Les pigistes sont parfois des spécialistes d’un domaine sans avoir de ville "attitrée". "Nous collaborons d’ailleurs beaucoup entre rédactions, il y a une réflexion, une veille, une réunion hebdomadaire communes. C’est un seul média mais multi villes", précise Nicolas Barriquand, à la tête de la rédaction de Lyon et lui aussi passé par L’Express. Chaque rédaction fournit une à trois enquêtes fouillées chaque semaine. 

Pour Mediacités, la garantie de l’indépendance éditoriale passe par un modèle économique sans publicité (lire encadré) : "Les pressions que peuvent exercer des annonceurs sur tel ou tel sujet débouchent déjà sur de l’autocensure au niveau national, estime Nicolas Barriquand. C’est encore plus accentué à l’échelle locale parce que le milieu dans lequel vous travaillez, les sources, les institutions sont plus restreints. Rapidement, on croise toujours les mêmes. Depuis que nous nous sommes lancés, nous avons été blacklistés par Lille Métropole ou l'équipe de campagne de Gérard Collomb, maire sortant de Lyon aux dernières municipales. De grandes entreprises, comme GL Events, refusent de répondre à nos questions."

"Le temps médiatique ne doit surtout pas être calé sur celui politique"

Le journal refuse d’ailleurs de soumettre son contenu aux exigences de la communication, qu’elles proviennent du privé ou du public. "Le temps médiatique ne doit surtout pas être calé sur celui politique, rappelle Nicolas Barriquand. C’est plus insidieux qu’une censure officielle mais cela altère la liberté éditoriale et les pressions sont bien là. L’enjeu, c’est la démocratie. Les affaires publiques concernent tout le monde par définition. Nous n’avons pas à être une courroie de transmission. Comme nous n’avons pas à l’être pour le privé : si une entreprise prépare un grand plan social, ce n’est pas à elle de décider quand nous le disons."

Mediacités propose, enfin, des innovations autour de la notion participative de ses internautes. Le journal a mis en ligne début octobre, pour chacune de ses villes, Radar : un outil de suivi interactif en ligne dédié au suivi des promesses de campagne des candidats élus aux dernières Municipales françaises. Une innovation du journal qui fait appel aux contributions citoyennes, comme le fit lors du premier confinement sa plateforme Nos villes à l’heure du coronavirus

[Lire aussi : 'Construire un journalisme du futur, qui s'appuiera sur des relations de confiance]

 

L’idée a valu au journal le premier Prix Innov’ France info et Les Échos récompensant les innovations éditoriales réalisées par des médias français ou étrangers pendant la période du premier confinement en mars 2020. Un prix remis le jeudi 19 novembre à l’occasion de la 3e édition du festival des médias de demain Médias en Seine. Mediacités l’a ainsi remporté au sein d’une sélection comptant Vice France, Nice Matin, Le Monde (avec Reuters), Le Figaro mais aussi Los Angeles Time, CNN et The New York Times


Un modèle économique sans pub

Afin de garantir son indépendance éditoriale, Mediacités se passe totalement de publicité. Le modèle économique est basé sur les abonnements à un accès illimité au contenu du site : 60 € pour une formule annuelle (le choix de 80 % des lecteurs), 7 € pour un seul mois. Une newsletter mettant en avant une ou plusieurs villes, au choix, complète l’offre. Il est à noter qu’environ 20 % des abonnés n’habitent pas l’une des quatre métropoles. Pour atteindre l’équilibre, Mediacités qui compte une dizaine de salariés espère atteindre les 8 000 abonnés d’ici 2022. Le journal en est à 4 000 avec une nette progression depuis décembre 2018 puisqu’ils étaient alors 1 500.

En attendant de remplir ses objectifs de lectorat, le projet a pu compter sur des campagnes de don et deux levées de fonds à succès cumulant, pour ces dernières, 638 000 € depuis 2018. Les sept fondateurs (vite rejoints par un 8e actionnaire) détiennent cependant toujours 56 % des parts. Les 39 autres – par exemple Mediapart à 3,8 % ou encore société des Amis de Mediacités, à 4 % –  ne dépassent jamais les 6 %. Et chacun a signé un document de 45 pages rédigé par des avocats les engageant à préserver une indépendance éditoriale aux mains des fondateurs. La perspective de perdre la majorité absolue dans un capital de toute façon détenu par des partenaires très composites, n’inquiète pas ces derniers. Une nouvelle levée de fond, de 430 000 euros sera, en effet, lancée début 2021.


Xavier Alix est un journaliste français, diplômé du CUEJ (Centre universitaire d'enseignement du journalisme) de Strasbourg. Il exerce principalement en presse écrite dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. 


Photo : L’équipe du journal Mediacités en avril 2019 à Paris (crédit photo : Joseph Melin)