Voici comment les journaux peuvent s’affranchir de leur édition papier

par Hayley Slusser
14 févr 2023 dans Pérennité des médias
Journaux

Plus de 8 000 kilomètres séparent Berlin, en Allemagne, et Denton, au Texas, mais les journaux basés dans ces deux villes sont confrontés aux mêmes défis : tenter de construire un avenir durable pour leur journalisme et réduire leur dépendance aux revenus de leurs éditions papier.

Si le Denton Record-Chronicle et Die Tageszeitung, communément appelé taz, publient dans des langues différentes, ont des modèles de propriété distincts et s’adressent à des publics différents, les journaux du monde entier peuvent tirer des apprentissages communs de ces deux publications qui se sont engagées à réduire leur fréquence d'impression et à développer leur audience numérique.

Cette semaine, dans Solution Set, nous mettons en évidence les principaux enseignements tirés des expériences de taz et du Record-Chronicle. Nous partageons également des liens vers des études de cas complètes sur chacun de ces médias et des ressources permettant de comprendre en détail les stratégies des organes de presse qui ont entamé la réduction de leur fréquence d’impression.

Ces articles font partie de Beyond Print, un programme mené par le Lenfest Institute et l'American Press Institute qui vise à guider quatre médias participants dans leur transformation numérique et qui comprend un certain nombre d'intervenants acteurs de la pérennité numérique.

Nous partagerons d'autres ressources liées à la réduction de la fréquence d’impression à l'avenir, mais si vous souhaitez recevoir des informations et les prochaines actus de Beyond Print par mail, veuillez remplir ce formulaire. Si un ami vous a transmis cette newsletter, vous pouvez vous abonner à Solution Set et vous tenir au courant des articles déjà publiés ici.

Voici nos recommandations :

Trouver les indicateurs du succès

Lorsque taz a pris la décision en 2018 d'arrêter son édition papier quotidienne, l’équipe n'a pas immédiatement défini un calendrier pour ce projet. Au lieu de cela, elle a décidé de trois conditions qui devaient être remplies avant d'arrêter les rotatives :

  • Le journal devait atteindre 30 000 abonnements aux éditions numériques et hebdomadaires et 40 000 contributeurs à son modèle de paiement volontaire.
  • Les produits devaient être améliorés pour pouvoir supporter l'augmentation du lectorat en ligne.
  • Le journal devait revoir ses procédures internes pour que les employés puissent appuyer au mieux les équipes produits et publics.

La direction du journal a fait en sorte que son personnel et ses lecteurs sachent que ces trois conditions étaient prioritaires et que l'équipe travaillait à un objectif commun.

"Nous avons dû apprendre à nos dépens qu'il n'est pas utile de fixer et de communiquer un calendrier de la transformation, car beaucoup pensent qu'il suffit d'atteindre ce moment pour que tout se stabilise", explique Aline Lüllmann, PDG. "Mais nous avons besoin de toutes les personnes sur le pont pour réussir cette transformation".

Les données aident à la prise de décision et à l’adhésion des équipes

Pour embarquer le personnel de taz sur le chemin de la transformation et lui montrer que le média avait encore un bel avenir, l'ancien directeur général du journal a entamé le processus de transition en créant un modèle montrant comment taz pourrait survivre en 2022 avec une augmentation des abonnements numériques et hebdomadaires, mais sans son quotidien papier.

Le journal a également commencé à sonder son lectorat afin de mieux comprendre les produits qu'il apprécie et savoir s’il se tournerait vers un autre produit après l'abandon de l’édition papier.

 

Au final, les résultats de l'enquête étaient rassurants, car taz s'attendait à l'origine à perdre environ la moitié de ses lecteurs sur papier, mais les données montraient que seuls environ 25 % délaisseraient complètement le média.

Peaufiner son offre numérique

Il est essentiel de faciliter l'adaptation des lecteurs et du personnel aux plateformes numériques.

Pour simplifier la transition, taz a décidé de renforcer ses produits numériques existants au lieu d'en créer de nouveaux. Tant taz que le Record-Chronicle ont compris l'importance de publier une édition en ligne qui serait un fac-similé numérique de l'expérience de lecture d’un journal papier.

"Nous ne voulions pas nous enliser dans le développement de nouveaux produits qui pourraient ne pas s'avérer rentables au final", explique Katrin Gottschalk, rédactrice en chef adjointe de taz. "Nous nous concentrons vraiment sur les choses pour lesquelles nous savons que nous pouvons gagner de l'argent".

Avoir une communication transparente

Avant que le Denton Record-Chronicle ne passe à un rythme d'impression bihebdomadaire, le journal a renforcé son marketing numérique et a informé ses utilisateurs qu'ils pourraient accéder à davantage d'informations locales en ligne. Pour cela, ils ont publié des brèves quasi quotidiennes dans toutes les versions du journal, envoyé des e-mails, des lettres physiques aux abonnés, des cartes postales et fait de nombreuses annonces sur les réseaux sociaux.

La communication externe est également une priorité pour taz, qui organise une assemblée annuelle de la coopérative sur YouTube, publie ses actus sur son blog, inclut une page d’informations sur le projet dans l'édition hebdomadaire papier, diffuse des communiqués de presse, et organise même des événements pour célébrer ses réussites avec ceux qui le soutiennent.

Tous au front sur le SAV

Malgré sa stratégie de communication externe, amener du nouveau contenu auprès des lecteurs fidèles du Record-Chronicle a nécessité une communication directe. La Denton Media Company a demandé l'aide de toute l’entreprise, environ une vingtaine d'employés, qui a organisé des entretiens individuels avec les abonnés perdus afin de les aider à comprendre comment accéder à leurs articles dans un format numérique.

Au fil du temps, l'équipe de la Denton Media Company a pu toucher environ 300 abonnés déconnectés. Les conseils ont permis de convertir les lecteurs, et le personnel s'est rendu compte que beaucoup de lecteurs pensaient à tort qu'une réduction de l'impression signifiait une réduction du contenu, ce qui les avait initialement fait fuir.

"Je pense que le plus gros problème était qu'un grand nombre [de ces abonnés perdus] étaient tout simplement furieux, vous voyez ?” affirme l'éditeur Bill Patterson. "Et une fois qu'ils ont surmonté cela et se sont dit, 'OK, où est-ce que je vais trouver ce [reportage hyperlocal] ?', ils ont appris à s'y adapter."


Cet article a d’abord été publié par The Lenfest Institute for Journalism. Il a été republié sur IJNet avec leur accord.

Photo de Markus Spiske sur Unsplash.