Sept conseils pour aiguiser votre esprit d'entreprise et gérer durablement un média

13 juil 2023 dans Pérennité des médias
Des femmes discutent à une table

Un jour en 2016, Clara Jiménez et Julio Montes, journalistes espagnols, ont pris la décision de créer Maldita.es. Autour d'une petite table en bois, ils se sont réunis avec quelques amis, trois ordinateurs portables et quelques bières pour réfléchir à la manière de lutter contre la propagation croissante des fausses informations et de la désinformation.

Au même moment, en Turquie, Gülin Çavuş venait d'obtenir son diplôme en politique mondiale et en relations internationales, avec une spécialisation en planification urbaine et gouvernements locaux. Elle était de plus en plus préoccupée par l'impact de la désinformation sur les médias sociaux et les applications de messagerie. C'est ainsi qu'elle a décidé de lancer Teyit, une initiative de vérification des faits qui avait été initialement conçue par son ami, Mehmet Atakan Foça.

Six ans plus tard, au début de l'année 2022, Maldita comptait plus de 50 employés. Mme Jiménez, aux prises avec de nombreuses responsabilités et décisions commerciales, avait du mal à trouver le sommeil. Allongée dans son lit aux côtés de M. Montes, devenu son mari, elle fixait le plafond blanc et ils se demandaient mutuellement si Maldita serait en mesure de tenir jusqu'à la fin du mois ou non.

Mme Çavuş, dans sa partie du monde, a été témoin d'une tentative de coup d'État et a constaté l'émergence d'une polarisation politique extrême au cours des dernières années. En tant que nouvelle directrice de la stratégie de Teyit, l'une de ses tâches consistait à diversifier les sources de revenus de l'organisation, garantissant ainsi que les dizaines de membres du personnel et plusieurs travailleurs indépendants recevaient les salaires qu'ils méritaient.

En juin, à Séoul, en Corée du Sud, lors de Global Fact 10, une conférence annuelle organisée par l'International Fact-Checking Network, Mmes Jiménez et Çavuş ont partagé avec un groupe de journalistes triés sur le volet comment leur vie, et leur entreprise, avait évolué au cours des derniers mois.

Mmes Jiménez et Çavuş, deux femmes créatives et prospères, ont participé au programme Elevate de l'ICFJ. Elles ont partagé les leçons qu'elles ont apprises pendant le programme et les changements qu'elles ont mis en œuvre dans leurs organisations grâce au soutien de mentors internationaux. 

Si vous êtes confronté à des difficultés dans la gestion d'un média, ou si vous connaissez quelqu'un dans cette situation, n'hésitez pas à lire et à partager les conseils suivants.

Conseil n°1, de Mme Çavuş : Soyez humble. Reconnaissez que vous ne possédez pas toutes les compétences nécessaires pour gérer une entreprise. Demandez de l'aide lorsque vous en avez besoin.

Les écoles de journalisme ne proposent généralement pas de cours de gestion d'entreprise ni n'enseignent comment établir un budget. Elles abordent rarement les questions relatives aux ressources humaines ou à l'infrastructure technologique. Cependant, tous ces sujets sont essentiels pour les journalistes souhaitant devenir des entrepreneurs des médias et des cadres dirigeants d'opérations d'information durables.

"Assurez-vous de reconnaître ce que vous ne savez pas", déclare Mme Çavuş, avec un humble sourire. "Après cela, faites appel à Elevate ou à tout autre soutien que vous pouvez trouver, et consacrez-vous à l'apprentissage."

Teyit a remporté une subvention de 20 000 dollars US et a développé un tout nouveau système de gestion des relations avec les clients (CRM) pour mieux interagir avec son public.

Conseil n°2, de Mme Jiménez : Partagez les responsabilités avec une équipe de confiance et donnez-lui les moyens d'agir.

Une organisation de la taille de Maldita devrait avoir plusieurs cadres de niveau C : un directeur général, un directeur de la technologie, un directeur financier et un directeur des opérations. Chaque poste doit être accompagné d'une description de poste claire, incluant des objectifs annuels.

"Chez Maldita, nous sommes passés de deux directeurs - Julio et moi, qui ne faisions que parler de travail et commencions à nous disputer à la maison - à une équipe de cinq directeurs", explique Mme Jiménez. "Les fondateurs de l'organisation - dans ce cas, Julio et moi - doivent permettre à ces directeurs d’asseoir leurs responsabilités, de sorte que le reste de l'équipe sache à qui s'adresser pour résoudre un problème."

Conseil n°3, de Mme Jiménez : Élaborez un plan stratégique détaillant l'avenir de votre organisation.

Avant une retraite de planification organisée par Mme Jiménez en 2022, l'équipe d'éducation aux médias de Maldita s'était initialement engagée à travailler avec des personnes âgées, mais s'était finalement retrouvée à passer du temps avec des lycéens. La rédaction de Maldita publiait des articles "longs et super compliqués". Botalite, la branche technologique de Maldita, était en développement, mais n'avait pas encore de voie clairement définie.

Lors de cette retraite réunissant les dirigeants de l'organisation, il y a eu une réévaluation des priorités, une révision des processus et une mise à jour des objectifs. Tout cela a été consigné par écrit.

"Nous avons loué une maison rurale et j'ai préparé des pizzas pour tout le monde pendant que nous nous sommes répartis en groupes pour élaborer les différentes parties de notre plan stratégique", raconte Mme Jiménez. "Notre document couvre huit domaines et constitue notre guide pour l'avenir."

Conseil n°4, de Mme Jiménez : Formalisez votre mission et votre vision. Assurez-vous de les communiquer à vos employés.

Avec le soutien d'Edmour Saiani, mentor d'Elevate, l'équipe de Maldita a élaboré ce qu'elle appelle ses "10 + 1 commandements."

"Nous avons connu une croissance très rapide," explique Mme Jiménez. "Ceux d'entre nous qui sont présents depuis le début comprennent parfaitement Maldita et y sont particulièrement attachés. En revanche, les nouvelles recrues ont souvent du mal à saisir pleinement l’esprit de rédaction et son fonctionnement. Les commandements ont été créés pour expliquer notre culture interne. Qui sommes-nous ? Que faisons-nous ? Et comment le faisons-nous ?"

M. Saiani a également demandé aux membres de l'équipe de Maldita d'écrire ce qu'ils aimaient ou n'aimaient pas dans le média, et il a identifié des réponses communes. Cet exercice est très utile pour tout cadre supérieur travaillant dans le domaine des médias.

Conseil n°5, de Mme Jiménez : Apprenez à vous séparer des personnes, et à l'accepter.

Le recrutement et le licenciement sont des compétences essentielles dans toutes les organisations, qu'elles soient à but lucratif ou non. Cependant, les journalistes ont souvent peu de connaissances dans ces domaines, en particulier lorsqu'il s'agit de licencier des personnes.

"Grâce à Elevate, j'ai appris que le licenciement peut réellement être bénéfique pour les deux parties, et j'ai eu l'occasion de développer cette compétence", explique Mme Jiménez. "En tant que dirigeant, il est possible d'être à la fois bienveillant et réaliste. Il faut transmettre son message et faire comprendre à la personne licenciée que cela peut également être un moment important pour son développement."

Conseil n°6, de Mme Çavuş : Élaborez autant de stratégies que possible, mais préparez-vous aux imprévus.

En février, alors que Teyit examinait et créait des catégories de publics pour identifier ses "lecteurs fidèles," la Turquie a été frappée par un séisme d'une grande ampleur. Mme Çavuş a dû reporter l'attention de son média sur les milliers de personnes décédées et rectifier les fausses informations.

Le travail sur le système de gestion des relations avec les clients (CRM) a été mis en suspens, mais c'est tout à fait justifié : établir des priorités est une compétence clef pour les dirigeants. Teyit a produit une couverture remarquable de cette catastrophe naturelle dévastatrice dont il peut être fier, et il a développé un solide projet issu de la catégorisation des parties prenantes : Teyit Press. Bientôt, dans le cadre de ce projet, le média commencera à former les rédactions turques sur la manière de mieux gérer la désinformation.

En d'autres termes, Teyit a trouvé sa place.

Conseil n°7, de Mme Jiménez : Ne soyez pas timide. Faites la promotion de votre entreprise partout où vous allez.

Ayez toujours sur votre téléphone un document d'une page décrivant votre organisation. Lorsque vous faites une présentation lors d'une conférence, n'oubliez pas d'inclure un code QR et/ou un lien vers votre organisation. Pensez également à apporter des cartes de visite pour établir des contacts lors de ces événements.

Mmes Jiménez et Çavuş ont suivi ces conseils tout au long de Global Fact 10 et en récolteront certainement bientôt les fruits.

 


Elevate est un programme de sept mois, divisé en trois phases : un sprint de connaissances dirigé par Babson College, une période de mentorat individualisé, et la distribution de subventions financières.

Photo de RF._.studio via Pexels.