Les médias indépendants en Algérie et la perpétuelle quête d’un modèle économique

23 sept 2022 dans Pérennité des médias
Alger, vue

En Algérie, la presse indépendante vit aujourd’hui une crise multidimensionnelle qui menace son existence même. La stagnation économique que connaît le pays n’aidant pas, plusieurs titres ont déjà disparu, d’autres sont confrontés à de graves difficultés financières à tel point qu’ils n’arrivent plus à payer leurs propres employés.  

Après une grève entamée le 12 juillet 2022 afin de réclamer leurs salaires impayés depuis le mois de mars, les 150 employés du quotidien El Watan ont repris le travail le 16 août, mais la survie de leur journal demeure toujours menacée

L’engrenage de la publicité publique

Des décennies durant, une très grande partie de la presse algérienne a bâti son modèle économique autour de la distribution de la publicité institutionnelle par l’Agence nationale d'édition et de publicité (Anep), qui est l’organe gouvernemental utilisé par l’État algérien pour contrôler le contenu éditorial. Ainsi, les médias profitent de la manne des annonceurs publics tant qu’ils campent sur une ligne éditoriale conciliante avec le pouvoir en place. Et parce qu’ils ont plus ou moins dévié de cette ligne, de nombreux médias ont vu ces ressources se tarir brusquement. En outre, la crise économique qui frappe le pays fait que des annonceurs privés, tels que les concessionnaires automobiles, qui autrefois étaient pourvoyeurs d’une importante manne publicitaire, ont maintenant quasiment disparu. 

Cette nouvelle donne contraint les responsables des anciens médias à chercher des alternatives et pousse les nouveaux éditeurs à adopter de nouveaux modèles économiques, non sans grande difficulté.  

Le contenu payant par le biais des abonnements 

Le retard pris par le paiement électronique en Algérie n'a pas permis à la presse de bénéficier des revenus de la monétisation de son contenu en ligne. Le paiement électronique reste largement insuffisant dans le pays. En outre, certains médias se plaignent de la difficile interopérabilité des systèmes de paiement en ligne entre les banques et la poste, ainsi que de l’absence d’une offre variée pour paiement depuis l’étranger.  

C’est le cas notamment du journal Twala.info qui offre un contenu désormais totalement payant à travers l’abonnement
 

Google AdSense

La monétisation de l’audience via AdSense permet aux éditeurs de sites médiatiques de générer des revenus grâce à leurs visiteurs web. C’est le modèle que semble adopter des journaux électroniques algériens tels que ObservAlgérie, Algérie 360 et  Dzair Daily

À la question de savoir si ce modèle est viable en Algérie, une source d’ObservAlgérie, qui a requis l’anonymat, affirme que cela dépend du nombre de visites sur le site web, ainsi que du lieu de résidence des visiteurs. Il n’est pas possible de savoir avec exactitude combien gagnent les médias algériens grâce à Google AdSense, car ce dernier a mis en place un barème de calcul qui varie selon les pays, les périodes et les attentes des annonceurs. Les journaux électroniques algériens qui ont plus de visiteurs depuis l’Europe, les Amériques ou les pays du Golfe gagnent nettement mieux que ceux dont l’essentiel des visiteurs sont basés en Algérie.

Selon notre source, ObservAlgérie cible des internautes basés au Canada ou en France, pays de de résidence d’une importante diaspora algérienne. "Il y a des sujets qui génèrent plus de RPM (revenus pour mille impressions) que d’autres. Les articles traitant de sujets politiques ont un RPM très faible, comparés à ceux traitant, par exemple, des vols internationaux."

Le financement collaboratif 

Dans de nombreux pays, de nouveaux modes de financement collaboratifs voient le jour en vue d’innover dans le domaine médiatique et d’assurer la viabilité à long terme des salles de rédaction. Souvent, la dimension collaborative comprend en toute évidence le volet financier. 

Cependant, en Algérie, dans un contexte politique particulièrement tendu, cela peut être marqué du sceau du "financement étranger" et exposer les éditeurs à des poursuites judiciaires ; ce qui réduit considérablement le spectre des possibilités pour les médias algériens. 

Il est à souligner que tous les éditeurs en Algérie n’optent pas pour un modèle économique unique à l’exclusion de tous les autres. Il y en a qui adoptent deux, voire trois modèles à la fois selon les moyens et les opportunités qui s’offrent à eux. C’est notamment le cas de certains médias qui continuent à bénéficier de requêtes publicitaires privées tout en optant pour Google AdSense afin de diversifier les revenus. TSA en est l’exemple. 

Aujourd’hui, force est de constater que la presse algérienne est toujours en quête d’un modèle économique susceptible de lui garantir une douce transition dans un contexte mondial d’incertitude et de forts remous économiques. Une transition économique qu’on ne peut envisager à l’écart du contexte politique et de l’écosystème dans son ensemble. 


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