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"Si votre mère vous dit 'Je t'aime', vérifiez les faits", affirme Muhammad Saqib Tanveer, rappelant une phrase que lui avait dite le premier responsable éditorial avec lequel il a travaillé. "Normalement, on ne remet pas en question l'amour d'une mère, mais un journaliste n'a pas ce luxe."
Ce souvenir guide M. Tanveer dans l'exercice de son métier. Les journalistes sont des conteurs, mais ces récits n'ont pas de valeur s'ils ne sont pas crédibles, dit-il. Afin de gagner la confiance du public, ils doivent prioriser leur crédibilité.
M. Tanveer a grandi au Pakistan et a commencé sa carrière dans le domaine du développement au sein du ministère de l'aménagement, du développement et des réformes. Cependant, il s'est vite rendu compte que sa passion était de raconter des histoires. A cette époque, les journalistes étaient considérés comme des notables au Pakistan, mais peu de temps après, le gouvernement a commencé à s'immiscer dans les émissions et les journaux, anéantissant la confiance du grand public envers la presse.
En 2007, les mouvements politiques contre le président, le Général Pervez Musharraf, ont envahi les ondes. Rapidement, les chaînes de télévision et de radio étaient mises sous silence à grands renforts de restrictions gouvernementales. Tous les médias qui ne soutenaient pas le président étaient suspendus et les chaînes telles que la BBC, CNN et Fox n'étaient plus autorisées à diffuser.
"Les gens ne font pas confiance aux médias. Cette crise de confiance est un phénomène mondial, mais il est particulièrement prégnant au Pakistan", explique M. Tanveer. Il s'est ainsi donné pour objectif de leur faire changer d'avis et de restaurer la confiance du public pour les journalistes.
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En 2008, M. Tanveer a étudié le journalisme à l'Université du Punjab. Il a enchaîné avec des études en relations internationales à l'Université de Preston. "Ça vous donne une vision globale, allant des perspectives d'un nouveau monde aux questions sociales", dit-il.
Après ses études, M. Tanveer a été sélectionné dans la promotion 2016 du programme Emerging Leaders of Pakistan organisé par l'Atlantic Council, une opportunité trouvée sur IJNet. M. Tanveer s'est ainsi rendu aux Etats-Unis pour découvrir de nouvelles politiques publiques, étudier les relations entre le Pakistan et les USA et visiter les institutions gouvernementales à Washington D.C.
"Nous étions là pour apprendre. Mais en tant que journaliste, même lors du déjeuner ou du thé, on est à l'affût de sujets", raconte-t-il. "En me baladant, je voyais des artistes faire leur numéro au chapeau dans la rue. J'ai trouvé ça très intéressant, notamment de mon point de vue pakistanais. Les gens chez nous ne dansent pas dans la rue pour de l'argent. Tout peut donc devenir un sujet."
Plus tard cette année-là, il a couvert les présidentielles américaines de 2016 pour le média pakistanais Geo News.
Après avoir été témoin de la bataille des Etats-Unis contre la mésinformation et la désinformation pendant et suivant l'élection de Donald Trump, M. Tanveer a pris toute l'ampleur du déficit de confiance dont souffrait le journalisme. A son retour au Pakistan en 2017, il s'est mis à étudier les méthodes de fact-checking.
"Quand je suis revenu, le Pakistan était également en pleine période électorale", dit-il. "J'avais une conviction : les élections de 2018 se joueraient au niveau de l'information."
En 2017, avant le début de la campagne, M. Tanveer a donc lancé FactNama, le premier projet de fact-checking au Pakistan. FactNama est une association sans but lucratif qui lutte contre les fake news. Composée d'une équipe de deux personnes, elle cherche à vérifier si les informations douteuses qui circulent au Pakistan sont vraies, sur la base de recherches d'informations et de sources permettant de les corroborer. Seuls quelques articles ont pu être publiés, faute de financements et de moyens dédiés.
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"Pour citer un fait, attribuez-le à une étude. Pour une citation, attribuez-la à une source. Limitez le recours aux sources anonymes," liste M. Tanveer. Ces principes de base du fact-checking sont ceux qu'il applique chez FactNama et dans le reste de son travail journalistique. "Si quelqu'un veut le remettre en question, il peut se référer aux sources lui-même."
Aujourd'hui, la censure et la défiance existent toujours au Pakistan. De nombreux médias s'autocensurent par peur des représailles. Les médias internationaux, de leur côté, peuvent exercer sans trop de contraintes. M. Tanveer travaille actuellement pour l'un d'eux, l'Independent Urdu, où il est responsable éditorial chargé des réseaux sociaux. Il occupe ce poste depuis le lancement du média en 2019 et supervise la mise en ligne de contenus digitaux sur des plateformes telles que Facebook et Twitter, qui ont contribué à faire de ce site un des plus suivis au Pakistan.
Au sein de l'Independent Urdu, M. Tanveer a couvert des enquêtes sur des ministres du gouvernement, les impacts du changement climatique et l'élection présidentielle américaine de 2020, qu'il décrit comme un des sujets les plus compliqués qu'il ait eu à traiter. A cause des restrictions en vigueur à cause du COVID-19, il était le seul journaliste de son organe de presse autorisé à se rendre aux Etats-Unis pour couvrir la campagne.
"Je devais tout faire : réaliser des vidéos, rédiger des articles et faire des lives quotidiens sur Facebook," se souvient-il. "Je n'avais aucune aide, il n'y avait pas d'équipe de montage, c'était très difficile."
Dans sa carrière, M. Tanveer a rencontré des journalistes pour lesquels la sortie d'un scoop se faisait au détriment de l'éthique journalistique, sans les vérifications des faits ou les sources requises. "L'authenticité est plus importante," affirme-t-il. C'est pourquoi il pense qu'une bonne formation est essentielle. "Ce n'est pas tant une question de technologie", ajoute-t-il. "Mais plutôt de notre formation en tant que journalistes."
Dans l'image principale, M. Tanveer interviewe le maire de Lahore au sujet de la préparation des élections de 2016. Crédit photo : Abid Hameed