Journaliste du mois : Chani Guyot

8 févr 2023 dans Journaliste du mois
Chani Guyot

Pour le journaliste argentin Chani Guyot, le journalisme repose sur l'utilité et l'impact. Lorsqu'il a constaté que sa communauté, en Argentine, évitait les informations, il a compris qu'il était impératif que les journalistes s'engagent davantage auprès de leurs publics.

M. Guyot a travaillé pendant plus de 20 ans pour le journal argentin La Nación, où il a été le premier directeur de l'innovation, dirigeant des équipes chargées de moderniser le journal, avant d'en devenir le rédacteur en chef. Il est parti pour développer un nouveau projet de média et a lancé en avril 2018 RED/ACCIÓN, une plateforme numérique qui implique activement les publics tout en adoptant une approche basée sur les solutions, dans le but de favoriser un impact positif sur la société.

Actuellement lauréat du programme ICFJ Knight, M. Guyot travaille à la création d'un nouveau réseau de collaboration dans le cadre de RED/ACCIÓN, appelé Human Journalism Network, qui cherchera à raconter comment les personnes, les communautés et les organisations font face et résolvent les problèmes les plus urgents d'aujourd'hui. L'initiative encouragera le partage de contenu entre ses 20 membres, en espagnol et en anglais.

Comment avez-vous démarré votre carrière en journalisme ?

J'ai commencé à écrire pour le journal de mon école, c'était une édition papier. De rédacteur, je me suis retrouvé à faire de l’édition et de la conception… C’était encore un moment [de l'industrie de l'information, où] nous devions aller chez l’imprimeur pour tirer les colonnes. Ensuite, on les découpait et on les collait sur une page, puis on imprimait tous les journaux. J’ai eu le coup de foudre.

Après avoir collaboré avec quelques magazines et travaillé en tant que pigiste, j'ai commencé en 1996 à travailler à La Nación, un grand journal de Buenos Aires, en Argentine, où j'ai tout appris du métier.

Il ne m'est jamais venu à l'esprit de faire autre chose que d'être journaliste orienté sur la supervision éditoriale. Je me considère comme un généraliste, pas comme un spécialiste. C'est l'approche que j'ai toujours essayé d'avoir.

Pourquoi avez-vous lancé RED/ACCIÓN, et pourquoi choisir une approche journalistique basée sur les solutions et l’aspect humain ?

Nous avons construit RED/ACCIÓN avec une petite équipe. Nous nous sommes concentrés sur un journalisme qui se soucie de son impact, et de la manière dont il affecte son public et le monde. À cette époque et depuis quelques années auparavant, je connaissais le journalisme de solutions et j'en aimais le concept. Mais au début des réflexions sur RED/ACCIÓN, nous étions convaincus qu'il était impossible de construire un média uniquement basé sur le [journalisme de solutions].

Nous avons repensé notre travail selon le concept de "journalisme humain", où nous ajoutons à certaines approches journalistiques des méthodes différentes de celles des grands médias mais que nous pensons comme parties intégrantes du [journalisme]. Par exemple, nous aimons les histoires des gens, et parfois [ces personnes] sont des héros. Nous accordons beaucoup d'attention à la manière dont nous interagissons avec nos publics. Et encore une fois, tous ces ingrédients composent ce que nous appelons le "journalisme humain".

C'est aussi une idée philosophique : lorsque nous publions quelque chose, nous nous demandons quel est l'impact de ce que nous publions sur nos concitoyens, sur le public et sur les personnes dont nous faisons le portrait.

Comment travailler avec le programme Velocidad de l’ICFJ en 2020 a-t-il aidé RED/ACCION ?

Lorsque nous avons commencé, nous savions que l'évitement des actualités était un vrai problème. Et d'une certaine manière, nous avons créé RED/ACCIÓN pour y faire face, pour y trouver une solution, pour voir ce que nous pouvons faire sur le sujet.

Mais bien sûr, nous travaillons aussi dans une optique de durabilité. L'un des nombreux changements qui interviennent dans notre secteur concerne également les modèles économiques et la pérennité. Velocidad nous a donné une forte impulsion qui nous a poussés à lancer notre agence de contenu qui, l'année dernière, a été une source de revenus très importante pour notre média.

Cela dit, je dois dire que même si nous avons remporté de nombreux prix, que nous avons une forte audience et que nous faisons quelque chose d'important et de pertinent, nous sommes toujours à la recherche d'un modèle économique solide. Cela fait toujours partie du jeu et de ce que nous essayons d'accomplir. Avec Velocidad, nous avons fait un grand pas en avant sur la façon dont il faut gérer une start-up dans les médias. Par ailleurs, je dois dire qu'en Argentine, le contexte commercial est très perturbé : n’oublions pas que nous avons un taux d'inflation de 100 %. C'est un défi pour toute entreprise.

Comment IJNet a-t-il aidé votre carrière ?

Je crois que pour connaître le secteur aujourd'hui, ça ne se trouve pas dans les livres. Aujourd'hui, la connaissance du secteur, elle est dans des médias comme IJNet. Chaque fois que vous trouvez un cas pratique ou un dossier sur un aspect spécifique de notre métier, eh bien, c'est là qu’on apprend. Bien sûr, on apprend de son expérience, de ses succès et de ses échecs, mais on apprend aussi des autres.

Je lis régulièrement des publications comme IJNet, qui rendent compte de ce qui se passe dans notre métier avec ce type d'approche, ou parle de ce qui se passe dans ce monde, ou de ce que des médias ont réussi à faire sur leurs propres marchés. Je pense que l'apprentissage entre pairs est essentiel à l'heure actuelle dans le journalisme. Je suis vraiment convaincu que faire partie d'alliances, de partenariats et d'apprentissage entre confrères et consœurs est essentiel en ce moment pour le journalisme et les médias.

Quel a été votre projet préféré et pourquoi ?

Nous croyons, et nous comprenons, que RED/ACCIÓN est aussi une plateforme d'expérimentation. Et l'une des plus belles histoires que nous ayons racontées, en raison de la façon dont nous l'avons écrite, est probablement une vidéo réalisée en partenariat avec une organisation civique de la société civile, ici en Argentine. Elle s'appelle Techo, ou "Toit", et travaille à la construction d'abris et de maisons pour les personnes qui vivent dans la rue ou dans de très mauvaises conditions sanitaires. Nous voulions créer une sorte de vidéo à la première personne [sur] ce que vivent ces gens lorsqu'il pleut et qu'ils ont peur que l'eau entre chez eux.

Notre équipe s'est réunie avec ces familles, nous leur avons parlé du projet et elles se sont lancées. Nous avons créé un groupe WhatsApp, puis nous avons dû attendre qu'un orage se produise. En temps réel, ils nous racontent, et nous ressentons, comment ils vivent ce moment, un moment particulier. En vidéo, c’est plus émouvant, bien sûr. Cela suscite beaucoup d'empathie. Cela nous montre qu'il y a beaucoup de place pour l'expérimentation dans la narration.

Je pense qu'en tant que profession, nous avons la responsabilité de continuer à expérimenter avec nos formats de narration et de continuer à relever notre défi le plus important. Il s'agit de tenir les gens informés de manière pertinente et intéressante pour aider nos publics à devenir de meilleurs citoyens et de meilleurs voisins.

Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?

Le Human Journalism Network, que nous venons de créer. Nous le lançons avec le soutien de l'ICFJ, et c'est le cœur de ma bourse ICFJ Knight. Nous voulons rassembler 20 médias du monde entier, publiant en espagnol et en anglais, autour d’une idée très simple : chaque partenaire apporte deux reportages originaux, correspondant à ce que nous avons appelé le journalisme humain. Nous nous occupons ensuite des traductions et des reproductions.

Nous pensons que nous pouvons, en moyenne, multiplier par 18 la portée [d'un reportage]. Ainsi, les articles [de l'auteur] vont toucher de nouvelles personnes, mais aussi permettre à 38 autres articles d'être publiés pour servir vos publics. Aussi simple que cela puisse paraître, c'est également délicat car cela exige une collaboration extrême : chacun doit faire son propre travail et veiller à ce que les articles soient le résultat d’un travail de reportage de qualité, qu’ils soient bien documentés, bien écrits, etc. Nous avons une grande confiance et beaucoup d'espoir pour ce type de projet qui, en un sens, tente d'étendre la pratique et la portée des reportages à l’approche personnelle issus du monde entier.


Photo fournie par Chani Guyot.

Cette interview a été raccourcie et éditée pour plus de clarté.