Couvrir la crise des réfugiés ukrainiens en Pologne

11 avr 2022 dans Reportage de crise
Agnieszka Żądło avec des réfugiés

Lorsque la Russie a lancé son invasion de l'Ukraine fin février, Agnieszka Żądło, journaliste de Newsweek âgée de 34 ans, s'est sentie comme réveillée en sursaut. Incrédule et agitée, elle était incapable de se concentrer sur quoi que ce soit d'autre que les nouvelles de la guerre.

Basée à Varsovie, en Pologne, Mme Żądło a écourté ses vacances pour se rendre à la frontière du pays avec l'Ukraine. Les villes frontalières polonaises de Hrubieszów, Korczowa, Medyka, Przemyśl et Ustrzyki Dolne avaient réservé tous les logements à louer aux réfugiés, si bien qu'elle et d'autres professionnels des médias ont eu des difficultés pour trouver des hôtels disponibles et abordables, même plus loin.

"L'ambiance à la frontière ukrainienne était différente de celle que j'ai connue, il y a seulement quelques mois, à la frontière biélorusse", raconte Mme Żądło, en référence à son reportage sur la crise des réfugiés le long de la frontière entre la Biélorussie et la Pologne l'année dernière, où les autorités polonaises n'étaient pas si accueillantes. "[Dans la crise des réfugiés en Ukraine, il n'y a] pas de censure, pas d'état d'urgence. Les forces de sécurité et de police ont fait preuve de compassion, aidant à porter les affaires des femmes et des enfants réfugiés dans leurs bras."

Depuis que la guerre a éclaté, plus de 4 millions d'Ukrainiens ont fui leur pays, dont près de 2,5 millions vers la Pologne. Des journalistes, ukrainiens ou correspondants étrangers, ont risqué leur vie pour rendre compte de la crise des réfugiés et des nombreux autres aspects de l'invasion russe.

Avant que Mme Żądło ne parte pour l'Ukraine, Newsweek lui a donné une formation sur la sécurité, et l'a équipée d'un casque, d'un gilet pare-balles et d'un GPS. Lors de son premier jour à Lviv, dans l'ouest de l'Ukraine, elle a porté le même gilet pare-balles, même s’il était très inconfortable. Le lendemain, elle l'a recouvert d'une veste d'hiver. Elle ne voulait pas effrayer les personnes déplacées qui arrivaient en masse du fin fond de l'Ukraine.

 

 

Agnieszka Żądło with winter jacket over bulletproof vest
Crédit photo : Roman Grigorij.

 

"Lorsque je suis arrivée à Lviv, il y avait déjà un couvre-feu et aucun hébergement ; la première nuit, je n'ai eu d'autre choix que de dormir sur le sol froid de la gare", raconte Mme Żądło. "Il y avait des alarmes plusieurs fois par jour, mais personne ne courait vers les abris, contrairement à d'autres régions d'Ukraine où les villes sont bombardées."

Mme Żądło est depuis rentrée de son voyage de reportage et est maintenant en vacances à Mazury, en Pologne. Loin du conflit, l’adrénaline descend doucement et elle essaie d'arrêter de manger des sucreries compulsivement. Elle allume Netflix, mais au lieu de choisir un divertissement léger, elle lance How to Become a Tyrant.

Ses yeux s’embrument lorsqu'elle se rappelle les images et les conversations qu'elle a eues avec des femmes et des enfants réfugiés quelques jours plus tôt. Heureusement pour Mme Żądło, son employeur couvre les frais d'une psychothérapie régulière.

Elle repense à son dernier déplacement, au cours duquel elle a notamment aidé des journalistes de Taïwan à entrer en Ukraine pour leur reportage.

"Je devais rencontrer des journalistes taïwanais et les emmener à Lviv. Ils étaient venus en Pologne pour couvrir la crise des réfugiés et voulaient entrer en Ukraine pour écrire sur la guerre. J’étais leur fixeuse", se souvient-elle. "Il y a eu une explosion à Jaworów, à 25 kilomètres de la frontière polonaise. Je me suis dit que c'était une excuse pour ne pas y aller. Je n'avais plus la force et j'avais trop peur."

 

 

Agnieszka Żądło with refugees
Photo fournie par Agnieszka Żądło.

 

À travers tout cela, sa famille est au centre des préoccupations de Mme Żądło. Surtout lorsqu'il s'agit d'expliquer le danger à son jeune fils.

"Mon fils a 11 ans", dit-elle. "Que je sois à Przemyśl en Pologne ou à Lviv en Ukraine, cela ne fait aucune différence pour lui ; dans son esprit, je pars à la guerre, et ça le met en colère. Je lui dis que c'est un moment critique de l'histoire du monde et que je dois être là, que ce travail est ma passion, mais il ne fait que demander : ‘Maman, d’autres ne peuvent-ils pas y aller ?’".

Mme Żądło conseille à son fils d'être proactif, de participer à l’effort. "L'aide humanitaire aide à gérer les émotions, alors je lui ai proposé de cuisiner des crêpes et de les apporter à la gare centrale de Varsovie, où il y a beaucoup d'enfants ukrainiens déplacés, et qui aiment les sucreries", dit-elle.

"Les journalistes polonais essaient toujours d'aider", souligne Mme Żądło, racontant ce qu’elle a vu à la frontière. "Vous avez de la place dans la voiture, alors vous livrez de la nourriture et des médicaments de la part de groupes d'aide."

Les journalistes de Taiwan lui ont demandé : "Pourquoi les Polonais se sont-ils précipités pour aider autant ?" L'une des raisons est la peur que cette guerre puisse aussi leur arriver.

Aider les réfugiés au-delà du reportage

Kamil Bałuk est un journaliste indépendant de 34 ans, originaire de Varsovie, auteur de reportages, de podcasts et de livres de non-fiction et père d'une fille de 3 ans et d'un fils de 9 mois.

Lorsque la Russie a envahi l'Ukraine, le projet de livre sur lequel il travaillait, sur les Pays-Bas contemporains, lui a soudainement paru sans importance. Il voulait faire quelque chose, mais quoi ? Il ne parle ni le russe ni l'ukrainien, et ne connaît pas l'histoire et les problèmes de ces deux pays. Contrairement à de nombreux Polonais qui ont accueilli des réfugiés sous leur toit, il ne pouvait pas aider car son appartement est petit et ses enfants ont des problèmes de santé.

Cependant, M. Bałuk a du temps et une voiture avec des sièges pour enfants. Il a appelé un groupe de bénévoles, Zasoby, et s'est inscrit pour être chauffeur, afin de conduire les réfugiés arrivant à la gare jusqu'à l'appartement de leurs hôtes. "Ces femmes et ces enfants préfèrent des conductrices ; malheureusement, la plupart des conducteurs sont des hommes. Pour atténuer leur peur, je leur montre une photo avec ma femme et mes enfants à la piscine, où j'ai l'air joyeux et inoffensif."

M. Bałuk a commencé à se calmer après ses deux premiers créneaux de bénévolat, se souvient-il. "Pour la première fois de ma vie professionnelle, je ne veux pas agir comme un journaliste", dit-il. "Si les réfugiés dans ma voiture sont silencieux, je le suis aussi".

Il a vu de près les effets de la guerre grâce à cette activité bénévole. "Une fois, j'ai demandé à une mère et à sa fille adolescente d'où elles venaient, et elles ont répondu Kharkiv. Ce jour-là, Kharkiv avait été lourdement bombardée ; que demander ensuite ? Toute question semblait stupide", dit-il. "Il était minuit, et cette femme a soudainement dit qu'elle n’y croyait pas d’être à Varsovie. Dans le rétroviseur, une larme coulait sur sa joue, mais la seconde d'après, elle affichait le visage d'une femme forte et aisée d'une grande ville."


Image principale fournie par Agnieszka Żądło.