Ceci est le deuxième article d’une série dédiée aux médias en exil. Vous pouvez lire le premier article au sujet de médias biélorusses ici.
Depuis près de 10 ans, le média indépendant Meydan TV, ou "La place publique" en français, couvre l'actualité en Azerbaïdjan tout en étant basé à Berlin, en Allemagne. Partenaire de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project, le média diffuse ses contenus en russe, en anglais et en azerbaïdjanais.
"Bon nombre des fondateurs de [Meydan TV] étaient en exil ou avaient décidé de quitter [l'Azerbaïdjan]", raconte Matthew Kasper, le directeur actuel du média. "Ils pensaient qu’il manquait d'espace pour le débat public en Azerbaïdjan, et ils voulaient changer cela". Emin Milli est l'un de ces fondateurs. Il avait subi des pressions de la part des autorités azerbaïdjanaises et avait passé plus d'un an en prison avant de fuir le pays.
Média en ligne qui privilégie le contenu vidéo, Meydan TV concentre ses reportages sur les questions de corruption, de politique et de droits des citoyens. Selon M. Kasper, il s'agit de l'un des plus grands médias indépendants à destination du public azerbaïdjanais, de taille comparable aux services azerbaïdjanais de Radio Free Europe/Radio Liberty et de la BBC.
Le contenu de Meydan TV est diffusé principalement sur les réseaux sociaux, en grande partie parce que son site web est bloqué en Azerbaïdjan depuis cinq ans, explique M. Kasper. Le média compte près de 940 000 abonnés sur Instagram et près de 790 000 sur Facebook. Plus de 520 000 utilisateurs suivent Meydan TV sur YouTube. Selon M. Kasper, le site lui-même reçoit environ 80 000 à 90 000 visiteurs chaque mois.
La liberté de la presse en Azerbaïdjan
Classé 167e sur 180 pays dans le classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, le secteur de l'information en Azerbaïdjan est réparti entre l'opposition et les médias pro-gouvernementaux, selon ce rapport de Media Landscapes. Les médias de l'opposition ont subi des pressions pour leur reportages indépendants, tandis que les médias pro-gouvernementaux contrôlés par l'État ont bénéficié d'avantages tangibles, tels que des logements.
Meydan TV a quelques journalistes collaborateurs basés en Azerbaïdjan. Ces derniers ont fait l'objet de pressions de la part des autorités locales. À différentes occasions, ils ont été interdits de voyage à l'étranger, ont reçu des menaces de mort, leurs téléphones ont été piratés et espionnés, selon M. Kasper. Il ajoute que le compte Facebook de Meydan TV a également été compromis à plusieurs reprises.
Meydan TV suit de près les événements et les développements en Azerbaïdjan pour assurer la sécurité de ses employés. La rédaction consulte également des experts, produit des manuels sur les meilleures pratiques de reportage et forme ses journalistes à la sécurité numérique et physique.
Les avantages du travail en exil
Ces dernières années, les autorités azerbaïdjanaises ont adapté leurs stratégies de répression du journalisme indépendant. Elles n'arrêtent plus les journalistes aussi souvent, raconte M. Kasper, mais elles ont augmenté la fréquence des attaques numériques. Au final, la situation reste difficile pour les journalistes. "Au cours des deux dernières années, la situation est passée de très mauvaise à tout simplement mauvaise", dit M. Kasper.
En opérant depuis l'étranger, la rédaction de Meydan TV évite bon nombre de ces tentatives de silenciation de ses reportages. Le média a également installé ses serveurs en dehors de l'Azerbaïdjan, ce qui lui permet de sauvegarder des documents et des comptes importants hors de portée des autorités azerbaïdjanaises.
Selon M. Kasper, les journalistes de Meydan TV sont motivés par la volonté de produire des reportages indépendants et de qualité, tout en aidant les lecteurs à reconnaître et à défendre leurs droits. "Nous essayons de faire de l'Azerbaïdjan un endroit meilleur, et nous donnons aux gens la possibilité de surmonter la désinformation", affirme-t-il. "Vous ne serez peut-être pas en mesure d'arrêter la corruption aux niveaux les plus élevés, mais au moins vous la combattrez aux niveaux inférieurs."
M. Kasper poursuit : "Vous avez écrit sur la corruption, et personne n'a été licencié ? Les changements sont toujours en cours. L'état d'esprit des gens change. C'est définitivement mieux que rien. Et parfois le statu quo évolue extrêmement vite."
Assurer les financements
Meydan TV est principalement financé par des bourses, avec un soutien supplémentaire provenant de dons et de crowdfunding, selon M. Kasper. L'équipe éditoriale est également toujours à l'affût de nouveaux moyens de monétiser le contenu.
Pour obtenir des subventions, Meydan TV est transparent sur le contexte dans lequel le média doit évoluer en Azerbaïdjan, expliquant pourquoi ses opérations sont basées à l'étranger et les avantages que cela offre. "Parfois, nous rencontrons des difficultés lorsque les bailleurs veulent soutenir des médias à l'intérieur du pays, mais généralement, il s'agit simplement de bureaucratie", explique M. Kasper. "Nous devons expliquer pourquoi le média travaille depuis l'étranger, et on arrive à trouver un compromis la plupart du temps."
Les médias doivent identifier les opportunités de financement dont les objectifs correspondent aux leurs, et faire des promesses réalistes sur ce qu'ils peuvent accomplir, conseille M. Kasper. Il est également essentiel, ajoute-t-il, de faire preuve de professionnalisme, de respecter les délais et de gérer l’argent octroyé de manière responsable. "Tout cela permet de gagner la confiance", explique M. Kasper.
Aux collègues journalistes et rédactions qui se trouvent dans des situations similaires de travail en exil, M. Kasper conseille de se renseigner auprès de ceux qui ont déjà fait face à ces soucis, comme ces journalistes biélorusses, par exemple.
Cet article a d’abord été publié sur IJNet en russe.
Photo de Sam McGhee sur Unsplash.