Ce que le journalisme visuel peut nous révéler des réponses de différents pays face au COVID-19

15 déc 2021 dans Couvrir le COVID-19
COVID-19 : des gens se font tester

La pandémie de COVID-19 a plongé le monde dans un cycle rapide d'urgences en urgences sans fin. Le public comme les journalistes n'ont pu se concentrer sur les actualités chaudes, ce qui était peut-être inévitable. Mais cela a eu un coût : il a été difficile de prendre de la hauteur et d'avoir une vue d'ensemble de ce qui se passait.

Les data-journalistes l'ont ressenti en rapportant constamment les derniers chiffres relatifs à la pandémie. Ils ont rarement pu prendre du recul et réfléchir à la pandémie de manière plus systématique. C'est pourquoi nous avons lancé The Great Wave.

The Great Wave est un projet de data-journalisme que j'ai lancé pendant une année d'accompagnement à l'International School for Advanced Studies (SISSA) à Trieste, en Italie, un centre de recherche axé sur la physique, les neurosciences, les mathématiques et la communication scientifique.

En tant que chef de projet et journaliste visuel, j'ai pensé que c'était l'occasion idéale de faire une pause dans l'écriture d'urgence sur la pandémie à laquelle nous nous consacrons tous depuis près de deux ans maintenant. Avec mon équipe, nous voulions avoir une vision plus large de ce qui s'est passé en 2020, en nous concentrant sur les meilleures preuves disponibles.

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Nous avons passé au crible des centaines d'études scientifiques pour faire ressortir celles qui illustraient le mieux ce que nous avons appris jusqu'à présent. Nous avons également parlé à des dizaines d'experts qui nous ont guidés à travers l'incertitude des nombreuses choses que nous n'avons pas encore totalement comprises, du COVID long aux effets du virus sur la santé mentale.

En collaboration avec le département de datasciences de SISSA, nous nous sommes par moments retrouvés à travailler avec de grandes quantités de données. Il était important pour nous d'afficher les chiffres de manière simple. Notre processus était rigoureux, mais nous voulions que les données soient également accessibles aux non-experts. C'est pourquoi la visualisation des données était un élément-clef : elle peut nous aider à comprendre de nombreux aspects de la crise du COVID-19.

Nous nous sommes associés à la spécialiste de la datavisualisation Federica Fragapane, afin d'humaniser nos données. Dès le début, nous avons décidé que nos visualisations de données devaient montrer que nous parlions de personnes réelles et de leurs histoires, et pas seulement de chiffres abstraits. Nous avons passé beaucoup de temps à déterminer les modèles qui répondent le mieux à cet objectif, et nous avons opté pour les visualisations suivantes.

 

 

Nous espérions que les chiffres n'enlèveraient rien à la dimension humaine de ce projet.

Le projet explore le début de la pandémie, depuis les premiers cas documentés jusqu'à la grande épidémie de Bergame, dans la région de Lombardie en Italie, en montrant les effets sur la santé physique et mentale des personnes, l'économie et la société en général.

Il permet également aux lecteurs de voir d'un seul coup d'œil les différentes réponses à la pandémie : qu'avons-nous pensé du virus ? Était-ce la bonne vision ? Dans de nombreux grands pays occidentaux, les politiques étaient axées sur le confinement et la quarantaine, tandis que les dirigeants basaient leurs mesures de santé publique sur l'hypothèse que le SARS-CoV-2 se comportait comme les virus de la grippe. Lorsqu'il est apparu que le virus était en fait très différent, les mesures ont mis du temps à changer, et dans de nombreux cas, elles n'ont jamais évolué. La visualisation des données nous a permis d'apprendre cela aussi.

 

 

D'autres pays, dont beaucoup en Asie, ont pu mieux comprendre le comportement du SARS-CoV-2 dès le début et ont agi en conséquence. À la mi-janvier 2020, il a été conseillé aux habitants de Hong Kong d'éviter les lieux bondés et mal ventilés, par exemple. Pendant ce temps, d'autres pays occidentaux ont mis des mois à accepter que le virus puisse être transmis par voie aérienne.

 

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En janvier de la même année, des usines japonaises ont commencé à produire des masques chirurgicaux 24 heures sur 24. À l'autre bout du monde, on a conseillé aux gens de ne pas les utiliser, et dans certains cas, on en a même fait une bataille politique. Le contact tracing poussé et l'utilisation d'applications de traçage ne se sont pas imposés d'emblée en Occident, alors que dans des pays comme la Corée du Sud et Taïwan, entre autres, leur utilisation a permis d'identifier et d'isoler les chaînes de transmission.

Le résultat final de l'approche suivie par de nombreuses nations européennes et les États-Unis a conduit à certains des pires résultats possibles : un nombre élevé de décès, des économies paralysées et souvent la nécessité de restreindre fortement les libertés individuelles pour éviter l'effondrement des systèmes de santé. Les pays qui ont su le mieux suivre la recherche scientifique et adapter leurs réponses à celle-ci ont connu beaucoup moins de décès et de formes graves, et ils n'ont pas été contraints d'arrêter leur activité économique ou de restreindre les libertés individuelles aussi souvent.

Les résultats de notre projet ont été présentés dans les médias nationaux et locaux en Italie, suscitant des débats sur le calendrier et l'efficacité de la réponse du pays à la pandémie. Certaines autorités de santé publique ont rejeté nos requêtes d'information, et le manque de transparence de données épidémiologiques cruciales a également été l'une des questions qui a donné lieu au plus de contestations.

Ce processus nous a appris que de nombreux aspects importants de la pandémie ne pouvaient être vus qu'en prenant quelques pas de recul. Un projet d'un an est rare, mais il était nécessaire pour nous permettre de mieux comprendre une crise de cette ampleur. Trop d'attention portée aux actualités quotidiennes rendait plus difficile de se concentrer sur le tableau d'ensemble. Le journalisme visuel nous a aidés à le saisir.


Photo de Jakayla Toney sur Unsplash.


Davide Mancino vit à Turin, en Italie. Il est journaliste visuel, designer d'informations et formateur. Il collabore notamment avec des médias aux États-Unis, comme Fivethirtyeight et Quartz, et d'autres en Espagne, en Allemagne et en Italie.