En France, l'inégale avancée des quotidiens régionaux dans le data-journalisme

بواسطة Emilie Chesné
Feb 18, 2022 في Data-journalisme
Une salle de rédaction

J’ai découvert le data-journalisme au cours de mon master. J’ai alors eu envie d’en apprendre plus sur le sujet. D’autant qu’on nous parlait dans les écoles de journalisme des data comme d’une nouvelle compétence, prometteuse d’opportunités professionnelles

Alors que je me renseignais sur les possibilités d'emploi en data-journalisme en presse quotidienne régionale (PQR), j’ai constaté que les rédactions des quotidiens régionaux perçoivent l’intérêt du data-journalisme pour monter en puissance sur le numérique. Mais rares sont les journalistes dont le poste est consacré à cela dans les titres de PQR. 

Face à ce paradoxe, j’ai voulu comprendre les difficultés que peuvent rencontrer les journalistes locaux lorsqu’ils travaillent à partir de données. Je me suis ainsi entretenue avec une dizaine de journalistes des principaux groupes ou organes de PQR français et en ai retenu trois écueils, détaillés dans cette publication pour le Magazin, site internet créé par mon école, l'Ecole Publique de Journalisme de Tours (EPJT)

1. Les situations varient selon les moyens du journal 

J’ai d’abord cartographié les pratiques dans les titres. Le Parisien, Le Télégramme ou Ouest-France ont des pôles data rattachés à leurs services web. Ebra, La Montagne ou Sud Ouest y consacrent une ou quelques personnes, référentes sur le sujet pour leurs collègues. La Nouvelle République du Centre-Ouest, La Dépêche du Midi ou encore La Voix du Nord encouragent leurs journalistes à faire des sujets à partir de données mais mettent peu de moyens dans ce sens pour se concentrer sur d’autres formats tels que la vidéo et le podcast

Ceux qui dédient des postes voire des équipes entières au data-journalisme sont les groupes les plus puissants, à l’influence autant locale que nationale, tels Ouest-France et Le Parisien.

Plus un journal est grand, plus il peut diviser les tâches et détacher un journaliste sur l’analyse de données.

Moins le titre a d’employés, plus les journalistes, éditeurs ou infographistes doivent être polyvalents et font des articles data en plus du reste. Bien qu’ils souhaitent se lancer sur des sujets ou des formats aussi poussés que les journalistes des cellules data, ils s’avouent contraints par le temps à revoir leurs ambitions à la baisse. 

2. Leur façon de travailler n'est pas toujours comprise 

Il faut donc que les journalistes soient moteurs. Mais, certains sont parfois réticents à se frotter aux chiffres, qu’ils considèrent détachés de la réalité du terrain ou trop complexes. Lors des entretiens, les data-journalistes témoignent de la difficulté à se faire comprendre par leurs confrères, qui assimilent parfois leur travail à de l’informatique. 

Toutefois, les mentalités évoluent, poussées par une nouvelle génération initiée à la data dans les écoles de journalisme et par la nécessité de s’intéresser aux chiffres depuis le début de la crise sanitaire

3. Les données ne sont pas toujours faciles d'accès 

Le dernier écueil est l’accès aux données elles-mêmes. Cependant, tous les journalistes ne ressentent pas cette difficulté avec la même intensité. Pour comprendre, j'ai interrogé un membre d'Etalab, l’administration chargée de la stratégie de l’État en matière de données, sur cette question. 

Il confirme que la situation diffère selon les régions car toutes les collectivités locales n’ont pas les mêmes pratiques en termes de numérique et d’ouverture des données. Certaines ne sont pas encore conscientes de l’intérêt de publier ces informations ou ne savent pas comment s’y prendre. À relativiser car la France est tout de même très avancée sur le sujet de l’ouverture des données. 

Au-delà des difficultés 

Pour conclure mon enquête, il fallait dépasser ces contraintes. C'est pourquoi j'ai mis en avant une démarche inédite en PQR : collaborer entre titres. C'est la prouesse réalisée par le collectif Data+local, une collaboration portée par 13 quotidiens régionaux, le magazine hebdomadaire La Gazette des communes, l’Agence France Presse et l’agence de création de datavisualisation Wedodata. 

Leur travail commun sur des enquêtes sur les liens entre l’industrie pharmaceutique et les centres hospitaliers universitaires locaux a montré les projets ambitieux qu’il est possible de construire autour de l’analyse de données et permis aux journalistes de mutualiser leurs efforts et leur temps de travail

Grâce à des initiatives comme celle-ci, au travail des data-journalistes pour démocratiser leur métier, à la formation des jeunes journalistes mais aussi à l’impact du COVID-19, la data tend à s’intégrer au panel de compétences, toujours plus large, des journalistes locaux.


Photo sous licence CC via Unsplash, felicia-buitenwerf