Des licenciements massifs à la diminution des revenus, en passant par le manque de confiance dans les médias et les mesures répressives de la liberté de la presse, le secteur de l’information est aujourd’hui confronté à de nombreux défis.
Mais plutôt que de se résigner à la défaite, certains journalistes prennent l’initiative de réorienter l’industrie vers ce qu’ils croient être un avenir plus prospère – en donnant la priorité au public avant tout.
“Le journalisme doit et peut être réinventé, et la seule façon d’y parvenir est de le faire ensemble”, éclaré Mattia Peretti, membre de l’ICFJ Knight, lors d’une session du Forum d’IJNet sur le reportage des crises.
M. Peretti, qui dirigeait auparavant JournalismAI, une initiative qui conseille les organismes de presse sur la manière d'utiliser l'IA de manière responsable, est le cofondateur des News Alchemists - “un mouvement qui invite les personnes et les organisations du journalisme à placer les besoins et la curiosité des gens et le bénéfice de la société au centre de tout”, explique-t-il.
Annika Ruoranen, responsable des services numériques de la société de radiodiffusion finlandaise Yle, Sannuta Raghu, membre de l'ICFJ Knight et productrice exécutive de la publication d'informations numériques indienne Scroll.in, et Aldana Vales, directrice des expériences d'audience chez Gannett, ont rejoint M. Peretti pour discuter de leur vision d'un avenir du journalisme centré sur le public.
Voici les principaux points à retenir de la session.
Ce que mettre le public au centre veut dire
Pour cibler leur public, les journalistes doivent réfléchir au contenu qu’ils souhaitent et à la meilleure façon de le leur proposer. “Lorsque vous comprenez votre public et que vous comprenez ses différents besoins et ses différentes manières d’utiliser les médias, vous pouvez mieux l’atteindre”, déclare Mme Ruoranen.
Mme Vales est du même avis : “Lorsque nous travaillons à rendre notre contenu accessible à différents publics, la première étape consiste toujours à comprendre ce qu'ils apprécient, où ils se trouvent, ce qui les intéresse et comment nous pouvons répondre à leurs besoins avec notre journalisme.”
Dans un exemple d'initiative créative centrée sur le public récemment entreprise par Gannett, Mme Vales a décrit comment son équipe a conçu des sous-bocks avec des codes QR à distribuer dans les bars locaux. Une fois scannés, les codes redirigent vers une page attrayante sur le site Web de la rédaction locale.
“En tant que personne qui réfléchit à l’expérience du public, j’ai pensé au contexte”, explique Mme Vales. “Quelqu’un peut se trouver dans un bar lorsqu’il découvre ces montagnes russes pour la première fois. Le contenu doit donc être suffisamment convaincant pour interrompre la conversation qu’il a avec ses amis.”
En fait, ils devaient s’assurer que la lecture du code QR serait une expérience “supplémentaire”, qui apportera de la valeur aux gens lors de leurs interactions sociales. En retour, ils s'engagent activement dans leur contenu et développent une association positive avec le média.
Un argument financier
En raison des difficultés financières qui frappent le journalisme, de nombreuses salles de rédaction prennent des décisions basées sur le profit, au lieu de donner la priorité au produit, explique M. Peretti.
“Je crois que le journalisme en tant qu’industrie – et c’est de notre faute à tous, pas à quelqu’un d’autre – a perdu son chemin parce que la situation économique est si désastreuse, et ce depuis si longtemps”, déclare-t-il. “Nous devons de toute urgence reconnaître ce fait et changer de cap. Nous devons nous concentrer à nouveau sur la qualité des produits et des expériences que nous créons pour les personnes que nous souhaitons servir.”
En adoptant une approche qui privilégie l’audience plutôt que le profit, les journalistes peuvent se concentrer sur l’impact de leur travail sur les gens, déclare M. Peretti. Ce faisant, les rédactions peuvent mieux relever les défis financiers, car les publics seront plus disposés à payer pour des contenus qui les intéressent.
“Je crois que les gens paient pour des informations, des produits et des expériences qui ajoutent de la valeur à leur vie, qui les aident à se frayer un chemin dans ce monde complexe dans lequel nous vivons, à établir des liens et à se sentir connectés les uns aux autres”, affirme-t-il.
Une industrie en mutation
Il peut être difficile d’évoluer vers une approche plus centrée sur le public, mais cela en vaut la peine, explique M. Peretti. “Le changement est difficile pour nous, êtres humains”, déclare-t-il. “Ce que nous faisons, d’une certaine manière, c’est essayer de créer une masse critique pour montrer non seulement pourquoi le changement est important, mais aussi pourquoi il est bénéfique pour tout le monde.”
Malgré les défis, ce changement doit avoir lieu, déclare Mme Ruoranen : “Nous devons avoir une relation plus personnalisée et plus intense avec les gens, pour avoir du sens et avoir une place dans ce paysage médiatique à l’avenir, pour rester pertinents pour les 100 prochaines années.”
Les rédactions ont déjà pris des mesures pour donner la priorité aux publics qu’elles servent, note Mme Raghu. “Il y a 10 ou 12 ans, l’atmosphère était très différente : les journalistes écrivaient pour les journalistes”, déclare-t-elle. Il sera essentiel de capitaliser sur cette dynamique. “L’industrie du journalisme se tourne automatiquement et de manière très organique vers une approche centrée sur l’utilisateur.”
Photo: Jamillah Knowles & Reset.Tech Australia / Better Images of AI / People on phones (portrait) / Licenced by CC-BY 4.0.