Les voix des personnes autistes sont largement sous-représentées dans l'écosystème médiatique mondial. Au Brésil, un média numérique dirigé par des Brésiliens diagnostiqués avec un trouble du spectre autistique tente de remédier à cela.
Créé en mai 2018, le média Introvertendo, ou "Introverti", produit des podcasts et d'autres contenus numériques sur l'autisme et ses liens avec les problématiques contemporaines.
Selon l'Institut national de la santé mentale des États-Unis, l'autisme est un trouble neurologique et du développement qui affecte la communication et les interactions sociales. Il est connu comme un trouble "spectral" car les symptômes varient considérablement d'une personne à l'autre.
"Tout a commencé avec un groupe thérapeutique pour les personnes autistes à l'Université fédérale de Goiás", explique Tiago Abreu, diplômé en journalisme et co-créateur d'Introvertendo. "Tous les jeudis, nous nous réunissions et j'ai commencé à remarquer que les conversations que nous avions étaient atypiques et très intéressantes. J'ai donc proposé de faire un podcast à ce sujet."
M. Abreu, 26 ans, a été diagnostiqué autiste en 2015, et est actuellement l'un des animateurs du podcast Introvertendo. Nous avons parlé de ce média unique, des défis et des opportunités qui accompagnent le lancement d’un média plus inclusif et adapté aux neurodivergents. L'interview suivante a été condensée et éditée pour plus de clarté.
Quels sujets sont couverts dans le podcast Introvertendo et qui y participe d’habitude ?
Introvertendo s'attache à discuter des caractéristiques du spectre autistique et à les relier à la culture et à la société. Par exemple, nous avons déjà réalisé des épisodes sur l'hyperfocalisation, la perception sociale des intérêts restreints des personnes autistes, la relation entre l'autisme et le changement climatique, etc.
Lorsque les sujets exigent des connaissances spécialisées, nous invitons généralement une personne du spectre et un professionnel. Parmi tous les invités qui ont participé au podcast, au moins 80 % étaient des personnes du spectre.
Quel épisode a créé le plus d’engagement avec le public ? Et quel est votre épisode préféré ?
L'épisode le plus commenté de tous les temps est "L'autisme infantile sans diagnostic". Dans celui-ci, nous avons principalement discuté de l'impact de ne pas obtenir un diagnostic de l'autisme dès le plus jeune âge. Dans l'ensemble, les épisodes sur le diagnostic semblent susciter le plus d'intérêt.
Pourtant, cette année, c'est l'épisode 206 qui a fait le plus parler de lui : "Personnes âgées atteintes d'autisme." L'autisme chez les personnes âgées n'est pas un sujet très discuté, nous avons même passé des mois à chercher des interviewés potentiels. Il a donc suscité beaucoup d'intérêt.
L'épisode que j'ai animé et qui m'a le plus marqué est "Manquer, ou pas" sur le sentiment de manque de quelque chose ou de quelqu'un. Il s'agissait d'une discussion sur ce que cela fait de ne pas manquer d'avoir eu des expériences de vie significatives, comme un premier baiser, car les personnes atteintes d'autisme n'ont souvent pas l'occasion de vivre de tels moments.
D’après vous, les médias brésiliens sont-ils près d’être inclusifs vis-à-vis de la communauté autiste ?
Lorsque les journalistes couvrent l'autisme et n'ont pas beaucoup de liens avec ce sujet, ils cherchent généralement des sources telles qu'une association ou un médecin, et finissent par exclure les personnes concernées. Mais je pense que cela est un reflet de l’organisation de la communauté autiste au Brésil.
Pendant de nombreuses années, les associations liées à l’autisme étaient composées exclusivement de mères et de quelques pères. Ce n'est que depuis environ trois ans que des personnes autistes participent à la direction des associations aux côtés des membres de leur famille. J'ai également remarqué cette année que l'on parlait davantage de l'autisme à l'âge adulte dans les grands journaux. Cela reflète une transformation lente mais progressive.
Cependant, certains stéréotypes sont encore présents dans les articles journalistiques. Des images comme celle d’un enfant blanc avec un puzzle sont souvent utilisées. Cela reflète les idées préconçues de la société sur l'autisme.
Internet et les nouvelles technologies participent-ils véritablement à rendre les médias plus inclusifs et accessibles aux personnes aux besoins particuliers ?
Pour sûr ! Auparavant, pour avoir une émission de radio, par exemple, les professionnels devaient voyager, avoir des contacts sociaux et interagir avec plusieurs personnes, ce qui est très difficile pour les personnes autistes. Mais maintenant, avec le podcasting, vous pouvez enregistrer chez vous, avec votre propre ordinateur, et diffuser votre émission dans le monde entier. Donc, juste du point de vue de la production, c'est un grand changement.
Aujourd'hui, il y a des Brésiliens autistes qui ont plus de 100 000 abonnés sur YouTube, ce qui est une visibilité très importante. C'est même plus fort que certaines chaînes anglophones qui traitent de l'autisme depuis longtemps.
Introvertendo utilise des outils d'accessibilité pour un public spécifique, mais cela profite en fait à tout le monde. Par exemple, nous utilisons “l’alt text" sur Instagram, nous avons un plugin Hand Talk et nous proposons des transcriptions des épisodes pour les personnes sourdes, souffrant d'un déficit d'attention ou d'une hypersensibilité aux sons. Nous avons également une description audio de chaque membre d'Introvertendo, ce qui nous a été suggéré par un auditeur aveugle.
Vous avez récemment publié le livre Qu’est-ce que la neurodiversité ?, le premier livre qui explique ce qu’est la neurodiversité en portugais et écrit par une personne neurodivergente. Pouvez-vous nous en parler davantage ?
Il y a longtemps, j'ai remarqué le manque de références sur la neurodiversité en portugais. Il y avait quelques articles universitaires, mais rien de vraiment accessible.
La neurodiversité est un concept qui a émergé à la fin des années 90 grâce à une sociologue australienne nommée Judy Singer. Elle a soutenu que la neurodiversité est une biodiversité neurologique de la population humaine. Il s'agit d'un concept qui cherche à respecter et à valoriser les différents modes de fonctionnement et de pensée de l'être humain.
Mon livre est hybride, entre l'académique et le journalisme. J'y présente ce qu'est la neurodiversité, le débat historique, l'impact et les critiques.
Je fais partie d'une génération de "militants de l'autisme" au Brésil, la première de l’histoire, et ce livre en est la conséquence.
Quels conseils donneriez-vous à des personnes autistes ou qui vivent avec d’autres formes de besoins spécifiques et qui souhaitent travailler dans le journalisme ?
Je dirais qu'ils doivent s'affranchir des stéréotypes de la profession. Beaucoup de gens pensent que pour être journaliste, il faut être génial devant la caméra, avoir un certain type de voix, etc.
En réalité, deux caractéristiques doivent être prises en compte : premièrement, savoir écouter ; deuxièmement, être capable d'exercer une lecture critique et solide du monde.
Photo de Kenny Eliason sur Unsplash.