Réseaux sociaux, messagerie instantanée et télévision : les multiples visages de la désinformation au Liban

25 août 2023 dans Lutte contre la désinformation
Des façades colorées à Beyrouth

WhatsApp, Facebook, Twitter, Instagram, Tik Tok ou sites d’information en ligne, les Libanais sont de plus en plus connectés, en plus de passer de longues heures devant le petit écran. Les moyens de se tenir informés sont désormais multiples dans le pays, ce qui n’exclut pas le risque de tomber sur des nouvelles non vérifiées.

Sur les réseaux sociaux, de nombreuses infox circulent sur la politique locale ou les faits divers, surtout ceux reliés, par exemple, aux réfugiés syriens, victimes d’un véritable discours de haine dernièrement au Liban.

En avril dernier, une image montrant une carte de police, soit-disant délivrée à un homme d’origine syrienne, a circulé en ligne et donné lieu à toutes sortes de commentaires racistes. Des logiciels servant à débusquer les photos retouchées ont démontré qu’il s’agissait d’une fausse information.

"C’était une fausse carte travaillée sur un logiciel d’altération de photos", explique la journaliste Ghadir Hamadi, co-fondatrice de Sawab, une plateforme spécialisée dans la lutte contre la désinformation au Liban. "Il y a beaucoup de fake news qui touchent les groupes marginalisés dans la société libanaise, dont les réfugiés syriens", ajoute-t-elle.

Financée par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), Sawab a récemment été fondée par six journalistes formés au fact-checking et à la lutte contre le discours de haine.

Pour mieux s’attaquer à la désinformation, Sawab communique avec ses abonnés via la messagerie instantanée WhatsApp, très populaire au Liban et sur laquelle de nombreuses intox circulent tous les jours.

"On a commencé par travailler sur cette messagerie car les gens l’utilisent beaucoup et transfèrent des nouvelles toute la journée à leurs amis et familles. Nous avons créé notre propre groupe sur WhatsApp dans lequel nous partons à la chasse aux fausses informations", indique Ghadir Hamadi.

Parmi les intox les plus en vogue au Liban, de fausses nouvelles liées à la crise économique qui dure depuis 2019 et qui a causé, à maintes reprises, des pénuries de produits de première nécessité. "Nous avons eu affaire à de nombreuses intox concernant des produits qui allaient devenir introuvables sur le marché. Je pense que la désinformation est surtout alimentée par la peur", analyse cette journaliste.

Apprendre à remettre en question

Jad Shahrour, chargé de communication du centre SKEyes pour les médias et la liberté culturelle, révèle pour sa part qu’un grand nombre d’infox au Liban sont reliées à la politique, "car la société libanaise s’intéresse beaucoup à ce sujet".

"Pour chaque événement politique, vous risquez de tomber sur plusieurs versions", met-il en garde.

"Chaque génération est connectée à une plateforme sociale différente, mais la désinformation est partout. Elle a même gagné la télévision", explique Jad Shahrour. "La Génération Z (qui regroupe ceux qui sont nés à la fin des années 90 ou au début des années 2000) est sur Tik Tok. Les Millenials (personnes nées dans les années 80 et début 90) sont sur Facebook, Twitter et Instagram. L’influence de la désinformation et des intox varie d’une plateforme à l’autre, mais elle est bel et bien présente sur tous les supports", ajoute-t-il.

Une étude publiée en mars dernier par SKEyes auprès d’un échantillon de Libanais montre en effet que la désinformation a envahi aussi bien les réseaux sociaux et les médias alternatifs que les médias "classiques", comme la télévision.

Mais les jeunes sondés "sont conscients qu’il faut écouter plusieurs chaînes ou consulter plusieurs sites pour pouvoir comprendre réellement ce qui se passe, même s’ils ont des affiliations politiques particulières", se félicite Jad Shahrour. "Les personnes âgées de 60 ans et plus, elles, n’ont pas le réflexe de remettre en question les informations qu’elles reçoivent", poursuit-il.

L’étude montre par ailleurs que certains sont plus enclins à croire aux informations diffusées par des figures religieuses locales, considérées comme dignes de confiance notamment dans les régions périphériques, qu’aux informations publiées par les médias.

En outre, Jad Shahrour signale la présence, en ligne, de véritables "armées électroniques déployées par certains grands groupes politiques libanais qui travaillent à l’incitation aux conflits confessionnels ou à salir la réputation de leurs adversaires", notamment via des comptes fictifs sur les réseaux sociaux.

Face à une désinformation aux multiples facettes, la plateforme Sawab a décidé de lancer des formations dans les écoles et les universités, dans le but de transmettre quelques astuces à ces étudiants.

“On leur apprend à utiliser des moteurs de recherche inversée pour retrouver des photos et des vidéos. Pour une photo, par exemple, on peut essayer de trouver des indices, concernant le moment ou le lieu où un événement s’est produit. De même pour une vidéo. On peut également essayer de contacter les autorités locales ou des gens sur place pour s’assurer de la véracité d’une information", explique Ghadir Hamadi.


Photo : Christelle Hayek, via Unsplash