Le Liban est connu depuis longtemps comme un pays qui protège la liberté de la presse par rapport aux limites imposées à la liberté d'expression dans le monde arabe. Ce petit pays de la Méditerranée comprend également des journaux anciens comme An-Nahar qui a été fondé en 1933 et L’Orient le jour, le premier quotidien francophone au Liban.
Mais ces dernières années, les journalistes ont été confrontés à des restrictions, certains ont été victimes d'agressions physiques. Les autorités ont aussi imposé des autorisations préalables pour leur travail, ce qui a incité des institutions locales et internationales à former et lancer l’Alliance pour la défense de la liberté d'expression au Liban le 13 juillet dernier.
Cette coalition comprend 14 institutions, parmi lesquelles le site Daraj, Amnesty International, la fondation Maharat ("compétences" en français), Le Centre Libanais des Droits de l'Homme (CLDH), le Centre SKeyes pour les médias et la liberté culturelle à la Fondation Samir Kassir, et autres.
Selon le classement annuel de la liberté de la presse de Reporters sans Frontières (RSF), le Liban se situe à la 102e place sur 180 pays au monde. RSF a observé “une inquiétante instrumentalisation de la justice pour poursuivre des médias”, en rappelant que “le code pénal libanais considère la diffamation, la calomnie ainsi que la diffusion de fausses informations comme des infractions et en a une définition très large”, en soulignant que “les journalistes sont condamnés à payer des amendes ou à de la prison par contumace”.
De son côté, Amnesty International qui est un membre de la nouvelle alliance, a demandé au Parlement libanais “de modifier rapidement les lois vagues et générales portant sur la diffamation orale ou écrite, l’insulte, la calomnie, le blasphème et la provocation, en vue de les aligner sur les normes internationales”.
Puisque le Liban a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en 1972, il est donc légalement tenu de modifier les lois locales pour s'assurer qu'elles sont conformes aux normes internationales. Mais malgré cela, les autorités libanaises s'appuient principalement sur les codes pénal et militaire, pour convoquer des journalistes. En plus, les autorités libanaises utilisent des lois relatives à l'injure et à la diffamation pour faire taire les journalistes qui critiquent la politique gouvernementale ou dénoncent la corruption, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport.
Dans ce contexte, la Fondation Maharat ("compétences" en français) qui documente les violations et la liberté d'expression au Liban, a récemment publié un rapport en arabe et en anglais, et a révélé que trois sujets principaux ont récemment occupé les cercles officiels en termes de contrôle du discours des médias, qui sont les suivants:
- Il est interdit aux médias d'offenser les présidents.
- Il est interdit de provoquer des conflits, de perturber la paix civile et de nuire à la sécurité nationale.
- Il est interdit de promouvoir les actualités liées à la sécurité monétaire.
Alliance face à la répression
Layal Bahnam, la gestionnaire des programmes de Maharat a expliqué à IJnet que “la fondation est membre de l'Alliance pour la défense de la liberté d'expression au Liban”, en soulignant que “les institutions locales et internationales participant à l’Alliance sont concernées par la liberté d'expression ou la défense des droits de l'homme, afin de former une voix unifiée face à la répression continue des journalistes et des militants”. Elle a ajouté que “chaque institution travaille à sa manière pour documenter les violations”. “Nous avons des notes sur une proposition de loi au Parlement qui comprend des peines de prison pour les journalistes”, a-t-elle souligné.
Pour sa part, Jad Chahrour, chargé de communication au Centre SKeyes pour les médias et la liberté culturelle à la Fondation Samir Kassir a expliqué à IJnet que “le niveau de la liberté au Liban a beaucoup diminué”, soulignant que “SKeyes a enregistré plus de 550 violations de la liberté d'expression des médias et du domaine la culture au cours des trois dernières années”.
“Les violations contre les journalistes se sont transformées en coups directs, insultes, destruction d'équipement et menaces, sans tenir compte de la spécificité de la profession dont la mission est de transmettre la vérité”, dit - il. “Durant les trois dernières années, quatre décisions de prison ont également été émises”, ajoute M. Chahrour en précisant que “20 journalistes ont été agressés physiquement en juin 2020, les violations à leur liberté d'expression ont atteint 140 cas depuis le début de l'année”.
D'autre part, la journaliste libanaise du le site Daraj, Diana Moukaled, a déclaré à IJnet: "La poursuite judiciaire et l'arrestation des journalistes ont augmenté, ainsi que les restrictions à la liberté de travail dans les médias, comme l’application d’une décision, vieille des années 80 qui impose aux journalistes désireux d’effectuer des reportages photos ou filmés d’obtenir une autorisation préalable de l’institution militaire”.
Diana Moukaled a souligné que “les hommes de pouvoir utilisent les lois de la diffamation, pour poursuivre les professionnels des médias, ajoutant que la nouvelle alliance des médias pour défendre la liberté d'expression surveillera les violations contre les journalistes et le niveau de liberté d'expression”.
Conseils
M. Chahrour a conseillé aux journalistes d'améliorer leur connaissance du droit et de consulter en permanence des avocats et des organisations de défense des droits humains.
“Les journalistes doivent poursuivre leur travail, et nous avons un besoin urgent de journalisme d'investigation, de lutte contre la corruption, ainsi que d’un journalisme responsable qui a pour but d’informer les citoyens, afin d'avoir des opinions basées sur des documents et des preuves”, selon Bahnam.
D'ailleurs, Diana Moukaled a expliqué que “la constitution libanaise garantit la liberté d'expression et que les journalistes doivent se rendre compte qu'ils ont pleinement le droit de couvrir et de rapporter librement des faits”.
Recommandations
La nouvelle coalition exhorte les procureurs et les agences de sécurité à s'abstenir de convoquer des personnes pour avoir exercé leur droit d'expression, en énumérant les recommandations suivantes:
- Le Parlement devrait rendre publiques les discussions législatives au sein des commissions parlementaires, y compris les discussions sur le projet de loi sur les médias.
- Le Parlement devrait décriminaliser la diffamation et les insultes.
- Ne criminaliser que les déclarations qui constituent une incitation à la violence, la discrimination, et à l'hostilité.
- La loi devrait définir clairement ce que l'on entend par chacun des termes précédents.
- Suppression de toutes les conditions d'octroi de licences aux journalistes et d'autorisation préalable des publications.
Photo sous licence CC Karim MANJRA via Unsplash
Sarah Abdallah est journaliste au Liban, au sein du titre L'Orient le Jour. Sarah est également traductrice au sein de l'équipe d'IJNet. Elle a été journaliste pour Lebanon24.