Nos conseils pour couvrir les questions de santé reproductive

18 mai 2022 dans Sujets spécialisés
Manifestation pour protéger la jurisprudence Roe v Wade

La publication récente d'un projet de décision de la Cour suprême des États-Unis, qui laisse entendre qu'elle abrogera la décision Roe v. Wade de 1973, qui a établi un droit constitutionnel à l'avortement, a mis l'accès à l'avortement et aux autres soins de santé reproductive au cœur de l’actualité. La couverture de l'avortement et de la santé génésique doit se faire avec soin et réflexion. Il est essentiel aujourd'hui, plus que jamais, d'en parler à vos communautés et publics locaux.

Pour les journalistes qui couvrent la santé reproductive, qu'il s'agisse de l'abrogation de Roe v. Wade ou d'autres événements affectant l'accès à la santé génésique dans le monde, ces conseils peuvent vous aider à faire des reportages précis, justes et inclusifs :

Comprendre le sujet et son histoire

Les journalistes doivent d'abord s'assurer qu'ils comprennent parfaitement ce qu'est l'avortement et son histoire avant de se lancer dans un reportage sur le sujet. Le guide de reportage sur l'avortement de Physicians for Reproductive Health comprend des faits sur l'avortement, des conseils sur la manière de rendre votre couverture inclusive, des sources d'interview à contacter ou à éviter, etc.

Les journalistes doivent comprendre comment la décision Roe v. Wade a légalisé le droit des personnes à choisir et pourquoi cette affaire est si emblématique aux États-Unis.

Être précis sur les conséquences juridiques potentielles

Si Roe v. Wade est invalidé, les effets immédiats varieront selon les États. Des lois dites "de déclenchement" interdiront ou restreindront gravement l'avortement dans immédiatement 13 États, et d’autres restrictions supplémentaires sont probables dans d'autres États. Des projets de loi dans de nombreux autres États pourraient même aller plus loin, empêchant par exemple les femmes enceintes de quitter l'État pour avorter, voire requalifiant les avortements en crimes, tels des homicides. D'autres États, comme l'Arkansas et l'Arizona, interdiraient l'avortement même en cas de viol ou d'inceste, ce qui pourrait conduire à davantage d'avortements clandestins, donc dangereux.

L'interdiction de l'avortement nuit à la santé et à la sécurité des femmes. L'abrogation de Roe v. Wade aurait des conséquences importantes sur la santé des femmes aux États-Unis. Il a été constaté que la légalisation de l'avortement entraîne non seulement une diminution du nombre total d'avortements, mais aussi une réduction de la mortalité maternelle, en particulier chez les femmes noires.

Au niveau mondial, 47 % des avortements sont dangereux, et plus de 75 % des avortements en Amérique latine et en Afrique, régions dans lesquelles la majorité des pays interdisent ou limitent sévèrement les avortements, sont classés comme tels. Selon l'Organisation mondiale de la santé, les avortements non sécurisés entraînent chaque année, dans le monde entier, quelque 7 millions d'hospitalisations et environ 47 000 décès.

La connaissance de ces statistiques et la présentation précise des conséquences des réglementations qui seront promulguées aideront le public à mieux comprendre l'environnement de santé reproductive dans lequel il vivra sans Roe v. Wade. De nombreux Américains ne savent pas vraiment quelles lois ou réglementations anti-avortement seront mises en œuvre dans leurs États respectifs si Roe v. Wade est annulé. En tant que journaliste, vous pouvez permettre au public de comprendre si leurs opinions correspondent aux lois et aux politiques proposées.

Faire attention au vocabulaire utilisé

Le langage que vous intégrez dans votre reportage peut avoir un impact majeur sur ce que les lecteurs retiennent de votre article.

Consulter des experts médicaux peut vous aider à établir les faits et à déterminer la meilleure terminologie à utiliser, tout en tenant compte de la nature émotionnelle du sujet. Ainsi, les lecteurs pourront se concentrer sur le contenu de votre article. L'American College of Obstetricians and Gynecologists a créé un guide contenant des mots à éviter pour parler de l'avortement, y compris des explications sur les raisons derrière ces recommandations.

Les journalistes peuvent également utiliser le glossaire sur les droits reproductifs de Cobalt pour identifier le vocabulaire à utiliser lors de reportages sur cette question. Cette ressource comprend également des définitions de mots couramment utilisés pour parler d'avortement.

Être inclusif

La santé génésique ne concerne pas seulement les femmes. Les personnes qui ne s'identifient pas comme des femmes peuvent tomber enceintes et vouloir avorter. En veillant à ce que votre couverture englobe toutes les identités de genre, non seulement tout le monde se sentira considéré et inclus, mais vous pourrez également mettre en lumière l'ensemble des personnes concernées. Voici quelques ressources-clefs :

Parler de l’impact sur les communautés marginalisées

Les journalistes doivent aborder l’inégalité des impacts que les obstacles à la santé reproductive ont sur différentes communautés.

Les personnes les plus touchées par les restrictions à l'avortement, par exemple, sont celles issues de communautés défavorisées qui sont confrontées à un cumul des systèmes d'oppression. Il s'agit notamment des personnes porteuses de handicap, des personnes LGBTQ+, des personnes à faibles revenus, de personnes Noires, autochtones et autres personnes de couleur.

Les journalistes doivent expliquer pourquoi certaines communautés ont des taux d'avortement plus élevés que d'autres. Ils doivent également souligner comment différents facteurs tels que l’identité raciale et le statut économique peuvent et vont probablement continuer à déterminer qui aura accès à des avortements sûrs ou pas.

Contextualiser les informations

Lors de vos reportages sur la santé reproductive, soulignez que les sondages d'opinion et les enquêtes peuvent ne fournir qu'un petit instantané, influencés par le cycle de l’actualité, et que les opinions individuelles sont souvent compliquées.

Par exemple, bien que les sondages aient montré que les Américains sont largement en faveur du maintien de Roe v. Wade, cette opinion varie en fonction de la démographie et de l'appartenance politique. Par ailleurs, tous les partisans de Roe v. Wade ne sont pas favorables à un accès illimité à l'avortement, et ceux qui s'y opposent ne s'opposent pas à tous les avortements, par exemple en cas de viol ou lorsque la vie de la mère est en danger.

Lorsque vous interrogez des personnes, veillez à replacer vos questions dans leur contexte et soyez prêt à fournir des informations supplémentaires, car les gens peuvent avoir des opinions contradictoires. Par exemple, alors qu'une faible majorité d'Américains est favorable à la restriction de l'accès à l'avortement lorsqu'un battement de cœur est détecté, un sondage a révélé qu'une majorité s'y oppose lorsqu'elle est informée que cela limiterait l'avortement à six semaines après la conception.

Avoir conscience que ce sujet n’est pas qu’une problématique aux États-Unis

La santé génésique est un sujet majeur aux États-Unis, mais pour les journalistes hors de ce pays, elle peut paraître trop lointaine pour intéresser votre public. La santé reproductive est un problème mondial, et ce qui se passe dans un pays peut avoir des répercussions dans le monde entier.

En Amérique latine, par exemple, l'accès à l'avortement se développe. Il a récemment été dépénalisé ou mis sur la voie de la légalisation au Chili, en Colombie, en Argentine, et au Mexique, entre autres. En Europe, l'Irlande et l'Irlande du Nord ont toutes deux légalisé l'avortement ces dernières années, ce qui dénote une tendance mondiale vers la légalisation.

Il y a toutefois des exceptions. En Pologne, la Cour suprême du pays a récemment interdit l'accès à presque tous les avortements, et l'avortement reste illégal dans une grande partie de l'Afrique et de l'Asie.

Les politiques américaines en matière de santé génésique ont également un impact sur la santé mondiale en dehors de l'accès à l'avortement. La “Mexico City Policy” empêche le financement fédéral d’organisations non gouvernementales qui proposent ou promeuvent l'avortement, et a été maintenue par tous les présidents républicains depuis Ronald Reagan. Les opposants à cette politique font valoir qu'elle restreint le financement d'organisations qui offrent également toute une série d'autres offres en matière de santé, comme la lutte contre les maladies infectieuses et la lutte contre la mortalité maternelle, en particulier dans les pays en développement.


Photo de Gayatri Malhotra sur Unsplash.


Devin Windelspecht est le directeur de la publication au sein d’IJNet. Jamaija Rhoades est responsable éditoriale adjointe d’IJNet.