Comment bien couvrir les questions liées à la santé mentale et le suicide

28 déc 2021 dans Sujets spécialisés
Un ordinateur posé sur une table en bois

Cet article contient des mentions de suicides.

L'Organisation mondiale de la santé estime que le suicide est la cause de plus de 700 000 décès par an. Parmi ceux-ci, plus de trois sur quatre surviennent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire.

Selon Klaudia Jázwińska, journaliste et chercheuse qui a analysé les articles des principaux médias à l'occasion du décès du Dr Lorna M. Breen pour voir dans quelle mesure ils respectaient les directives relatives à la couverture du suicide, on observe de manière alarmante que des reportages, lorsqu’ils ne respectent pas ces critères, peuvent entraîner des suicides d'imitation.

 

 

Mme Jázwińska a été rejointe par J. Corey Feist, le cofondateur de la Dr. Lorna Breen Heroes' Foundation, Dr. Victor Schwartz, le PDG et directeur de Mind Strategies, organisation qui propose une offre de soutien à la santé mentale, et Lorna Fraser, la directrice exécutive du Samaritans' Media Advisory Service, lors d'un récent webinaire du Forum de reportage mondial sur la santé de l'ICFJ pour une discussion sur la façon dont les journalistes peuvent mieux couvrir la santé mentale et le suicide.

"Toute impulsion naturelle des journalistes lors de leurs reportages est problématique lorsqu'ils parlent de suicide", affirme M. Schwartz. Il a expliqué que les journalistes devaient éviter l'identification, une approche trop narrative et les angles émotionnels dans leurs reportages sur la question : "Vous ne voulez pas faire de la personne un héros."

Respecter la famille

Le Dr Lorna Breen, qui a donné son nom à la Dr Lorna Breen Heroes' Foundation, était responsable des urgences à l'hôpital New York Presbyterian Allen. Pendant la pandémie, elle craignait, comme beaucoup d'autres professionnels de santé, de perdre sa licence médicale si elle demandait une aide psychiatrique."[Elle était] débordée, mais faire une pause était vu d'un mauvais œil", raconte M. Feist. Le Dr Breen s'est ensuite suicidée.

Alors que sa famille se remettait de son suicide, la couverture médiatique les dépassait et ne tenait pas compte de leurs sentiments et de leur vie privée, dit M. Feist. L'histoire de Mme Breen s'est transformée en récit sensationnel, alors sa famille a décidé de la raconter à sa façon : ils ont créé la Dr. Lorna Breen Heroes' Foundation pour défendre la santé mentale des travailleurs de santé.

Même si très imparfaits, les reportages passés ont suscité d'importantes conversations sur la manière de lancer des discussions sensibles sur la santé mentale et les suicides aux États-Unis, explique M. Schwartz. Il souligne également qu'il est important de respecter les sensibilités des membres de la famille lorsqu'on couvre un suicide.

L'angle de santé publique

Le risque de contagion, ou d'imitation, des suicides peut être une conséquence de reportages sensationnalistes et irresponsables, affirment M. Schwartz et Mme Jázwińska. Il y a eu une augmentation de 10 % des suicides après la mort de l'acteur et comédien Robin Williams, par exemple, due en partie à la nature de la couverture médiatique qui a suivi, explique Mme Jázwińska.

Mme Fraser a expliqué que six décennies de recherches montrent des liens entre certains éléments de la couverture médiatique et les taux de suicide. Il s'agit notamment des reportages qui entrent dans les détails de la façon dont le suicide s'est produit, par exemple. "Ceci est dû à l'apprentissage social. Les personnes les plus vulnérables face à cela sont celles qui ont des problèmes de santé mentale, celles qui sont endeuillées, en particulier par un suicide, et les jeunes", dit-elle. "[Ils] s'identifient trop à certaines caractéristiques et circonstances, et peuvent commencer à penser que [le suicide] est une option qui leur convient."

 

Best practices and recommendations for reporting on suicide.  Source: reportingonsuicide.org

 

Les intervenants ont mentionné "l'effet Papageno", qui lie les récits porteurs d'espoir sur la gestion des périodes de crise à une baisse des taux de suicide : lorsqu'ils couvrent le suicide, les journalistes devraient plutôt se concentrer sur l'aide, les ressources et les informations que les gens peuvent chercher pour faire face à la situation, précisent-ils.

"Tant que les reportages sont réalisés de manière responsable et sensible, les médias peuvent être une véritable force du bien", insiste Mme Fraser. "Être conscient des bonnes pratiques pour les médias sur le sujet vous aidera vraiment à vous assurer que vos reportages sont aussi sûrs que possible."

Le suicide peut être évité

Le suicide peut être évité, affirment Mme Jázwińska et M. Schwartz. "Si vous présentez le suicide comme simple ou inévitable, ou comme une crise ou une épidémie, c'est un problème", ajoute M. Schwartz.

Les taux de suicide ont légèrement diminué aux États-Unis en 2020 pendant la pandémie, bien qu'ils aient augmenté chez les travailleurs essentiels. Par ailleurs, la ligne entre les symptômes de stress et d'anxiété et la dépression est floue, ajoute M. Schwartz.

"Si quelqu'un est suicidaire, c'est souvent un état temporaire. Si on lui donne les ressources nécessaires, elle ne suivra pas cette voie. Les journalistes sont en mesure d'amplifier les messages positifs et d'éviter de répéter [des erreurs de reportage]", conclut Mme Jázwińska.


Si vous avez trouvé ce contenu pénible ou difficile à aborder, vous n'êtes pas seul. Il existe des ressources pour vous aider. Commencez par explorer les ressources du Dart Center for Journalism and Trauma, et n'hésitez pas à demander un soutien psychologique si nécessaire.

Photo de Nik Shuliahin sur Unsplash.

Inaara Gangji est une journaliste indépendante indo-tanzanienne. Elle écrit sur le genre, la justice sociale et le développement. Mme Gangji est principalement basée à Doha et son travail est paru aux Etats-Unis, au Moyen-Orient et en Afrique.