Lorsque l'Africa Women Journalism Project (AWJP) a été lancé en juillet dernier, il visait à donner aux femmes journalistes d'Afrique de l'Est et de l'Ouest les connaissances, les compétences et le soutien nécessaires pour s'assurer que les sujets sous-traités ne soient pas ignorés.
Sa directrice de projet, Catherine Gicheru, journaliste chevronnée et lauréate du programme Knight de l'ICFJ, a remarqué l'impact que la pandémie avait eu dans la région. Les femmes journalistes ont été les premières à être touchées par les coupes budgétaires dans les rédactions et se sont donc retrouvées à travailler à temps partiel ou à être licenciées.
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La conséquence de ces licenciements a été que des sujets importants ont été laissés de côté, des sujets que les femmes sont souvent les mieux placées pour traiter : la santé sexuelle, la fistule obstétricale (un problème médical lié à l'accouchement) ou encore les mutilations génitales féminines (MGF). "Une femme n'est pas susceptible de parler de [ces questions] avec un homme", explique Mme Gicheru dans un podcast avec Journalism.co.uk. "Nous avons un accès privilégié. Nous sommes capables d’évoquer ces problèmes car nous pouvons être plus empathiques et donc il est plus facile de nous parler."
L'AWJP travaille avec des femmes journalistes dans cinq pays différents : le Kenya, le Ghana, le Nigéria, l'Ouganda et la Tanzanie. Pour ce projet pilote, ces zones ont été sélectionnées car il s'agit de pays anglophones présentant des problèmes communs. Par exemple, pendant toute la durée de la pandémie, les marchés en plein air ont dû fermer, laissant les agriculteurs sans source de revenus.
Le projet est financé par l'ICFJ et aspire à devenir un collectif médiatique beaucoup plus large de femmes journalistes africaines. L'AWJP dispose d'une équipe de journalistes expérimentées qui servent de mentors [aux journalistes qui reçoivent des subventions pour leurs articles, des conseils pratiques et des formations] dont elles peuvent ensuite faire bénéficier leurs rédactions. Tous les articles ont été publiés sur le site principal de l'AWJP.
"Nous espérons les faire monter en compétences et les aider à s'épanouir au sein de leur profession, dans leurs rédactions et contribuer à l'innovation dans leurs équipes", dit Mme Gicheru. "L'objectif principal est d'étudier de nouvelles façons de rendre compte des sujets qui ne sont pas couverts, dont ceux qui impliquent les femmes et d'autres communautés marginalisées."
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Jusqu'à présent, le mentorat s'est avéré crucial pour couvrir les nuances de sujets compliqués (comme les MGF) ou ceux pour lesquels les attitudes et les discussions varient d'un pays à l'autre. Il a également été utile lorsqu'il a fallu s'aventurer sur le terrain. Des journalistes expérimentées ont pu conseiller les bénéficiaires sur la manière d'effectuer des interviews de manière professionnelle et sécurisée pendant la pandémie.
"Lorsque vous prenez contact avec une source, comment lui expliquer pourquoi vous portez un masque sans la déstabiliser ou lui donner l'impression que vous avez peur qu'elle vous transmette le COVID-19 ?", explique Mme Gicheru. "Dites-leur simplement que vous êtes très prudente et que vous avez rencontré beaucoup de gens aujourd'hui. Dites-leur que vous les protégez de vous parce que vous pourriez être porteuse."
La pandémie de coronavirus n'a pas été facile pour le secteur de l'information dans la région. Mais Mme Gicheru voit la réaction des femmes journalistes comme une lueur d'espoir.
"Beaucoup de ces femmes ont trouvé de nouvelles façons d'utiliser les nouveaux médias ou l'espace numérique [pour] continuer à écrire et à podcaster. Elles ont peut-être perdu leur emploi, mais elles n'ont pas cessé d'essayer de chercher comment amplifier leur voix dans ces espaces", se réjouit-elle.
"Ceci a poussé les rédactions à réfléchir sérieusement à la manière de se pérenniser et à trouver de nouveaux moyens de monétiser leur contenu. Cette conversation avait déjà commencé, mais pas avec l'urgence que je vois maintenant."
Cet article a été initialement publié sur Journalism.co.uk. Il a été republié sur IJNet avec leur accord.
Catherine Gicheru est lauréate du programme Knight de l'ICFJ. Elle s'intéresse aux techniques narratives innovantes, au journalisme d'investigation, au fact-checking et au reportage transfrontalier sur des sujets sous-traités. Elle est basée à Nairobi au Kenya.
Image principale : Catherine Gicheru, directrice du projet, et des journalistes kenyanes membres de l'AWJP lors de la Journée internationale pour les droits des femmes réunies pour échanger sur le harcèlement sexuel dans les médias. Fournie par Naima Mungai, chargée de programmes au sein de l'AWJP.