À mesure que les vagues de chaleur deviennent plus fréquentes, plus intenses et plus meurtrières, le contraste entre les articles d'actualité qui expliquent l'impact des chaleurs extrêmes et les photos de "la belle vie au soleil" qui les accompagnent devient de plus en plus frappant.
Dans une nouvelle étude sur le point d’être publiée, des chercheurs ont examiné la manière dont les rédactions représentaient visuellement le changement climatique et la chaleur extrême, en analysant environ 250 articles d'actualité en ligne sur les vagues de chaleur de 2019 en France, en Allemagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni (nommées respectivement "hitzewelle", "hittegolf" et "heatwave").
Pour l’étude, l'image et le texte ont été évalués pour leur valence positive, négative ou mixte. Une valence négative présentait la vague de chaleur comme inquiétante, risquée, dangereuse et/ou gênante, tandis qu'une valence positive évoquait des concepts tels que les vacances, les loisirs et la relaxation. Les chercheurs ont également recherché des thèmes dans les images. Le soleil brûlant était-il écrasant ? La photo montrait-elle une terre craquelée ? Y avait-il des humains dans le cadre et passaient-ils un bon moment ?
Dans les quatre pays, 31 % des images d'illustration avaient ce que les auteurs ont appelé une "valence positive", c'est-à-dire qu'elles montraient des personnes s'amusant au soleil. Bien qu'il ne soit pas majoritaire dans aucun pays, le type d'image le plus courant dans chaque pays était des photographies montrant des personnes s'amusant près de l'eau ou dans l'eau.
Les images de personnes nageant, prenant un bain de soleil ou s'éclaboussant représentent 33 % de la couverture au Royaume-Uni, 27 % aux Pays-Bas, 26 % en France et 22 % en Allemagne. (Certaines sont suffisamment emblématiques pour dépasser les frontières ; des photos de personnes dans des fontaines devant la Tour Eiffel sont apparues dans les quatre pays). Voici un histogramme réalisé par les chercheurs à partir d'une "image typique" de l'ensemble des données de chaque pays :
Il y a un contraste frappant entre les textes (moins de 1 % d’articles positifs) et les images (près d'un tiers étaient positives) dans la couverture médiatique. Saffron O’Neill, autrice principale de l'article et professeure agrégée de géographie à l'université d'Exeter, dit qu'une fois qu'elle a commencé à remarquer les photos du type "la belle vie au soleil", "il est difficile de ne pas les voir chaque fois qu'une canicule est annoncée".
"Trop souvent, la communication visuelle du changement climatique est négligée. En tant qu'universitaires et journalistes, nous pouvons être obsédés par la formulation exacte d'un article, puis joindre, presque négligemment, une image au document ou à l'article", ajoute-t-elle. Or, "les images sont un élément-clef du processus de communication, car elles façonnent notre façon de penser, de ressentir et d'agir en matière de changement climatique."
Quelques exemples de couverture médiatique cités dans le document :
Sur le site Internet du média français 20 Minutes, le titre et le sous-titre étaient les suivants : "Canicule : Que prévoient les quatre niveaux du plan national ? CHALEUR Le plan national canicule a été créé après 2003 et l'été tragique au cours duquel 15 000 personnes sont décédées à cause des très fortes chaleurs." Ils s’accompagnaient d’une photo d'enfants et de jeunes jouant dans un parc à jets d'eau de la ville.
En Allemagne, un titre du tabloïd Bild, "Le mois de juin le plus chaud de tous les temps, dans le monde entier", accompagne un article détaillé sur le danger du changement climatique et des vagues de chaleur, comprenant même une infographie décrivant comment le changement climatique menacera des espèces emblématiques comme les ours polaires et des lieux comme la Grande Barrière de Corail. Pourtant, l'image principale qui l'accompagne est celle d'un cliché de vacances – un homme sautant d'un plongeoir dans une piscine.
Au Royaume-Uni, une jeune femme séduisante et souriante s'adosse à une fontaine de la ville, son haut affichant le double sens “hotter than wasabi”, "plus chaude que le wasabi". Elle accompagne le titre d'un article du Daily Mail qui commence par : "Plus chaud que l'enfer ! La canicule 'vicieuse' de la bulle saharienne rôtit l'Europe et tue trois nageurs."
Un autre thème commun était d'invoquer l'idée de chaleur par le biais de couleurs orange et rouge, de thermomètres et d'éclats de soleil. Les chercheurs ont constaté que les personnes identifiables étaient largement absentes de ces photos "évoquant la notion de chaleur". Au lieu de cela, lorsque des personnes étaient représentées, elles étaient le plus souvent dans l'ombre, leurs silhouettes dessinées par le soleil.
"Lorsque les images décrivent le danger des chaleurs extrêmes, les humains sont largement absents", écrivent les chercheurs. "Nous concluons que ce cadrage visuel des canicules est problématique : premièrement, en déplaçant les préoccupations de vulnérabilité, il marginalise les expériences des personnes qui subissent ces vagues de chaleur ; et deuxièmement, il exclut la possibilité d'imaginer un avenir plus résilient."
L’étude comprend quelques exemples – et celui qui accompagne cet article compte probablement aussi :
Que peuvent donc faire les journalistes ? Est-il particulièrement difficile de trouver des photos pour des articles sur les vagues de chaleur ?
"Je ne pense pas qu'il y ait quelque chose d'intrinsèquement délicat à propos des canicules qui les rende difficiles à visualiser par rapport, disons, à la visualisation d'un concept abstrait comme le ‘changement climatique’", affirme Mme O'Neill. "Je pense qu'il suffit de regarder d'autres endroits dans le monde pour voir comment nous pourrions illustrer la chaleur extrême différemment. Par exemple, la canicule qui a sévi sur le sous-continent indien et pakistanais au début de l'année 2022 a produit une multitude d'images très différentes des photos ‘belle vie au soleil’ si dominantes en Europe et en Amérique du Nord."
Parmi les médias européens étudiés dans le cadre de l'article, une rédaction a été particulièrement félicitée.
"L'imagerie des solutions climatiques était absente de la quasi-totalité de l'ensemble des données, à l'exception d'un seul média, l'agence de presse locale et régionale néerlandaise Algemeen Dagblad (AD)", écrivent les auteurs. AD a évité certains des pires écueils de la représentation des vagues de chaleur et a utilisé des visuels avec des thèmes que les chercheurs ont fini par classer dans les catégories "santé et bien-être" et "autre" bien plus que pour d’autres médias. (Certaines des images incluses dans l'étude montraient des personnes âgées mangeant une glace dans une maison de soins, une jeune famille faisant face à la chaleur chez elle, une mairie climatisée mise à la disposition des habitants vulnérables et un projet d'espace vert conçu pour réduire l'effet d'îlot thermique urbain.
"Les photographies de l'AD ont effectivement rapproché changement climatique et chaleurs extrêmes au bénéfice des lecteurs et d'une manière qui a permis au visuel de souligner des préoccupations de justice et d'équité", écrivent les auteurs. "Il se peut qu'en tant que média local et régional, AD se soit concentré sur des histoires locales montrant comment les gens faisaient face à la chaleur, et ait commandé à des photographes indépendants des images spécifiques pour accompagner ces articles."
Pour d'autres discussions sur la mise en image du changement climatique, vous pouvez consulter Reading the Pictures, sur une la manière de créer une série efficace ou parcourir Climate Visuals. Vous pouvez lire l'intégralité de l’étude ici.
Cet article a d’abord été publié par Nieman Lab et a été republié ici avec leur accord.
Photo de priscilla m rodriguez sur Unsplash.