Les joies et les peines du métier de correspondant à l'étranger

par Thanos Dimadis
11 sept 2020 dans Sujets spécialisés
L'auteur de l'article Thanos Dimadis

Ce mois de septembre marque les 10 ans de mon arrivée en terre américaine pour couvrir la crise de la dette européenne depuis Washington D.C. pour une chaîne de télévision grecque.

J'étais motivé à l'époque par les mêmes envies qui animent aujourd'hui les jeunes générations qui se tournent vers le journalisme : informer, rechercher la vérité et enquêter, toujours. Les journalistes, à travers leurs reportages et leurs enquêtes, ont la chance de pouvoir contribuer grandement à la société. Ceux qui vivent et travaillent en tant que correspondants ici aux Etats-Unis font un travail essentiel tant pour les citoyens américains que les démocraties des pays qui les ont envoyés.

Toutefois, être correspondant étranger n'est pas facile. Je suis aujourd'hui président de l'association des envoyés spéciaux permanents aux Etats-Unis, l'Association of Foreign Press Correspondents in the United States. Les reporters me font quotidiennement part de leurs défis (et leurs joies) dans l'exercice de ce métier, les mêmes que moi il y a 10 ans.

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La solitude

Je n'oublierai jamais la solitude et l'isolement que j'ai ressentis à mon arrivée dans la capitale américaine lorsque j'essayais de trouver les moyens d'obtenir le type d'informations qu'attendait de moi la chaîne d'info grecque pour laquelle je travaillais. Me créer un réseau était le plus difficile. Même en dehors du travail, les gens avaient du mal à me faire confiance. Comme j'étais journaliste, tous suspectaient dans un coin de leur tête que je voulais me servir d'eux en tant que source. Ils ressentaient le besoin constant de se protéger, en répétant que tout ce qu'ils me disaient était "off the record", des échanges informels et confidentiels.

Les correspondants étrangers issus de grands médias arrivent aux Etats-Unis pour y trouver des collègues déjà sur place mais ils sont l'exception qui confirme la règle. Les baisses drastiques des budgets d'une grande partie des médias étrangers ne leur permettent plus d'avoir plus d'un seul envoyé spécial permanent. 

"Ma première difficulté a été de déterminer comment trouver mes sujets et à qui je devais parler. Obtenir des interviews, des contacts, réseauter... Un sacré défi", se souvient Majeed Gly, un reporter venu du Kurdistan basé aujourd'hui à New York pour couvrir les l’actualité des Nations Unies et la politique internationale. "Ce fut très dur d'obtenir des interviews avec les bonnes personnes pendant les deux premières années."

Ce sont ces obstacles que nous essayons d’éliminer grâce à l'association des envoyés spéciaux aux Etats-Unis. Nous sommes là pour tous les correspondants étrangers qui nous contactent pour être guidés et soutenus. Nous leur ouvrons des portes et notre réseau composé de personnes auxquelles ils n'auraient pas eu accès par ailleurs.

The author, Thanos Dimadis

La suspicion et le manque de crédibilité

Pour les convaincre de m'aider dans mes reportages, il a d'abord fallu que je balaie les suspicions que les personnalités influentes de Washington avaient de moi et de l'agenda politique du média que je représentais. En 2010-2012, la Grèce était au cœur de l'actualité à cause de sa crise économique. Dire que j'étais envoyé spécial de ce pays en faillite inspirait soit de la haine, soit de la pitié. Je me suis rendu compte à ce moment que je portais avec moi non seulement mon identité professionnelle mais aussi celle de mon pays.

Aujourd'hui, j'entends les reporters parler des suspicions dont ils sont victimes et des stéréotypes racistes exprimés à l'encontre de leur pays d'origine. Aux Etats-Unis, il y a deux catégories de journalistes : ceux employés par des médias américains et les correspondants étrangers dont le travail est destiné à un public hors des Etats-Unis.

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Ce biais agit en défaveur des envoyés spéciaux. Par exemple, lorsque je couvrais le Fonds monétaire international (FMI), j'avais plus de difficulté à placer mes questions lors d'une conférence de presse qu'un confrère d'un média américain.

Bobby Talukdar, correspondante du North East Times of India a vécu des discriminations similaires. "Lors de conférences de presse, j'ai vécu des moments où l'on ne m'a pas laissée poser de questions car le pays que je représentais avec mon média n'était pas une cible prioritaire de l'institution ou de l'organisme qui faisait son annonce", raconte-t-elle. "Le fait que vous soyez un bon journaliste ou que vous posiez les bonnes questions importe peu. En général, j'ai l'impression que ce qui compte c'est si votre lectorat est important aux yeux des personnes que vous contactez pour un verbatim ou un interview. Bien sûr, les journalistes américains n'ont pas ce genre de soucis."

Les avantages

Même si le métier est difficile, être correspondant à l'étranger a ses bons côtés. "C'est une des aventures les plus incroyables, amusantes et folles qu'on puisse vivre. Aucun jour ne se ressemble", affirme Miriam Spritzer, une reporter brésilienne basée à New York. "Il faut être ouvert à toutes sortes d'expériences et de rencontres. C'est fascinant d'arriver dans un nouveau pays et de recommencer à zéro."

Mamen Sala a vécu trois ans aux Etats-Unis avant de travailler pour un média différent en tant qu'envoyée spéciale en Espagne. Elle dit avoir énormément appris sur ce pays en y travaillant comme reporter. "On est mieux informé de ce qui se passe dans le pays, comment il fonctionne. On apprend des tonnes de choses qu'on n'aurait pas remarquées autrement."

Pour moi, devenir envoyé spécial permanent m'a aidé à me débarrasser d'un syndrome dont souffrent beaucoup de journalistes : créer ses reportages uniquement sur la base des intérêts du public de son pays et non selon l'importance de l'information au niveau international. Les correspondants à l'étranger aident les citoyens à mieux comprendre ce qu'il se passe dans d'autres pays, en leur expliquant comment et pourquoi des événements qui ont lieu ailleurs influent sur leur propre avenir.

La mission de l'Association of Foreign Press Correspondents in the U.S. est de donner aux journalistes d'aujourd'hui et de demain de meilleures conditions de travail que celles que j'ai eues en tant qu'envoyé spécial il y a 10 ans : avoir les mêmes opportunités que nos confrères américains, leur assurer le même accès aux centres de décision pour effectuer leurs reportages, être traités d'égal à égal entre professionnels et promouvoir l'idée que leur travail de reportage est tout aussi important que celui fait par des médias américains.

Si je devais choisir aujourd'hui entre la sécurité d'une carrière de journaliste stable dans mon pays et l'incertitude de la vie de correspondant dans un pays étranger comme les Etats-Unis, je ferais le même choix qu'il y a 10 ans.


Thanos Dimadis est le président de l'association des envoyés spéciaux aux Etats-Unis, l'Association of Foreign Press Correspondents in the United States. Il a écrit deux livres publiés en Grèce en tant qu'envoyé spécial. Il est diplômé de l'Université George Washington et a été lauréat du programme Knight-Bagehot de l'école de journalisme de l'Université de Columbia.*

Images fournies par l'auteur.