Le projet “Le journalisme et la pandémie” : évaluer et répondre aux impacts du COVID-19

16 mars 2022 dans Couvrir le COVID-19
Des gens dans la rue, avec des masques

Le COVID-19 n'a peut-être pas donné lieu à l'extinction médiatique mondiale qu’annonçaient certains, mais les vagues incessantes de coronavirus de ces deux dernières années ont fait payer un lourd tribut au journalisme dans le monde entier.

Pour de nombreux professionnels des médias, l’incertitude et la durée de la pandémie ont présenté une série de défis personnels et professionnels uniques. Les rédactions ont été mises à rude épreuve ; les journalistes se sont fatigués mentalement et physiquement. Certains ont perdu la vie à cause du virus, et de nombreux États se sont servis du COVID-19 pour restreindre la liberté des médias.

Malgré les pressions sans précédent auxquelles les journalistes ont été confrontés pendant la pandémie, beaucoup ont vécu la crise comme une revitalisation de leur pratique professionnelle ; elle les a aidés à cultiver des liens plus profonds à la fois avec leur métier et leur public, et a offert de nouvelles opportunités pour les éditeurs de journalisme indépendant. Dans certains cas, la crise a permis de développer des approches créatives et innovantes en matière de narration numérique, de communication au sein des rédactions, d'engagement du public et de lutte contre la désinformation, même dans le contexte de menaces extérieures.

Quels sont les effets à long terme de la pandémie sur les journalistes et le journalisme ? Comment les organes de presse, les financeurs et la société civile peuvent-ils s'adapter ? Et cette crise existentielle peut-elle être considérée comme le point de départ d’une réforme du journalisme ?

Ce sont les questions-clefs que l'ICFJ et le Tow Center for Digital Journalism de l'Université de Columbia examinent dans la deuxième phase du projet "Le journalisme et la pandémie" lancé à présent.

En répondant à cette nouvelle enquête (proposée en cinq langues), les journalistes peuvent contribuer à une étude longitudinale unique sur la façon dont le journalisme mondial réagit à un événement historique. L'étude permettra de mieux comprendre comment les financeurs, les décideurs politiques et les organisations de la société civile peuvent soutenir le journalisme sous tension.

[Répondez à l’enquête]

Le contexte

S'appuyant sur une enquête mondiale menée auprès de plus de 2 000 journalistes dans 145 pays au milieu de l'année 2020 alors que la pandémie s'installait, le projet mène maintenant une nouvelle enquête pour cartographier les impacts et les besoins à plus long terme des journalistes du monde entier dans le contexte d'une pandémie en cours. L’étude cherche également à identifier les myriades de moyens créatifs par lesquels les journalistes ont répondu aux défis et aux opportunités présentés par cette période de bouleversement et de transformation historique.

Les 30 premières conclusions publiées du projet “Le journalisme et la pandémie” à la fin de l'année 2020 ont mis en évidence les impacts dévastateurs du COVID-19 sur le journalisme grâce à l'analyse des réponses de plus de 1 400 participants anglophones à l'enquête dans 125 pays. Les recherches que nous avons menées au cours de la première vague de COVID-19 ont permis d'identifier plusieurs grands sujets de préoccupation : les questions interdépendantes des menaces pesant sur la sécurité des journalistes (y compris une importante crise de santé mentale liée au COVID-19), l'érosion de la liberté des médias, le rôle pernicieux de la désinformation dans l'écosystème de l'information, et les défis de viabilité et de pérennité auxquels sont confrontés les médias d'information.

Les principales conclusions de la première phase du projet étaient les suivantes :

  • Près de la moitié des personnes interrogées (46 %) ont identifié les politiciens et les élus comme une source majeure de désinformation.
  • Plus de quatre personnes sur cinq (81 %) ont déclaré être confrontées à la désinformation au moins une fois par semaine, et plus d'un quart d'entre elles ont identifié de fausses informations plusieurs fois par jour.
  • Facebook a été identifié comme le diffuseur le plus "prolifique" de désinformation.
  • Près de la moitié ont déclaré que leurs sources avaient exprimé une crainte de représailles pour avoir parlé à des journalistes pendant la pandémie.
  • 30 % ont déclaré que leur organe de presse n'avait pas fourni aux journalistes sur le terrain une seule pièce d'équipement de protection pendant la première vague de la pandémie.
  • 70 % ont indiqué que les répercussions sur la santé mentale de la couverture du COVID-19 constituaient le défi le plus difficile à relever.

Lorsque nous avons analysé l'ensemble des 2 073 réponses à l'enquête internationale (y compris celles soumises en arabe, français, espagnol, portugais, chinois et russe) en 2021, nous avons constaté que les tendances étaient cohérentes avec les résultats de l'enquête en langue anglaise.

 

 

Au niveau mondial, les 2 073 journalistes interrogés ont classé les difficultés liées à la couverture du COVID-19 exactement dans le même ordre que les participants anglophones.

 

 

Il en va de même pour les principaux besoins identifiés par les journalistes ayant participé à la première enquête ; on constate une uniformité remarquable entre les groupes linguistiques.

 

 

Une chose est apparue clairement à tous les participants : la viabilité du journalisme indépendant dans un monde post-pandémie ne sera pas seulement une question économique. Garantir la sécurité des journalistes et défendre la liberté des médias sont également essentiels pour assurer la pérennité des médias. Si les journalistes ne peuvent pas effectuer leurs reportages librement et sans craindre pour leur sécurité, la sécurité financière ne sauvera pas le journalisme indépendant, pourtant crucial.

 

14 recommandations d’action

Aujourd'hui, nous publions également les 14 premières recommandations d'action du projet sur le journalisme et la pandémie, ainsi qu'une feuille de route pour en faciliter la mise en œuvre.

Sur la base d'une analyse de nos données de la première phase du projet, y compris les idées issues des tables rondes avec les financeurs étatiques et de la société civile menées en 2021, nous avons élaboré les recommandations préliminaires suivantes. Elles sont conçues pour aider les gouvernements, les financeurs et les organisations de la société civile à répondre efficacement aux impacts du COVID-19 sur le journalisme indépendant dans le monde.

  • Donner la priorité aux projets et programmes de renforcement de la démocratie et de lutte contre la désinformation, en mettant l'accent sur un journalisme indépendant au regard critique.
  • Conditionner les subventions au respect des exigences de sécurité pour les journalistes.
  • S'attaquer de toute urgence à la crise de santé mentale qui touche les journalistes et les organes de presse.
  • S'attaquer à la crise des violences en ligne, exacerbée dans le contexte du COVID-19.
  • Donner la priorité aux investissements dans les initiatives de journalisme collaboratif/en réseau.
  • Privilégier les investissements à moyen et long terme pour faire face aux effets continus de la pandémie sur le journalisme.
  • Adapter le soutien en fonction de la taille de l'organe de presse indépendant.
  • Investir dans des programmes qui soutiennent l'innovation dans la gestion de crise au sein des organes de presse.
  • Intégrer la recherche dans les projets/programmes afin de faciliter le partage et l'intégration des connaissances au niveau mondial.
  • Explorer les projets hybrides de journalisme : des projets de journalisme avec la société civile qui peuvent contribuer à un changement social et à un développement durable là où le besoin se fait sentir.
  • Convoquer les bailleurs de fonds tout en assurant la "distanciation sociale" des plateformes et de leurs objectifs d'entreprise.
  • Investir dans des projets qui contribuent à maximiser la confiance et à défendre le journalisme indépendant contre les campagnes visant à discréditer et à ternir les reportages fiables et factuelles.
  • Investir dans des projets et des médias qui mettent l'accent sur la diversité, en termes de personnel, de thématiques de reportages et de développement des publics.
  • Réunir physiquement les journalistes au fur et à mesure que les sociétés se "réouvrent", dès lors que cela est possible en toute sécurité.

En savoir plus sur ces 14 recommandations

 

Dans la phase finale du projet "Le journalisme et la pandémie", des études de cas détaillées seront élaborées afin d'analyser les caractéristiques des médias résilients qui ont résisté à la crise du COVID-19, voire qui ont prospéré au cours de celle-ci, ainsi que celles des médias nés durant la pandémie.


Cet article a d’abord été publié sur ICFJ.org.

Photo de Xavi Cabrera sur Unsplash.