Protégez les indépendants avec des protocoles sanitaires

par Courtney C. Radsch
9 juin 2020 dans Couvrir le COVID-19
Protocoles de sécurité

Les journalistes font partie des travailleurs essentiels, postés en première ligne pour s'assurer que le grand public puisse avoir accès à l'information malgré les risques de contamination au coronavirus. Pour beaucoup, ils doivent non seulement faire face aux risques pour leur santé mais doivent désormais affronter les dangers du travail de terrain nés en marge des manifestations antiracistes qui bousculent les Etats-Unis. Bien que tous les journalistes et leurs équipes subissent ces menaces, les indépendants sont les plus à risque dans cette situation.

En réponse à la pandémie, une alliance d'organes de presse, de groupes médiatiques et d'associations pour la liberté de la presse a publié un guide de protocole de sécurité sanitaire pour les médias, notamment ceux qui emploient des pigistes et des indépendants. Ces procédures ont été établies pour usage pendant cette crise du COVID-19 suite aux retours de nombreux reporters sur le terrain qui trouvaient plus difficile que jamais de travailler dans des conditions sécurisées.

"Quand le COVID-19 s'est déclaré, nous nous sommes rendus compte qu'il pouvait toucher n'importe qui, qu'il s'agissait d'un sujet sensible et que des mesures de protection spécifiques seraient nécessaires, même dans les endroits les moins à risque," raconte Elisabet Cantenys, directrice exécutive de l'ACOS Alliance, l'organisme qui a élaboré ces procédures et s'est mobilisé pour que les freelances puissent avoir un accès facilité aux assurances. "J'ai été choquée des conversations que j'ai pu avoir avec des chefs de rédactions afin de les convaincre de l'importance de protocoles de sécurité."

Elle espère que la crise du COVID-19 pourra aider à changer la donne.

         [Lire aussi : La crise précarise encore un peu plus les pigistes]

 

“Le COVID-19 a rendu la question sécuritaire incontournable, c'est une véritable opportunité,” explique Mme Cantenys. ACOS est l'acronyme de "A culture of safety", ou une culture de la sécurité. Elle espère que le “côté positif” du coronavirus sera d'élargir le champ de la réflexion sur la sécurité au-delà du journalisme de guerre afin de devenir partie intégrante des procédures de toutes les rédactions.

Selon de nombreux experts, être capable d'évoquer les besoins en protection, ainsi que leurs coûts associés pour évaluer le budget d'un reportage, est un élément essentiel pour garantir les bonnes conditions de travail de journalistes indépendants. Le coronavirus a provoqué la fermeture des frontières, des quarantaines et des restrictions de déplacement, sans compter les risques médicaux accrus. Tous ces éléments ont des effets sur la sécurité du travail des journalistes.

“Ce qui est particulier aujourd'hui est que ce virus impacte 100 % de nos projets et change fondamentalement notre manière de travailler en tant que producteurs freelance,” explique Jaron Gilinsky, fondateur de la plateforme Storyhunter qui connecte des indépendants avec des médias en recherche de papiers. “Je n'ai rien vécu de pareil depuis que j'ai fondé l'entreprise en 2012,” pas même l'épidémie d'Ebola ou le kidnapping d'un de leurs journalistes freelances par Daesh. Storyhunter a depuis publié des conseils pour les tournages vidéo sur le terrain après avoir reçu des demandes d'aide de la part de rédacteurs en chef et producteurs.

Tous les journalistes sur le terrain actuellement doivent prendre en compte les risques sanitaires et se préparer en conséquence. Ainsi, une évaluation précise de ces risques est plus cruciale que jamais.

Anna Therese Day, journaliste freelance et co-fondatrice de Frontline Freelance Register (FFR), un réseau international de journalistes indépendants, raconte qu'aux premiers jours de la crise, les freelances étaient les premiers appelés pour couvrir les premiers cas. Certaines rédactions se sont précipitées pour commander des papiers et envoyer des gens sur le terrain sans réfléchir aux questions de sécurité ou rédiger des contrats prévoyant des éventualités comme la contraction de la maladie ou le fait d'être coincé dans un lieu inconnu.

“Quand la pandémie s'est étendue, je sais que j'ai été appelée pour la couvrir, au même titre que de nombreux autres membres du FFR, à cause de notre formation sur le travail en milieux hostiles. C'était cependant très frustrant car il n'y avait aucun protocole écrit pour une pandémie comme celle-ci et notre formation n'est pas forcément pertinente pour ce genre de situation," souligne-t-elle.

Même les médias qui emploient des spécialistes de la sécurité ont dû rapidement se mettre à la page pour déterminer les répercussions du coronavirus sur leur personnel et les pigistes qu'ils emploient. Ils ont dû mettre à jour leurs directives et aider les freelances à s'adapter lorsque les informations obtenues sur le coronavirus de la part de sources fiables comme l'Organisation mondiale de la santé (OMS) changeaient à la lumière de nouvelles découvertes.

“En tant que professionnels de la sécurité, il nous faut être agiles,” précise Janelle Miller, Directrice de la sécurité pour TIME, dont la prise de poste a eu lieu seulement quelques semaines avant que l'OMS ne déclare la pandémie, alors qu'elle n'avait aucune connaissance particulière en sécurité sanitaire. “Il faut faire des recherches afin de pouvoir se sentir apte à protéger son personnel, freelances inclus.”

Garantir la disponibilité d'équipement de protection individuelle (EPI) et accompagner les pigistes avant et pendant leur reportage pour qu'ils aient tout ce dont ils ont besoin pour travailler en sécurité sont devenus des préoccupations essentielles pour toutes les rédactions qui commandent des articles aujourd'hui. Les indépendants sont les plus à risque car ils n'ont pas toujours accès aux EPI ou aux bonnes assurances et sont souvent payés dans des délais très longs. Que se passe-t-il s'ils tombent malades suite à une enquête ? Comment cela est-il géré et financé ?

Le protocole sanitaire de l'ACOS Alliance guide les rédactions pas à pas à travers les différentes réflexions à avoir sur la sécurité en temps de COVID-19, avant, pendant et après un reportage. De l'élaboration d'un plan de communication à la liste des EPI de base, ces procédures ont été créées pour que journalistes et responsables éditoriaux puissent échanger sur les questions de sécurité et évaluer les coûts nécessaires pour qu'un reportage se fasse dans les meilleures conditions.

Les rédacteurs en chef et producteurs qui n'ont pas travaillé avec des journalistes actifs en milieux hostiles ou des zones de conflits peuvent être novices lorsqu'il s'agit de mettre en place de tels protocoles.

“D'une manière générale, les rédacteurs en chef ont un comportement responsable et prennent soin de leurs équipes et de leurs photographes mais ils ont parfois des moyens limités et n'ont pas toujours la possibilité de mettre en place tout ce qu'ils aimeraient", précise Glenna Gordon, une photojournaliste freelance qui a couvert l'épidémie d'Ebola. Selon elle, n'importe quel responsable de rédaction serait heureux d'avoir à sa disposition un protocole de sécurité pour aider ses équipes à évaluer les risques qu'ils sont prêts à prendre pour un sujet.

Comme indiqué dans le guide de sécurité, garantir la santé et la sécurité des journalistes d'un média est non seulement un devoir moral, c'est aussi un moyen de protéger l'un des atouts majeurs de son entreprise : ses journalistes.

“Ces protocoles de sécurité protègent votre produit, vos journalistes. Vous avez intérêt à ce que ces atouts soient en forme,” souligne Mme Cantenys.

                                                           Téléchargez le guide en français                                     

Courtney C. Radsch, Ph.D., est la directrice du plaidoyer du Committee to Protect Journalists, un des membres fondateurs de l'ACOS Alliance. Elle a publié plusieurs guides de sécurité à destination de journalistes sur le terrain durant la pandémie de COVID-19.

L'International Center for Journalists, la structure mère d'IJNet, s'est associé au Tow Center for Digital Journalism de l'Université de Columbia pour mieux comprendre les impacts de la pandémie sur le journalisme, notamment sur les questions de sécurité. Le Committee to Protect Journalists est partenaire du volet “Liberté de la presse” du projet "Journalism and the Pandemic". Si vous êtes dirigeant au sein d'un organe de presse, un journaliste ou employé d'un média, l'ICFJ vous invite à participer à l'enquête (disponible en plusieurs langues).

Image principale créée par l'ACOS Alliance pour promouvoir les protocoles sanitaires.