Editeurs, inspirez-vous des sites d'e-commerce

par James Breiner
14 déc 2020 dans Journalisme digital
Shopping en ligne

Un cynique pourrait dire que les efforts actuels de Google pour aider les éditeurs de presse est un stratagème de relations publiques pour avoir meilleure presse et apaiser les régulateurs anti-monopole en Europe et aux États-Unis.

Après tout, Google possède plus de 30 % de toute la publicité numérique dans le monde, suivi de près par Facebook avec 20 %. Ces deux entreprises, plus que toutes autres, ont détruit le modèle commercial des médias d'information traditionnels basés sur la publicité.

Quoi qu'il en soit, depuis quelques années, le leader mondial des moteurs de recherche accompagne les éditeurs de presse à trouver de nouveaux moyens de gagner de l'argent. Et ils ont besoin de cette aide maintenant plus que jamais, car le COVID-19 a accéléré les chutes de revenus issus de la publicité.

Pour faire face à cette crise, de plus en plus d'éditeurs de presse ont mis en place des paywalls pour générer des revenus auprès des lecteurs. Mais les éditeurs n'ont une idée claire ni des envies et besoins de leurs lecteurs, ni de comment les faire payer pour ces contenus. C'est ce qui ressort de l'interview d'Amy Adams Harding avec la journaliste Kayleigh Barber dans un podcast de DigiDay.

Les principaux clients des éditeurs ont toujours été les annonceurs. Ils doivent maintenant passer d'un modèle de génération de revenus B-to-B, d'entreprise à entreprise, à un modèle B-to-C, d'entreprise à consommateur.

"Agis comme un acteur du commerce en ligne"

Les données pourraient aider les éditeurs à faire la transition vers cet angle utilisateur, explique Mme Adams Harding. Google a notamment développé à cet effet toute une suite d'outils de traitement de données à destination des organismes de presse.

Son discours aux éditeurs est le suivant : "Vous êtes une entreprise de e-commerce. Vous devez utiliser les méthodes du commerce en ligne."

Ce qui suit est un résumé de certaines des stratégies préconisées par Mme Adams Harding dans l'interview avec DigiDay :

1) Créer une newsletter

Les données de Google montrent que les personnes qui s'abonnent à une newsletter gratuite sont les plus susceptibles de payer pour un abonnement ou une adhésion.

"Quand on y pense, les newsletters sont en réalité un abonnement gratuit", dit-elle. "Les lecteurs se sont déjà abonnés à quelque chose. Dans toutes les publications avec lesquelles j'ai travaillé, la newsletter est le premier moteur d'abonnement. Nous passons donc beaucoup de temps à travailler avec nos partenaires, quelle que soit leur taille, sur la stratégie pour leurs newsletters, car c'est un moteur incroyablement important".

Les abonnés à la newsletter sont les lecteurs les plus fidèles et "la fidélité est le premier indicateur de la propension à s'abonner".

2) Mettez votre mission et vos valeurs au premier plan

Google a travaillé avec BuzzFeed News sur une enquête auprès de ceux qui avaient fait des dons via le bouton "Support us" (Soutenez-nous), leur demandant pourquoi ils avaient payé. Près de 40 % des personnes interrogées ont déclaré qu'elles appréciaient la qualité du journalisme et qu'elles voulaient simplement s'assurer que ce service ne s'arrêterait pas.

Les donateurs n'étaient pas intéressés par des cadeaux, comme des tote bags, des tasses ou des t-shirts. Ils estimaient simplement qu'il s'agissait d'un service public précieux qui méritait d'être soutenu.

[Lire aussi : Les "lecteurs-associés, clefs du succès d'El Diario"]

Il se trouve que j'ai remarqué que d'autres éditeurs utilisent cette même stratégie, basée sur la mission, pour encourager les dons. Eldiario.es en Espagne et The Guardian au Royaume-Uni demandent aux lecteurs de faire un don et de soutenir le journalisme de qualité à la fin de chaque article.

3) Donner des choix aux utilisateurs et faciliter les transactions.

Parmi les pratiques du commerce en ligne qui ont fait leurs preuves, les éditeurs devraient utiliser celle de donner aux futurs abonnés plusieurs options de prix : bas, moyen et élevé. Cette présentation est un appel subtil vers l'option moyenne et donne aux utilisateurs le sentiment d'avoir le contrôle.

Une autre leçon du e-commerce consiste à donner aux utilisateurs de nombreuses options de paiement, de la carte de crédit, aux cartes-cadeaux, PayPal et autres services avec des interfaces utilisateur simples. Cela permet d'éviter les blocages lors du processus d'achat.

 

Amazon pay buttons
Les boutons oranges calqués sur la forme et la couleur des boutons Amazon sont associés à l'acte d'achat et poussent les consommateurs à dépenser.

 

De plus, faites en sorte que votre bouton "Faites un don" ou "Acheter maintenant" soit bien visible, aux tonalités conviviales et éventuellement orange. Mme Adams Harding remarque que les données de Google ont montré qu'un rectangle avec des coins arrondis, dit "squoval", génère plus de clics. Les utilisateurs le trouvent moins agressif qu'un rectangle. Les boutons oranges génèrent également plus d'achats parce qu'ils rappellent la couleur des boutons "Acheter maintenant" d'Amazon, bien connus des lecteurs.

4) Inclure la phrase "Vous pouvez annuler à tout moment" dans votre offre d'abonnement ou d'adhésion

On demande aux consommateurs d'actualité de prendre un risque lorsqu'ils paient, et les données de Google montrent que la réduction de ce risque les rendra plus enclins à payer d'emblée.

N'embauchez pas plus de journalistes

Un obstacle majeur à ce que les éditeurs de presse agissent davantage comme des sociétés de e-commerce est leur masse salariale. Souvent, les équipes informatiques des éditeurs sont mobilisées sur les aspects de production et de distribution du journalisme, plutôt que sur l'aspect commercial.

Leurs équipes technologiques ont besoin de personnes qui ont travaillé dans le commerce en ligne afin de développer ces compétences en matière de monétisation. Les stratégies du e-commerce peuvent permettre à un éditeur de presse de paraître non seulement digne de confiance et d'autorité, mais aussi convivial, pratique et facile à utiliser. On n'apprend pas cela en école de journalisme.


Cet article a intialement été publié sur le blog de James Breiner. Il a été republié sur IJNet avec son accord.

James Breiner est un ancien lauréat ICFJ Knight. Il a lancé et dirigé le Center for Digital Journalism de l'Université de Guadalajara. Lisez ses sites : News Entrepreneurs et Periodismo Emprendedor en Iberoamérica.

Image principale sous licence CC par Unsplash via Dylan Gillis.