Des journalistes en situation de handicap racontent leur quotidien

30 sept 2020 dans Diversité et inclusion
Amid Gasanguleev

Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), 15 % de la population mondiale, soit un milliard de personnes, vit avec un handicap.

Il n'existe pas de statistiques spécifiques précisant combien de journalistes sont dans cette situation. Mais l'absence de ces données ne signifie pas que ces personnes n'existent pas. Leurs expériences sont essentielles pour mieux comprendre le secteur du journalisme dans son ensemble et imaginer un avenir plus inclusif.

Écouter les histoires du quotidien de journalistes en situation de handicap permet non seulement de révéler les difficultés qu'ils et elles rencontrent mais aussi de mettre en lumière leurs réussites dans le monde des médias, malgré les contraintes existantes.

IJNet s'est entretenu avec des journalistes d'Europe de l'Est et du Sud Caucase. Découvrez leurs histoires et leur travail.

Maxim Miftakhov

Chisinau, Moldavie

"Un jour, on m'a volé ma canne", raconte Maxim Miftakhov, un journaliste de Chisinau, en Moldavie. "Dans le rapport de police, ils ont écrit que j'étais une 'personne handicapée'. Je les ai corrigés, précisant que je préférais 'personne à besoins spécifiques.'"

“‘Handicapé’ est blessant pour moi,” ajoute-t-il. “C'est à nous de décider.”

M. Miftakhov a démarré sa carrière en 2014, en tant que reporter pour le média en ligne russe Sputnik. Aujourd'hui, il est journaliste indépendant et écrit pour la rubrique Société de Komsomolskaya Pravda, un organe de presse moldave.

M. Miftakhov a une forme légère de paralysie cérébrale, un handicap qui cause une déficience motrice. Plus de 17 millions de personnes au monde en sont atteintes.

"La chose la plus importante est de développer son potentiel", explique-t'il. "Je connais des confrères en Ouzbékistan ou en Ukraine dont la situation est plus grave. Pourtant, ils travaillent. Bien sûr, il y aura des erreurs et des regards malveillants. Il ne faut pas y faire attention. Si une personne porte un jugement, c'est son problème."

Pendant son temps libre, M. Miftakhov participe à des compétitions de danses de salon. Il a été primé aux championnats d'Europe à deux reprises.

"On n'a pas besoin d'avoir de modèles", dit-il. "Le journalisme sert de moteur à lui tout seul. Il aide à surmonter même les moments les plus difficiles."

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Maxim Miftakhov lors d'une compétition de danses de salon

Marina Stashina-Neymet

Ukraine

Contrairement à M. Miftakhov, la journaliste ukrainienne Marina Stashina-Neymet préfère qu'on la désigne comme "personne en situation de handicap".

"Un 'besoin spécifique', ça peut juste être avoir envie de boire un café", explique-t-elle pour justifier son choix. Elle préfère utiliser la "person-first language", un procédé linguistique qui place la personne avant son diagnostic, décrivant le handicap comme quelque chose qu'une personne "a" plutôt que ce que cette personne "est". Selon elle, "la personne doit toujours être au centre du discours."

Mme Stashina-Neymet est née en Ukraine de l'Est. Elle a travaillé pour Zakarpattya.net et le Karpatsky Observer. Elle est aujourd'hui journaliste freelance.

Ses problèmes de vue ont démarré alors qu'elle n'était qu'un bébé. Son œil droit ne perçoit que la lumière qui l'entoure, tandis que son œil gauche voit bien. C'est de ce dernier qu'elle se sert pour lire et écrire.

L'OMS estime qu'environ 2,2 milliards de personnes vivent avec une forme de handicap visuel ou sont aveugles. Aucune statistique officielle n'existe pour l'Ukraine mais on estime que plus de 70 000 Ukrainiens ont une forme de déficience visuelle.

"Les difficultés que je rencontre sont dehors", raconte Mme Stashina-Neymet. "En Ukraine, le monde n'est pas adapté à mes besoins. Nous n'avons pas de culture d'événements publics inclusifs, par exemple."

Quand elle a été embauchée par un média pour la première fois, elle a de suite adapté son ordinateur à ses besoins. Elle a notamment augmenté le zoom et rehaussé le contraste de l'image pour mieux voir les sites Internet et les documents.

"J'utilise la loupe de l'écran pour examiner les photos", ajoute-t-elle. "C'est un outil disponible sur tous les appareils compatibles avec Windows. Mon mari, qui est aveugle, a plus de mal à travailler sur des photos ou des documents PDF. Pour l'aider, je convertis les PDF en Word et lui décrit les images avec mes mots."

"Si vous êtes victime de discrimination au travail, ne vous taisez pas et contactez des associations de défense des droits des journalistes et des personnes en situation de handicap", insiste-t-elle. "N'abandonnez pas."

Vladimir Pyrig

Lviv, Ukraine

"J'aime écouter la radio depuis que je suis tout petit. En CE2, j'ai voulu savoir comment s'appelaient les gens qui y travaillaient. On m'a dit que c'étaient des journalistes. C'est comme ça que j'ai su ce que j'allais étudier plus tard", raconte Vladimir Pyrig, un responsable éditorial à Lviv en Ukraine.

M. Pyrig se décrit tout simplement comme un “journaliste aveugle”.

Il n'a finalement jamais travaillé pour la radio, préférant le journalisme web. Depuis 2014, il travaille pour un des sites locaux les plus populaires d'Ukraine, Zaxid.net.

Par ailleurs, M. Pyrig traduit le programme informatique Be My Eyes en ukrainien. Cette appli permet aux personnes aveugles d'être aidées à distance par des bénévoles voyants.

"Je peux appeler les bénévoles à n'importe quel moment et une notification est envoyée à tous les utilisateurs en ligne à cet instant-là", explique-t-il. "Parfois, je leur demande de m'aider à lire le compteur électrique. Grâce à ma caméra, le bénévole voit tout ce qui se passe autour de moi."

M. Pyrig a d'autres recommandations d'outils pour les journalistes aveugles, comme Voice Aloud Reader, un synthétiseur de voix qui lit des livres et des documents quelle que soit la langue ou le format du fichier, ou Lazarillo GPS navigator, qui informe l'utilisateur de tout ce qui se trouve aux alentours. L'appli polonaise Seeing Assistant lui permet de scanner des codes barres, des codes QR et peut détecter les sources de lumières allumées inutilement. CashReader aide à déchiffrer l'argent en espèces et Vision Bot à décrire les photos.

Les réseaux sociaux sont compliqués à gérer car chaque plateforme a ses particularités. Pour M. Pyrig, le défi est de mémoriser toutes les combinaisons de touches à connaître sur son clavier pour accéder aux différentes fonctionnalités de l'ordinateur et pouvoir se servir de tous les outils proposés par chacune des plateformes.

"Chaque site à une disposition spécifique", explique-t-il. "L'utilisateur doit étudier la disposition de chaque élément du site aussi précisément que la disposition des meubles chez lui : quelles rubriques y a-t-il ? où sont-elles ? comment chaque titre est-il associé à un article ?... Il ne faut pas avoir peur de jouer avec tout ça."

Amid Gasanguleev

Bakou, Azerbaïdjan

"Je ne pensais pas qu'une chose comme ça pouvait m'arriver. J'ai fini mes études de droit, j'ai fait l'armée, j'ai eu mon premier job à la télé et puis j'ai eu un accident de voiture", raconte Amid Gasanguleev, présentateur télé et designer graphique en chef pour la chaîne ARB TV. "Cela fait 10 ans maintenant. Cet accident a changé ma vie."

Depuis qu'il a 28 ans, ce journaliste basé à Bakou en Azerbaïdjan utilise un chaise roulante. Selon l'OMS, 75 millions de personnes doivent se servir d'une chaise roulante au quotidien. Cela correspond à 1 % de la population.

M. Gasanguleev se sert régulièrement de sa visibilité en tant que journaliste et présentateur de sa propre émission Biz Birik pour mettre en avant les récits des personnes en situation de handicap.

“Je parle de leurs handicaps”, dit-il. “Mes invités savent que je les comprends.”

Il précise tout de même qu'être le présentateur de sa propre émission n'empêche pas certaines difficultés. "Parfois, je vais à un tournage et il y a des escaliers dans le bâtiment. Je ne peux pas monter, alors que je dois animer l’émission," remarque-t-il. "Mais je ne me suis jamais dit que des obstacles comme ça me feraient quitter mon travail. Si je ne peux pas faire quelque chose, je demande de l'aide."

Il assure lui-même une bonne partie de la production de l'émission, comme la recherche d'invités, le tournage ou le montage. Il conseille aux journalistes télé "d'apprendre à contrôler l'environnement dans sa tête, comme vous étiez en train de monter un sujet. C'est une question d'habitude."

En dehors du journalisme, M. Gasanguleev est athlète professionnel. Il est l'entraîneur de l'équipe paralympique nationale de cyclisme et cherche à développer ce sport dans le pays.

"J'étais sur un boulevard à Bakou quand j'ai vu un enfant sur une chaise roulante qui regardait les autres enfants sur leurs vélos. C'est là que j'ai décidé de créer une association de cyclisme pour les personnes handicapées. J'ai acheté les composants et, à l'aide d'un schéma, j'ai monté le premier vélo de paracyclisme en Azerbaïdjan. Je m'en suis servi pour faire une partie du marathon, en 'courant' avec pendant 25 kilomètres. J'ai pour projet d'acheter plusieurs vélos de paracyclisme et de les mettre à disposition pour que des particuliers puissent s'en servir gratuitement."


Romaniia Gorbach est une journaliste et coach média ukrainienne. Elle a travaillé à la radio, pour la presse écrite et web.

Photo principale: Amid Gasanguleev au travail, fournie par M. Gasanguleev.