Comment Minority Africa crée de l'inclusion à travers des techniques narratives innovantes

19 août 2021 dans Diversité et inclusion
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Lancer un média quelques mois à peine avant que le COVID-19 ne balaie la planète entière, c'est porter l'expression "baptême du feu" à un tout autre niveau. Mais pour Caleb Okereke, la pandémie lui a peut-être permis de prendre le temps de réfléchir à la manière de le gérer, de trouver un système d'organisation adéquat et de parvenir au bon équilibre avec sa vie universitaire, d'un seul coup.

Créé en novembre 2019, Minority Africa utilise les données ainsi que le journalisme immersif et mobile pour produire des reportages de solutions sur la diversité des communautés africaines. Parmi leurs principaux objectifs, ils visent à offrir à leurs lecteurs une vision de l'impact des politiques publiques sur les groupes de personnes traditionnellement sous-représentés.

M. Okereke a étudié les sciences à l'école et avait pour vague projet de devenir médecin. En 2018, il a changé de cap, décidant de poursuivre une carrière dans le journalisme. Il a quitté le Nigeria pour étudier à Kampala, en Ouganda, et a ensuite commencé à faire des reportages en tant que pigiste. Écrire pour certaines des plus grandes organisations médiatiques du monde a fait grandir son appétence pour le reportage sur les communautés défavorisées. Il a réalisé que beaucoup de ces histoires n'étaient pas racontées avec le contexte qu'elles méritaient.

"À la base du travail en freelance et du fait de proposer des piges, il y a un problème : vous défendez en quelque sorte la raison pour laquelle vos histoires doivent être racontées. Je voulais changer cela. Je ne voulais pas avoir à défendre mes histoires", explique-t-il. "Les minorités sont tellement mal représentées dans les médias grand public. Lorsque les gens ont été mal représentés pendant si longtemps, on peut commencer à penser qu'ils n'ont pas de pouvoir d'agir propre, qu'ils ne font que subir les problèmes de manière passive."

M. Okereke a fondé Minority Africa dans le but de créer une plateforme régionale pour remédier à cela. Grâce à une bourse d'amorçage du Solutions Journalism Network, cette équipe, elle-même composée d'une grande diversité, a permis de grandes avancées pour "débloquer les informations" concernant les communautés africaines, en luttant contre leur mauvaise représentation et leur sous-représentation.

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"Nous avons réalisé qu'une grande partie des informations concernant les minorités étaient erronées. 'Un homosexuel brûlé à mort dans le camp de réfugiés de Kakuma' était un véritable titre de journal", déplore M. Okereke. "Nous avons fait un article sur ce même incident, mais nous avons parlé d'un contexte beaucoup plus large, et c'est essentiellement ce que signifie 'unbreaking news' : fournir un contexte à ce qui n'aurait été qu'une annonce singulière. Il s'agit de raconter une histoire plus saine d'une manière qui permet aux gens de voir les minorités dans toute leur multitude et avec le pouvoir d'agir que je pense qu'elles méritent."

Minority Africa a réalisé un reportage sur un concours de beauté en Ouganda visant à sensibiliser au cancer de la peau chez les personnes atteintes d'albinisme, s'est entretenu avec des participants de la toute première marche des fiertés en Afrique, il y a 31 ans, a rendu compte de la politisation raciste des cheveux noirs dans les écoles africaines, et a écrit sur un film inédit sur la communauté LGBTQ du Nigeria.

La question la plus importante à laquelle Minority Africa s'efforce de répondre tout au long de ses reportages est "pourquoi", souligne M. Okereke : "Lorsque vous avez l'impression qu'il n'y a plus de 'pourquoi' à poser, alors vous savez que vous avez bien travaillé".

Pour M. Okereke, la vision du succès de Minority Africa n'est pas axée sur le nombre de clics ou d'abonnés sur les réseaux sociaux, mais sur la fidélisation du public. C'est une philosophie qui distingue cette rédaction de nombreux autres médias d'information qui ne jurent que par les chiffres et la publicité. "Je ne pense pas que le nombre de followers soit une mesure précise de l'impact", explique-t-il. "Nous voulons que notre public se souvienne de nous et nous n'avons pas besoin d'avoir un grand nombre d'adeptes. Je pense que nous réussissons cela."

Minority Africa travaille actuellement à la mise en place d'une plateforme d'apprentissage en ligne qui accueillera des formations courtes sur les problèmes auxquels sont confrontées les communautés sous-représentées. Le média souhaite toucher d'autres journalistes, des membres de ces communautés et des alliés, mais M. Okereke admet que le financement est un souci.

Ils espèrent que leur initiative "Minority Africa Learn" pourra servir de modèle de revenus plus immédiat. Ils travaillent déjà en partenariat avec des universités et des entreprises pour donner des cours sur les différentes communautés et sur la façon dont les gens peuvent devenir de meilleurs alliés.

"Notre plus grand défi est l'argent. En tant que cofondateur et directeur de la publication, je connais très bien nos processus et, en fait, nous avons juste besoin d'argent. De plus, nous connaissons notre travail et savons à quel point il est sensible. Nous avons donc dû apprendre à évoluer dans ce cadre et à trouver comment faire notre travail tout en assurant la sécurité de tous", explique M. Okereke. "Quand vous êtes un jeune média, tout le monde s'attend à ce que vous sachiez ce que vous faites parce que vous avez l'air de le savoir. Il s'avère que nous ne savions pas vraiment ce que nous faisions, alors nous avons dû trouver ce qui fonctionnait."

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Selon M. Okereke, la confiance est également l'un des principaux challenges auxquels le secteur des médias est confronté pour rester viable. "En tant que minorités faisant des reportages sur les minorités, cela ne nous protège pas de la possibilité de causer du tort", précise-t-il. "Nous ne nous considérons pas comme parfaits, mais nous voulons que notre public nous fasse confiance et le fondement de cette confiance est de savoir que nous essaierons toujours de faire mieux."

En fin de compte, M. Okereke espère normaliser les histoires sur les communautés aux besoins mal servis en Afrique afin que les gens reconnaissent la nécessité de les inclure dans l'élaboration des politiques publiques, la collecte de données et les enquêtes démographiques. "Je veux que nous soyons la maison des récits des minorités et, en particulier, que les minorités africaines trouvent une communauté chez nous", dit-il. "Je pense que la première raison de notre existence est que les minorités se sentent aimées et vues. La seconde raison est que nous existons pour les alliés qui veulent apprendre comment faire mieux vis-à-vis de, et pour les minorités. Nous voulons créer un espace où nous pouvons écouter et ensuite remettre en cause les stéréotypes existants sans débattre des droits humains des personnes."


Photo : Capture d'écran du site web de Minority Africa.