Comment couvrir les Jeux Olympiques d’hiver de Pékin

par Joseph Cummins
1 févr 2022 dans Sécurité physique et numérique
Le logo des Jeux Olympiques

Dans un récent rapport, Amnesty International a appelé la communauté internationale à ne pas laisser les Jeux olympiques d'hiver de Pékin devenir "complices d'un exercice de propagande".

L'association craint que la Chine ne voie dans ces jeux une occasion de détourner l'attention des accusations de violations des droits humains à l’encontre des Ouïghours et de la répression de la liberté d'expression à Hong Kong.

Lorsque Pékin a été choisie pour accueillir les Jeux en 2015, elle a accepté la règle 48 de la Charte olympique, qui stipule que "toutes les décisions concernant la couverture des Jeux olympiques par les moyens d’information relèvent de la compétence du Comité international olympique (CIO)".

Cette règle est en place en grande partie pour protéger les libertés des médias, garantissant un accès illimité à Internet pour les journalistes et la liberté de se déplacer à volonté dans le pays hôte.

Alkan Akad, chercheur d'Amnesty International sur la Chine, écrit dans le rapport : "Les Jeux olympiques d'hiver de Pékin ne doivent pas être une simple occasion de ‘sportswashing’ pour les autorités chinoises, et la communauté internationale ne doit pas se rendre complice d'un exercice de propagande. Le Comité international olympique (CIO) doit également insister pour que le gouvernement chinois tienne sa promesse de garantir la liberté des médias."

La presse à l’écart

Les Jeux, qui débuteront le 4 février, et les Jeux paralympiques prévus le 4 mars, se dérouleront en "circuit fermé".

Ce circuit, tel qu'il est décrit dans le Beijing Playbook mis à disposition des médias, s'applique pendant toute la durée de leur séjour en Chine et "garantit qu'il n'y ait aucun contact avec le grand public ou avec quiconque en dehors du circuit fermé."

Quelques semaines avant la publication du guide, le Club des correspondants étrangers de Chine a publié un thread sur Twitter demandant la liberté de mouvement et d'accès pour assurer une couverture médiatique indépendante. Cette demande a été largement ignorée.

Dès l'atterrissage des journalistes à Pékin, les contacts avec le personnel de l'hôtel, des sites olympiques et des moyens de transport pré-approuvés seront limités. Les journalistes ont été informés qu'ils devaient s'attendre à un environnement étranger, la plupart du personnel de service portant probablement des combinaisons de protection.

Journalism.co.uk a cru comprendre que certains reporters pensent que la politique zéro-COVID chinoise pourrait être utilisée comme un moyen commode d'entraver leur travail en limitant l'accès sous couvert de sécurité.

Un test positif au COVID-19 entraînera un séjour de 21 jours dans un hôpital sécurisé pour les personnes présentant des symptômes et le même temps dans un établissement sécurisé pour les personnes asymptomatiques.

La même période d'isolement s'applique également à toute personne qui s'avère être un contact proche d'une personne dont le test est positif, et de nombreuses personnes craignent que ce mécanisme soit utilisé pour limiter le travail des journalistes.

Le CIO a toutefois déclaré qu'une commission médicale indépendante superviserait ce protocole.

Gare aux hackers

L'Association olympique britannique a déconseillé aux athlètes d'emporter des téléphones portables et d'autres appareils aux Jeux d'hiver par crainte qu'ils ne soient piratés.

Les journalistes lui ont emboîté le pas, l'ambassade britannique préconisant l'utilisation de téléphones et d'ordinateurs portables pré-payés et “jetables” qui peuvent être "désinfectés" de tout malware après les Jeux.

Ces conseils font suite à ceux de Reporters sans frontières, qui exhorte la presse étrangère à se protéger contre la surveillance lorsqu'elle travaille à Pékin.

Ils ont notamment conseillé d'utiliser des réseaux privés virtuels (VPN), des services de messagerie cryptés et d'éviter de télécharger des applications développées en Chine, telles que TikTok.

Toutefois, selon les règles établies dans le Playbook, les athlètes et les journalistes sont tenus de télécharger l'application MY2022, qui recueille toutes sortes de données, des adresses électroniques aux données médicales.

Éviter le "sportswashing"

Avec les restrictions strictes mises en place en grande partie à cause du COVID-19 et la réduction du nombre de journalistes, on s'attend à ce que les journalistes aient du mal à trouver le panorama de sujets que l'on voit habituellement aux Jeux olympiques.

Le coordinateur du programme du Comité de protection des journalistes (CJP) en Asie, Steven Butler, déclare : "Les journalistes devraient être libres de faire des reportages comme ils l'entendent. Il y a tout une armée de journalistes en poste à Pékin qui ne sont pas dans le circuit fermé. Ils feront certainement des reportages, couvrant les grandes lignes, dans la mesure où ils le pourront."

Mais M. Butler estime que tout journaliste se trouvant en dehors du circuit fermé et de la protection qu'il offre est limité dans ce qu'il peut dire.

Le 19 janvier, la journaliste Emily Feng a tweeté à propos des "réactions virulentes" qu'elle a reçues pour un article sur les nouilles aux escargots, jugé critique envers la culture chinoise.

"Elle a été harcelée à tout bout de champ et on l'a vraiment empêchée de faire un reportage correct sur ce sujet", explique M. Butler. "S'ils vont aussi loin pour une histoire qui ne devrait pas être polémique, qu'est-ce qu'ils vont faire aux journalistes qui tentent de couvrir les droits humains ?"

"Il y aura des journalistes [à l'intérieur du circuit] qui couvriront strictement les compétitions sportives. Les rédacteurs en chef diront à certains journalistes de s'en tenir aux sports et à d'autres de s'aventurer au-delà. Mais si les athlètes s'expriment, les journalistes devront le couvrir."

Les journalistes qui transgressent les limites pourraient être confinés dans leur hôtel ou contraints de quitter le pays plus tôt que prévu, ajoute M. Butler, mais le CIO ne serait pas d'accord avec une telle décision.

M. Butler pense qu'il est beaucoup plus probable que les journalistes et les médias soient punis a posteriori, leurs bureaux et correspondants étrangers expulsés après la clôture des Jeux.

L'avis de sécurité du CPJ décrit les mesures que les journalistes peuvent prendre lorsqu'ils couvrent les Jeux, comme protéger ses sources et ses informations personnelles et comprendre que la surveillance sera quasi permanente.

Le directeur adjoint des relations internationales du Comité d'organisation des Jeux olympiques de Pékin (BOCOG) a déclaré récemment que les athlètes pourraient voir leur accréditation annulée ou faire l'objet de "certaines sanctions" pour "tout comportement ou discours contraire à l'esprit olympique, et contraire aux lois et règlements chinois particulièrement."

Human Rights Watch a également donné une conférence de presse conseillant aux athlètes de ne pas critiquer le bilan de la Chine en matière de droits humains lorsqu'ils participent à des épreuves olympiques dans le pays.

Les journalistes, quant à eux, auront du mal à éviter d'en parler s'ils le font, mais ils risquent de voir leur liberté de reportage en Chine rapidement restreinte.


Cet article a d’abord été publié par Journalism.co.uk. Il a été republié sur IJNet avec leur accord.

Photo de Bryan Turner sur Unsplash.