Cette agence corrige les stéréotypes néfastes sur l’Afrique

24 janv 2022 dans Sujets spécialisés
Carte de l'Afrique

À la suite d'une conférence de presse tenue lors du Forum économique mondial de Davos en Suisse en 2020, la militante ougandaise pour le climat Vanessa Nakate a été coupée d'une photo prise avec d’autres militants blancs. La photo a illustré un reportage de l'Associated Press et de plusieurs autres médias internationaux. Outrée par la situation, Mme Nakate est devenue une voix majeure en faveur d’une meilleure représentation de l'activisme climatique et ses voix émergentes en Afrique.

La couverture médiatique de l'Afrique et des Africains a fait l'objet de critiques méritées au fil des années. Dans sa satire à succès, How to write about Africa, publiée en 2009, l'écrivain et activiste kenyan Binyavanga Wainaina a critiqué les stéréotypes raciaux souvent utilisés par les journalistes et rédacteurs occidentaux lorsqu'ils parlent du continent. Plus tard, en 2015, certains jeunes Africains ont commencé à utiliser le hashtag #TheAfricaTheMediaNeverShowsYou pour réunir de belles images mettant en valeur la diversité et la richesse du continent au-delà des stéréotypes médiatiques. Toujours en 2015, un groupe de Kenyans a également fait circuler le hashtag #SomeoneTellCNN sur les réseaux sociaux pour exprimer leur mécontentement suite à un reportage de CNN décrivant le Kenya comme "un foyer de terreur."

Afin d’offrir une réponse pérenne à cette couverture médiatique souvent négative et remplie de stéréotypes, Africa No Filter, une organisation à but non lucratif qui s'engage à réécrire, définir et amplifier les récits africains, a lancé bird, la première agence éditoriale numérique du continent, en 2021. bird a pour objectif de couvrir les histoires des personnes et des lieux qui mettent en lumière la beauté et la promesse de l'Afrique, s’éloignant ainsi des récits fatigués et néfastes.

"Nous vivons et respirons tous les jours des récits préjudiciables et stéréotypés sur l'Afrique. L'une des premières choses que nous avons examinée était les études sur les récits concernant l'Afrique", raconte Moky Makura, directrice exécutive d'Africa No Filter. "Nous avons passé en revue près de 60 documents (documents de recherche, rapports, livres, revues universitaires à partir de l’année 2000) qui avaient été écrits sur les récits sur l’Afrique. [Nous] avons également interrogé 38 responsables éditoriaux africains et analysé plus de 300 articles provenant de 60 médias africains dans 15 pays en 2020. Les cinq angles phares à travers lesquels la plupart des reportages sur l'Afrique étaient racontés sont la pauvreté, les conflits, la corruption, la maladie et la mauvaise gestion."

Après avoir identifié ces stéréotypes communs, et le fait qu'un tiers des articles publiés dans les médias africains proviennent de médias étrangers, Mme Makura a décidé que les médias africains devaient avoir les moyens de couvrir, de raconter et de diffuser des histoires avec des angles plus positifs sur le continent. Pour atteindre cet objectif, bird commande et distribue gratuitement des reportages multimédias engageants produits par des journalistes et d'autres créateurs de contenu à ses 20 partenaires éditoriaux, des médias et des éditeurs de premier plan à travers l'Afrique. À ce jour, bird a produit plus de 350 sujets réalisés par plus de 40 contributeurs.

Selon Tom Kirkwood, rédacteur en chef de bird, ces sujets sont mis en ligne sur un site web dédié d'où ils peuvent être téléchargés par leurs partenaires. "Les partenaires éditoriaux sont des plateformes numériques d'information qui ont signé notre protocole d'accord, acceptant que nous comptions le nombre de vues des sujets. Nous pouvons également compter le nombre d'articles lus par les lecteurs sur les sites de nos partenaires, grâce à un code, le compteur d'extraits, que nous fournissons avec chaque article", explique M. Kirkwood. "De cette façon, nous pouvons mesurer l'efficacité du financement accordé au projet bird."

Destinés à un public africain qui consomme sur mobile, les reportages de bird se concentrent, entre autres, sur le développement, l'innovation, l'entrepreneuriat, la créativité, les arts et la culture en Afrique, pour mettre en valeur le dynamisme, le progrès et les ressources qui abondent sur le continent.

bird s'associe à des organisations partageant les mêmes valeurs pour créer et soutenir une communauté de journalistes créatifs à travers l'Afrique. Grâce à ces relations, bird peut offrir des opportunités de travail rémunéré et de la formation. Un exemple est African Arguments, un programme de mentorat et de formation qui permet à de jeunes journalistes indépendants en Afrique d'acquérir les compétences nécessaires pour produire des reportages approfondis et de qualité sur le continent.

Depuis ses débuts, l'organisation mère de bird, Africa No Filter, soutient la recherche, les médias indépendants, les initiatives créatives et les efforts de plaidoyer en faveur de récits nuancés et contemporains sur l'Afrique qui représentent sa diversité. Depuis 2019, l'organisation basée à Johannesburg a levé plus de 6 millions de dollars US auprès de financeurs externes pour que ce travail de pionnier puisse passer à l'échelle. À son tour, elle a accordé plus d'un million de dollars US par an en micro-subventions à destination de rédacteurs numériques, de créateurs de contenu et de rapports de recherche par l'intermédiaire de son Kekere Storytellers Fund. Africa No Filter a tout juste annoncé le lancement du Global Media Index, une nouvelle initiative en partenariat avec The Africa Center qui suivra et mesurera la manière dont les grands médias internationaux couvrent l'Afrique.

La vision de bird trouve un écho chez les journalistes. "Les médias ont un rôle important à jouer en amplifiant les voix et en mettant l'accent sur l'évolution rapide des écosystèmes technologiques et des techniques agricoles innovantes, ainsi qu'en créant un équilibre dans les discours politiques sur le continent", déclare Todah Opeyemi, expert en multimédia et responsable éditorial junior de The Republic, un média basé à Lagos qui propose une couverture approfondie des sujets sous-traités sur l'Afrique.

M. Opeyemi pense également que nous devons raconter nos propres histoires et façonner nos propres récits sur l'Afrique, en particulier avec le développement des publications spécialisées sur le continent dans le paysage médiatique. "Rien n’influence plus notre identité en tant qu'Africains que les histoires", affirme-t-il.

Aujourd'hui, bird a terminé sa phase pilote pour arriver à ce que M. Kirkwood appelle bird 2.0. L'agence éditoriale fait grandir actuellement son équipe et son réseau de contributeurs et, grâce à un nouveau partenariat avec la Fondation Thomson, propose un module de formation aux contributeurs de bird afin d'accélérer la production de contenu.

"Nous avons reçu un financement pour 2022, ce qui est une excellente nouvelle pour bird, ses partenaires, l'équipe de rédaction numérique et nos contributeurs. Nous sommes impatients d'enrichir notre offre actuelle tout au long de l'année, avec la possibilité d'utiliser bird comme une plateforme pour fournir toute une série de contenus qui correspondent à l'engagement d'Africa No Filter de changer les récits sur et en Afrique", conclut M. Kirkwood. "Nous cherchons à étendre davantage notre empreinte à travers les 54 pays qui composent ce vaste et dynamique continent."


Photo de Nothing Ahead sur Pexels.