Ces médias portés par des réfugiés leur permettent de se réapproprier leur histoire

6 avr 2023 dans Diversité et inclusion
Un  journaliste de Voice of Palong en interview

Lorsqu'un gigantesque incendie s'est déclaré dans un camp de réfugiés rohingyas à Cox's Bazar, au Bangladesh, au début du mois de mars, Voice of Palong (VoP) n'a pas eu besoin d'envoyer une équipe de loin. Déjà basée dans le camp de réfugiés de Kutupalong, l'équipe de VoP a directement rendu compte de la catastrophe et a partagé ses images avec les chaînes d'information bangladaises.

L'émission hebdomadaire de cette radio communautaire, diffusée depuis le plus grand camp de réfugiés au monde, qui compte environ 1 million de personnes, est produite conjointement en langue rohingya par des réfugiés rohingya et la communauté d'accueil bangladaise, avec le soutien de DW Akademie et d’un partenaire local, Young Power in Social Action (YPSA).

Awaz-e-Dosti, un programme radio diffusé par des réfugiés afghans au Pakistan, est également une initiative conjointe menée par des réfugiés et une communauté d'accueil. Produit en persan, en pachto et en dari, il a trouvé son public en Afghanistan, au Pakistan et au-delà, selon Fakhira Najib, directrice technique de la Power99 Foundation, qui a contribué au lancement du programme en collaboration avec DW Akademie.

Ces initiatives médiatiques bouleversent les hiérarchies traditionnelles des médias d'information et permettent aux communautés de réfugiés de contrôler leurs propres récits.

Raconter sa propre histoire

La Power99 Foundation et la DW Akademie ont lancé Awaz-e-Dosti après avoir mené une étude interne qui a révélé que la couverture des réfugiés afghans dans les médias pakistanais était insuffisante.

"Cela pourrait s'expliquer par les difficultés d'accès des médias traditionnels, qui ont besoin d'une autorisation pour travailler dans les camps de réfugiés", explique Mme Najib. "Nous avons identifié les personnes intéressées par la radio et les avons aidées à renforcer leurs capacités. Elles sont les mieux placées pour identifier les sources et raconter leurs propres histoires. Les programmes aident à transmettre les nouvelles de l'intérieur des camps vers le monde extérieur".

L'un des animateurs d'Awaz-e-Dosti, Bilal Danish, 25 ans, est d'accord : "Je veux servir ma communauté par le biais du journalisme".

Bilal Danish est un réfugié afghan dont la famille s'est installée au Pakistan il y a deux générations, lors de l'invasion soviétique de l'Afghanistan. L'un de ses reportages, sur un patient atteint d'un cancer dans le camp de réfugiés d'Haripur, a incité les gens à proposer leur aide. M. Danish a également fait des reportages sur la traite des êtres humains parmi les réfugiés afghans et sur les migrations climatiques, des sujets qu'il espère voir repris par des médias afghans plus importants comme TOLOnews ou Pajhwok Afghan News.

Mizana Begum, reporter communautaire de VoP et réfugiée rohingya de 18 ans, a fui le Myanmar avec sa famille en 2017 à la suite de la campagne militaire contre les Rohingyas. Elle est particulièrement fière de son reportage sur les petites entreprises dirigées par des réfugiés, qui, selon elle, a encouragé son jeune voisin à créer une entreprise pour être indépendant. Elle a également pu couvrir l'incendie de Cox's Bazar, amplifiant ainsi les récits des personnes touchées par la catastrophe.

"Notre particularité est que [VoP] est pour, par et de la communauté", affirme Shihab Jishan, chef de projet de YPSA pour VoP. "Le programme radio s'adresse aux Rohingyas et aux communautés d'accueil bangladaises. C'est le point central.”

 

Reporting carried out by Voice of Palong.
Crédit photo : Voice of Palong.

Du reportage constructif

VoP et Awaz-e-Dosti privilégient tous deux un journalisme constructif, axé sur les solutions. "Nos articles créent des ponts entre les communautés d'accueil et les réfugiés. Notre travail vise à réduire les risques de conflit", explique M. Jishan. "Nous avons réalisé [un reportage] sur l'amour commun du football pendant la Coupe du monde. Notre reportage sur la crise de l'eau dans le camp a incité les ONG à proposer des solutions.”

Un autre reporter communautaire de VoP, Jahid Hossain, 22 ans, a réalisé un reportage sur le Myanmar Curriculum Pilot, un projet d'éducation basé sur le programme scolaire national du pays. Réfugié rohingya, M. Hossain avait suivi une formation de [hâfiz] avant de fuir le Myanmar en 2017. Il travaille aujourd'hui dans le domaine de la radio au camp de réfugiés.

De même, un reportage d'Awaz-e-Dosti sur le manque de classes pour les élèves plus âgés dans l'école locale a incité la communauté à rénover une vieille salle et à engager un enseignant afin que les enfants réfugiés afghans, en particulier les filles, puissent poursuivre leur éducation. "Nous nous concentrons sur les histoires d'espoir, de résilience et de cohésion sociale, et non sur le sensationnalisme", précise Mme Najib.

 

Bilal Danish of Awaz-e-Dosti
Bilal Danish de Awaz-e-Dosti. Crédit photo : Awaz-e-Dosti.

Monter en compétences

VoP et Awaz-e-Dosti ont aidé leurs reporters à acquérir des compétences professionnelles importantes. "Avant de rejoindre VoP, j'avais une vision négative de la télévision et de la radio, car je venais d'un milieu conservateur", raconte M. Hossain. "Après avoir travaillé ici, j'ai pu constater que la bonne information peut même sauver des vies, comme dans le cas des reportages sur la vaccination. Cela a changé ma vie.”

M. Danish se dit heureux d'avoir reçu une formation, notamment en montage audio et vidéo, et ajoute qu'il a également appris à intégrer le journalisme constructif dans ses reportages.

Mme Begum, elle aussi, a grandi professionnellement au cours des sept mois qu'elle a passés à VoP. "J'étais timide, mais j'ai maintenant appris beaucoup de choses nouvelles : à faire des interviews, des micro-trottoirs et bien d'autres choses encore", dit-elle. "J'ai aiguisé mes compétences en matière de communication. J'ai également appris à faire face à la stigmatisation sociale qui entoure les femmes travaillant en dehors de leur domicile dans la communauté rohingya."

La pérennité, un défi

Avec Awaz-e-Dosti, la Power99 Foundation a voulu créer un hub médiatique pour aider les journalistes à devenir des sources d'information fiables pour les médias nationaux et internationaux qui souhaitent couvrir les camps de réfugiés.

Cependant, il ne suffit pas de former les réfugiés pour qu'ils deviennent des journalistes. Ils ont besoin de passerelles pour être en mesure de subvenir à leurs besoins et de continuer leur travail.

Au Pakistan, les réfugiés ne sont pas autorisés à travailler à plein temps en raison de leur statut administratif. “Ils ne peuvent que faire du bénévolat,” explique Mme Najib. Au Bangladesh, les réfugiés rohingyas n'ont pas de statut légal. Cela les empêche également d'être employés, limite leurs déplacements et leur accès à l'éducation et aux soins de santé.

Les médias dirigés par des réfugiés devront relever ces défis à l'avenir.


Crédit photo principal : Voice of Palong.