Le 122e webinaire du Forum Pamela Howard sur les crises mondiales du Centre International pour les journalistes (ICFJ), animé par Kossi Balao le 28 septembre, abordait un des sujets majeurs de l’année « Comment médiatiser le calvaire des femmes victimes de terrorisme ? » avec Mariam Ouédraogo. Lauréate du Prix de Journalisme International ICFJ Knight en 2023 et du Prix Calvados-Normandie des correspondants de guerre en 2022, elle est une journaliste reconnue pour son implication dans des sujets délicats.
Le travail de Mariam Ouédraogo se démarque en contournant le piège de l'information superficielle pour se concentrer sur les victimes et relater leur point de vue, soulignant ainsi que le journalisme doit d'abord être axé sur l'humain. Lors du webinaire, elle a partagé pendant plus d'une heure des astuces et conseils essentiels pour aborder ce sujet, depuis la phase d'enquête jusqu'à la collecte de témoignages, en mettant également l'accent sur la préservation de sa propre santé.
« J’ai intérêt à aller mieux, c’est devenu mon quotidien », a rassuré avec un large sourire Mme Ouédraogo à propos de sa santé, elle qui a dû prendre une pause après un trouble de stress post-traumatique.
Définir clairement ses objectifs
Pour elle, le journaliste doit bien définir ses objectifs avant sa descente sur le terrain, car « le sujet du viol reste un tabou dans notre société, encore lorsqu’il s’agit d’un viol par des individus armés ». Dans son cas, dès le début, « la compréhension et la description du phénomène, l’exposition de l’ampleur des violences et la documentation des stratégies de survie des rescapées » s’est imposée comme objectif de son travail, méthode qui peut servir pour les journalistes qui enquêtent sur le même sujet.
Elle estime qu’une bonne méthodologie permet de « convaincre sa rédaction à travers un projet de reportage. Le journaliste doit prendre l’initiative de convaincre et de montrer la pertinence du traitement d’un sujet par sa rédaction », a-t-elle recommandé. « Sachez vous comporter pour que les victimes vous parlent, car elles vivent ces douleurs. Vous remuez le couteau dans la plaie, adaptez-vous à la réalité, soyez patient et ne soyez pas insensible. Établissez le dialogue en restant humain, ne soyez pas seulement journaliste », a ajouté la reporter.
Elle s’est rappelé avoir pleuré avec une victime d’un viol après une année de recherche et des discussions nocturnes. Elle a toutefois conseillé de « laisser une marge de distance » avec ses sources pour « éviter une décharge psychologique des victimes » sur le reporter.
Dès votre retour de terrain « prenez le temps de digérer votre retour, laisser le recul s’installer et comprenez votre évitement à l’idée de réécouter les témoignages », estime-t-elle à propos de la rédaction.
Catégoriser le sujet en variant les angles
Mariam Ouédraogo a souligné l'importance de bien catégoriser les sujets, de les aborder sous différents angles et d'adopter divers types de récits. Elle a recommandé de ne pas tout condenser en un seul article, mais plutôt de considérer une série d'articles sur le sujet. Cette approche s'est avérée fructueuse pour elle, contribuant à sa victoire au Prix Bayeux en 2022. Elle a rappelé l'importance du respect des sources, en préservant l'anonymat des femmes et en utilisant des images d'illustration ou de dos pour les victimes qui apparaissent dans ses reportages.
« Insistez sur la production de ces articles de fond qui, même s’ils n’apportent pas de l’argent dans la rédaction, ils appellent à des prises de décisions et à des changements », a déclaré Mme Ouédraogo, insistant pour que les femmes ne se retiennent pas d’investiguer sur ce sujet.
Préparer votre descente sur terrain
Pour relater les histoires poignantes de ces femmes victimes de violences, Mariam a dû les écouter attentivement, mais parfois, elle se sentait désemparée face à des récits dépassant l'imaginable cruauté. « Vous allez vous sentir impuissant dans certaines situations », a prévenu la journaliste.
« Avant d’y aller, consultez les autorités, informez sur votre sujet et faites de votre mieux pour obtenir l’autorisation », a-t-elle conseillé, lorsque la démarche n’a pas de risque pour entraver votre enquête. Lors de son travail, le journaliste doit s’adapter pour faire face aux changements de situation sur le terrain, multiplier les sources et créer de la confiance. « Ne vous mettez pas en exergue, parfois se fondre dans la masse, sans badge ni gilet, peut vous être utile ».
Le journaliste doit être conscient des défis auxquels il sera confronté. Mariam a plongé au cœur du quotidien des femmes contraintes de recourir à la prostitution pour mieux appréhender les conséquences de ce phénomène. « Sans aller au bout du processus, j’ai pu rencontrer des gens qui utilisent les femmes violées à des prix vils » se souvenait-elle.
Santé mentale et sécurité
« C’est nécessaire, parce que ce que vous vivrez sur le terrain sera très différent de vos attentes de départ », elle qui a dû prendre une pause de onze mois suite au diagnostic d'un traumatisme vicariant qui a fait suite à ses reportages. « Sollicitez l’aide d’un spécialiste de santé mentale pour prévenir tout choc lors de votre travail ».
Sur le terrain, le reporter doit penser aux précautions à prendre. Chaque reporter doit penser « aux insuffisances de données, à la disponibilité du temps et de moyens financiers alors que nos rédactions ne nous offrent pas ces facilités ». Le journaliste doit protéger ses sources en évitant de les exposer et de s’exposer davantage sur le terrain et dans la rédaction. « Trouvez le juste milieu entre l’anonymat et la précision pour éviter de rédiger un récit qui manquerait du réel », recommande Mariam.