Jusqu’à fin 2014, le Burkina Faso était épargné par les groupes armés violents qui essaimaient déjà dans d’autres localités dans la région. En 2015, le pays enregistre ses premières attaques qui vont s’intensifier au cours des années, au point où les 3/4 du territoire sont sous menaces terroristes ; alors que les conséquences humaines sont estimées à plus de 2 000 morts et 1,7 million de déplacés internes au 31 janvier 2022. Une situation qui a des conséquences sur les journalistes.
Quelque 160 000 personnes ont été contraintes de fuir leurs localités pour le seul mois de janvier 2022. Au nombre de ceux-ci figurent des journalistes. C’est le cas de Rabi Bangré, directeur de la Radio Dvso-Pama. Une station située à l’Est du Burkina Faso, dans la province de Kompienga. Une zone encerclée par des groupes armés, identifiés comme étant du Jnim, une coalition de groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda.
Impossible de retourner dans sa rédaction
Rabi Bangré a élu domicile à Fada, après avoir quitté sa radio, depuis sept mois. "J’ai dit à ma femme et mon fils, nous sommes en train d’aller à Fada. Quand on a pris la route, à 20 km, on a vu une colonne d’hommes armés sur les motos. Ils sont venus nous dépasser", dit-il. Depuis, Rabi Bangré n’est plus retourné à son travail. La ville est coupée en deux et est minée. "Au début, je montais mes émissions sur mon ordinateur et j’envoyais l’audio par WhatsApp à mes collaborateurs. Mais aujourd’hui, la radio ne fonctionne plus. Les groupes terroristes ont coupé le courant et vandalisé les installations électriques", explique-t-il. Aujourd’hui, il ne peut plus travailler, il a perdu ses auditeurs, sa radio et ses employés sont au chômage. En plus de cela, il vit un violent traumatisme, après avoir vu des exactions.
Tout comme Rabi Bangré, ils sont nombreux ces journalistes qui vivent dans plusieurs localités du Burkina Faso écumées par les groupes armés extrémistes. Sur les 13 régions que compte le pays, neuf régions (soit 3/4 du territoire) sont touchées par les exactions des groupes armés terroristes. Et depuis 2015, cette spirale de violences qui s’accentue est attribuée à des mouvements armés jihadistes, affiliés à Al-Qaïda et au groupe État islamique.
Directeur du journal en ligne Glumu.info, Vanne Marcel Ouoba explique : "Ma plus grande crainte, c’est d’être reconnu par les terroristes et qu’ils identifient par famille. J’ai peur qu’ils s’en prennent à mes journalistes. Une fois, les groupes intermédiaires ont déboulonné les roues de ma voiture, afin que je fasse l’accident". Son confrère Narcisse Dabini, journaliste à la Radio Tintua, située dans la ville de Fada, confie : "On ne peut pas aller à plus de 5 km de la ville. Ça fait peur". Aussi, le 26 avril 2021, deux journalistes espagnols et un cameraman irlandais, ont été tués à l’Est du Burkina par les terroristes.
"C'est une situation qui ne facilite pas le travail des journalistes"
À l’Ouest du Burkina, une autre région victime des attaques terroristes, Bienvenu Dembélé, journaliste à Timbanews.net, témoigne : "C’est une situation qui ne facilite pas le travail des journalistes, qui doivent prendre des dispositions pour éviter les embuscades. J’ai vu un confrère qui a été arrêté, ils l’ont forcé à suivre des prêches, ils l’ont libéré, mais il a décidé de ne plus aller en reportage". Dans la même région, la radio communale de Gassan a été forcée de suspendre ses émissions, à cause de menaces des groupes armés. Aussi, dans la province de la Kossi, la radio de Djibasso n’arrive plus à émettre parce que les terroristes ont coupé les pylônes électriques.
À Banfora, région des cascades, touchée par les exactions terroristes, Adama Traoré constate que "les terroristes vérifient les pièces d’identité. Sur ma pièce, il est écrit journaliste, s’ils vérifient, ils peuvent s’en prendre à moi". Patrice Kambou, journaliste à la Radio Solidarité de Ouahigouya, région du Nord du Burkina regrette :
"Il y a une diminution de l’offre informationnelle, question sécuritaire oblige".
Guezouma Sanogo, président de l'Association des Journalistes du Burkina (AJB) pense que : "les journalistes ne peuvent pas mener sans difficulté leurs activités".
Photo : une route entre Bobo Dioulasso et Banfora, Burkina Faso, par Jet Stouten, sous licence CC via Unsplash