"Maman pige" : comment gérer sa vie de pigiste, de la grossesse à la reprise du travail ?

Aug 16, 2021 در Etre freelance
Maman travaille avec bébé dans les bras

Quand on entend sa voix à la radio, regarde son duplex à la télévision ou découvre son papier dans la presse, se doute-on qu’une journaliste est peut-être en train de se demander comment obtenir son congé maternité ? Ou qu’elle n’ose pas dire qu’elle est enceinte à son employeur ? Ou qu’elle n’a pas de couverture santé dans le pays où elle s’est établie comme correspondante ? Une pigiste bien informée en vaut deux.

À travers six récits de consœurs qui ont choisi la pige et la maternité, IJNet vous propose quelques conseils, utiles pour tous et toutes. 

Être pigiste est souvent synonyme de revenus irréguliers. La décision de fonder une famille, qui peut impliquer de revoir à la baisse sa disponibilité pour partir en reportage et donc éventuellement son salaire, peut être difficile à prendre, voire retardée. “J'ai hésité avant de penser à avoir un enfant : le fait de ne pas avoir d'horaires, d'être toujours joignable pour du desk ou du reportage. Il y a la question du salaire liée à la disponibilité. Mais je ne voulais pas laisser passer le temps", se souvient Anaïs Cordoba, trentenaire et correspondante à Londres.

Anaïs Cordoba et Carlotta, née en 2019
Anaïs Cordoba et Carlotta, née en 2019. Photo personnelle.

 

Pour Juliette Tissot, le projet de vivre à l’étranger avec son conjoint, lui aussi journaliste, allait de pair avec l’aventure familiale. "On avait envie de réaliser ce rêve de vie à l'étranger, et comme on voulait aussi des enfants, on a mené ces deux projets en même temps", raconte-t-elle, revenue en France après des années en Inde puis en Thaïlande avec deux enfants. 

Annoncer sa grossesse à son employeur peut s’avérer compliqué, entre la peur de perdre sa place, et le risque de ne pas être sollicitée pour des piges. Anaïs Cordoba n’a pas eu ce problème : son employeur principal, Europe 1, lui a permis de continuer à travailler tant que sa santé le lui permettait. "Dès le 6e mois, j’avais des contractions, je m’essoufflais vite, et quand il y a eu beaucoup d’actu, ils ont envoyé des reporters pour me soutenir sur le terrain car je n’aurais pas pu couvrir une manifestation pendant le Brexit par exemple", raconte la jeune maman.

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Basée en Tunisie depuis 2015, Maryline Dumas ne se rend plus sur les mêmes terrains, notamment en Libye, mais ses employeurs continuent de compter sur elle. "J’ai été surprise, les rédactions ont été très correctes. J’avais peur au début car personne n’est irremplaçable, mais je n’ai pas de pression pour aller en reportage en Libye comme je le faisais avant", explique cette mère de deux enfants.

Fanny Noaro-Kabré, basée au Burkina Faso, a elle aussi eu les mêmes craintes, mais les médias pour lesquels elle travaille ont été "réglos". "Pourvu que rien ne se passe pendant mon congé maternité", avait-elle pensé. Fanny, comme d’autres, conseille de trouver quelqu’un de sérieux et loyal pour assurer la correspondance le temps nécessaire. 

La grossesse à l’étranger

Que l’on choisisse d’accoucher en France ou à l’étranger, les dilemmes sont nombreux. Anaïs a choisi d’accoucher à Londres, à l’hôpital public et elle en garde un bon souvenir. "C’est gratuit, tu es avec une sage-femme si tout se passe bien, avec péridurale si besoin. J’aime la mentalité britannique, même si être avec d’autres mamans dans sa chambre n’est pas confortable, j’étais heureuse avec mon bébé et mes hormones", confie-t-elle.

Fanny, elle, avait commencé son suivi au Burkina Faso. Pour donner naissance à son premier enfant, elle fait plus de 5 heures d’avion pour rejoindre la France à son 7e mois de grossesse. Lors d’une échographie de contrôle, elle découvre que son enfant n’a qu’un seul rein. "Si cela avait été découvert avant, on aurait fait d’autres examens. J’ai dû subir une amniocentèse. C’est violent comme intervention, surtout que cela aurait été évité si au Burkina Faso les médecins avaient identifié ce qu’il fallait sur l’échographie", raconte Fanny, originaire d’Arles. Si elle choisit d’avoir un autre enfant, malgré le coût du déplacement, entre les billets d’avion et l’absence de son lieu de travail, elle envisage de rentrer en France faire ses échographies. 

Fanny Noaro-Kabré et Milo, né en 2018. Photo personnelle.
Fanny Noaro-Kabré et Milo, né en 2018. Photo personnelle.  

Le congé maternité, est-ce pour moi ? 

Parmi les défis des journalistes pigistes ou les indépendantes, la question du congé maternité reste tabou. Certaines pensent y avoir droit et découvrent, trop tard, qu’elles ne répondent pas aux critères car elles n’ont pas accouché en France ou n’ont pas assez travaillé pour recevoir des indemnités journalières. "Ma hantise c'est que la sécurité sociale voie que mes enfants sont nés à l'étranger et que je sois radiée. Ça fait 10 ans que je suis correspondante et c’est une enclume au-dessus de ma tête. C'est pas normal, ça me scandalise", avoue une consœur qui hésite à donner son nom. Elle n’est pas la seule à vivre avec cette peur au ventre. 

Depuis le décret du 19 octobre 2020 sur les indemnités journalières pour les pigistes, il faut avoir travaillé 150 heures (taux SMIC horaire 10,25 euros en 2021) sur les trois derniers mois pour ouvrir les droits aux prestations sociales, comme par exemple, le congé maternité. Avant ce décret, il fallait avoir travaillé presque trois fois plus. Sous le seuil de 20 000 euros au cours des douze derniers mois un pigiste n’était pas éligible, alors qu’une majorité de pigistes gagnent un SMIC, autour de 1 500 euros mensuels.

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Vingt cinq ans après la naissance de sa fille, Myriam Guillemaud Silenko, du bureau national du Syndicat des Journalistes (SNJ) se souvient encore du bras de fer qu’elle a mené contre la sécurité sociale qui avait lissé ses revenus et calculé de façon défavorable ses indemnités journalières.

"Je recevais les deux tiers seulement de mon salaire. J’ai obtenu gain de cause et la décision du tribunal des affaires sociales a servi à des centaines de pigistes après moi", raconte cette mère de trois enfants".

Elle conseille de prendre rendez-vous avec la sécurité sociale, si possible en face à face, en apportant toutes ses fiches de paie, et le décret du 19 octobre imprimé. "La Sécu indemnise 80 % des revenus, et les 20 % restants doivent être ventilés entre les employeurs", rappelle-t-elle, soulignant qu’au sein de chaque groupe de presse, les représentants du personnel sont aussi là pour épauler les pigistes dans leurs démarches. 

Si certaines pigistes pensent que le congé maternité n’est pas pour elles, obtenir ce droit reste, c’est vrai, un parcours du combattant. 

"C'est tellement dur d'obtenir ses droits, que beaucoup baissent les bras, alors que c'est juste difficile, pas impossible", analyse Elise Descamps, coordinatrice du pôle pigistes de la CFDT-Journaliste, elle même pigiste depuis 16 années. Elle conseille de demander aux différents employeurs d’anticiper les paiements avant l’arrêt de travail, pour que la CPAM ne reçoive pas de fiches de paie au moment où on est censées ne pas travailler. "Il faut prouver que les articles et reportages ont été rendus avant le début du congé maternité, garder les mails de commandes et de rendus si la publication est retardée, en cas de contrôle de la Sécu", précise Elise Descamps. 

La mère et l’enfant se portent bien. Maintenant, au travail !

Une fois le congé maternité passé (rémunéré on l’espère !), commence la vie d’équilibriste, entre les piges, les nuits courtes, et les horaires à redéfinir. Partir en reportage n’est plus une évidence pendant les premiers mois, voire les premières années. "Il y a toujours beaucoup de travail à Londres : alors je fais moins d'heures depuis que je suis maman, mais j'ai des collaborations plus régulières et je suis plus efficace", constate Anais Cordoba. Pour elle, travailler et s’occuper d’un enfant en même temps n’est pas une option. La limite est claire pour elle, et donc pour ses employeurs.

"L’avantage d'être pigiste et mère de famille, c’est de travailler de chez soi. Mais je conseille de louer un espace, même petit, pour travailler dehors car un enfant qui sait que tu es derrière la porte, il vient te voir. Mais c'est aussi ce qui fait le charme de cette vie-là : je sors de mon bureau et je peux déjeuner avec mon enfant", se souvient Juliette Tissot, dont les enfants sont maintenant adolescents.

Elle se souvient particulièrement de cette nuit de novembre 2008. Les attentats de Bombay tuent 188 personnes. Son mari, JRI, part immédiatement sur place pour suivre la prise d’otages. Depuis New Delhi, elle enchaîne les papiers d’analyse pour la radio, en attendant l’arrivée d’une envoyée spéciale venue de Paris. "Ma fille avait une énième bronchiolite, liée à la pollution de Delhi, et je ne pouvais pas la confier à ma nounou ni à des grands parents", se souvient-elle. 

Comme beaucoup de consœurs pigistes, elle raconte ces duplex avec les enfants à côté. "J’ai déjà fait des directs dans la voiture, les enfants à l’arrière avec leur tétine", raconte-elle. Ces dilemmes de la vie à l’étranger, Juliette Tissot les a racontés dans Indian Therapy : son héroïne n’est pas journaliste comme elle, mais l’autrice nous "plonge avec férocité et tendresse dans le monde des expatriés en Inde, mais aussi dans les interrogations universelles d’une femme sur le sens de sa vie". 


Marie Naudascher est journaliste radio et travaille comme correspondante pour Europe 1 radio au Brésil. 

Photo sous licence CC via Unsplash Helena Lopes