Utiliser Twitter Spaces pour ses reportages : comment ça marche ?

par Sarah Scire
7 févr 2022 dans Médias sociaux
Logo Twitter, sur un portable

Les Twitter Spaces, initialement décrits comme des chats audios "éphémères", semblent se pérenniser. Le réseau social a ajouté la possibilité pour les animateurs d'enregistrer les sessions en direct, a mis en place une billetterie pour ceux qui souhaitent monétiser leurs salons Spaces et a consacré un espace privilégié dans l'application à cette fonctionnalité. L'entreprise encourage aussi activement les rédactions et les journalistes à endosser le rôle d'hôte.

Twitter Spaces a été lancé en décembre 2020 en tant que produit exclusivement mobile pour un nombre restreint d'hôtes, quelques mois avant que Clubhouse n'atteigne son apogée (vous vous souvenez de Clubhouse ?). La fonctionnalité a été déployée à grande échelle en mai 2021. Toute personne ayant plus de 600 followers peut héberger un Space.

Eric Zuckerman, responsable des partenariats médias aux États-Unis pour Twitter, a déclaré que son équipe et lui-même ont discuté avec des rédactions de l'utilisation de Spaces au cours de l'année écoulée. Son pitch ? L'audio social comme Twitter Spaces offre "une opportunité aux rédactions et aux journalistes d'avoir des conversations ouvertes et authentiques avec leurs publics sur ce qui se passe dans le monde et sur les sujets qu'ils couvrent", dit-il.

Twitter est depuis longtemps un outil clef pour les journalistes qui cherchent à entrer en contact avec leurs publics et leurs sources. La plateforme est un lieu où les journalistes peuvent trouver des idées d'articles, répondre à des questions et gagner la confiance des lecteurs en montrant davantage leurs reportages et leur processus de travail. Selon M. Zuckerman, les Twitter Spaces sont un autre moyen pour les journalistes de poursuivre la conversation. Dans un Space, les hôtes, qui peuvent être des rédactions ou des particuliers, invitent leurs abonnés à écouter une interview, une discussion ou une table ronde et leur tendent même le micro (virtuel) pour participer à la conversation.

Parmi les salons récemment animés par des rédactions, citons ceux de Steve Inskeep, de NPR, qui parle de son interview écourtée avec Trump, du Miami Herald qui raconte les coulisses de son enquête de plusieurs mois sur l'effondrement de l'immeuble d’appartements de Surfside, et des journalistes du Washington Post qui se sont connectés pour réagir à la nouvelle du rachat du fabricant de jeux Activision par Microsoft.

Les rédactions ont également tiré profit de Spaces à l’occasion de dates anniversaire. Le 6 janvier, il y avait l'embarras du choix : HuffPost, BuzzFeed News, USA Today, New York Times Opinion, The Daily Beast, Politico et l’Associated Press ont tous organisé des salons Spaces sur les conséquences de l'attaque du Capitole.

Certains des meilleurs salons Spaces que j'ai entendus sont ceux où les journalistes partagent ce qu'ils savent et ce qu'ils essaient encore de comprendre. Lorsque la nouvelle est tombée que Facebook prévoyait de changer de nom, les journalistes tech Kara Swisher et Casey Newton ont organisé une discussion animée avec de nombreux invités aux profils vérifiés pour spéculer sur ce que pourrait être le nouveau nom et sur les raisons de Facebook pour ce changement. La liberté que les journalistes ont ressentie à imaginer ces noms, des suppositions qui n’auraient peut-être pas été publiées par ailleurs, a rendu la discussion encore plus amusante.

**Une pause pour une mise en garde. Si vous parcourez l'onglet "Découvrir Spaces", les salons peuvent sembler un peu mono-sujets... et ce sujet, ce sont les NFT (Si vous êtes branché NFT, pas de problème ! Chacun son truc !). Mais la modération et la qualité de la fonctionnalité découverte restent des problèmes réels pour Spaces. Si vous vous aventurez dans les salons, vous risquez de vous retrouver jusqu'au cou dans les fausses informations sur le COVID-19, le racisme et les propositions d’arnaques.

L'autre jour, je me suis connecté à un salon à la Une où pullulaient de fausses informations qui seraient signalées si elles étaient tweetées, du genre : "Les vaccins ont tué plus de gens que COVID-19".

C'est moins un problème pour les rédactions et les journalistes qui animent des salons. Twitter dispose d'un certain nombre de fonctions intégrées pour aider les hôtes à modérer la discussion, notamment en reprenant le micro à quelqu'un qui se montre abusif. J'ai interrogé M. Zuckerman sur le décalage entre ce que j'entendais au sujet de Spaces et le reste des politiques de Twitter.

Les salons Spaces qui semblent violer les directives de Twitter peuvent être signalés et fichés. M. Zuckerman a assuré que les signalements au sujet des salons Spaces sont prioritaires dans la prise en charge des plaintes et traités par une équipe spécialisée.

"Ce que je dirais, c'est que Spaces a été créé pour être un lieu de conversations ouvertes, nuancées et authentiques. Assurer la sécurité des personnes et encourager des conversations saines ont été des priorités clefs depuis le début du développement du produit", précise M. Zuckerman. "Nous sommes déterminés à mieux servir les hôtes et les auditeurs de nos Spaces."**

Il existe un guide assez complet sur l'utilisation de Twitter Spaces, mais M. Zuckerman dit que la première chose qu'il conseille aux rédactions est d'écouter d'autres salons Spaces et de tester la fonction par elles-mêmes. Sarah Feldberg, responsable éditoriale des produits émergents et de l'audio au San Francisco Chronicle, partage ce conseil.

"Testez. Testez. Testez", explique Mme Feldberg. "Spaces est assez facile à utiliser, mais semble être mis à jour régulièrement, il est donc important de rester au courant de son fonctionnement et de s'assurer que vos invités savent comment rejoindre le salon et commencer à parler."

Le Chronicle a créé quatre salons jusqu'à présent : une discussion sur les cadeaux de Noël, une discussion avec les critiques culinaires Soleil Ho et Cesar Hernandez, et deux en partenariat avec leur podcast quotidien d'actualités Fifth & Mission.

Dans le cadre des émissions de Fifth & Mission, l'animatrice Cecilia Lei et Erin Allday, journaliste spécialisée dans les questions de santé, ont interviewé des experts de la santé publique au sujet du COVID-19.

"Ils ont été un moyen de donner à notre communauté un accès en direct à des experts locaux et de parler de questions urgentes autour de la pandémie, comme des conseils pour les parents d'enfants trop jeunes pour être vaccinés et des préoccupations concernant le COVID long dans le cas d’infections de personnes vaccinées", raconte Mme Feldberg. "Nous avons enregistré l'audio de ces conversations et monté les points clefs sous formes d’épisodes ultérieurs du podcast".

 

NPR, qui a animé plus de 60 salons Spaces jusqu'à présent, a également pu utiliser et réutiliser des conversations animées sur Twitter Spaces. Matt Adams, responsable éditorial de l'engagement à NPR, a évoqué une conversation entre Eric Deggans, critique de culture pop de NPR, Brian Mann, correspondant de NPR pour les addictions, Beth Macy, autrice de Dopesick et Danny Strong, créateur et producteur exécutif de la série Dopesick, qui a été enregistrée pour les auditeurs ayant manqué le salon en direct. Elle a donné lieu à trois articles numériques.

Une interview du directeur général des services de santé des États-Unis, et les questions du public en direct, ont également été diffusées plus largement.

"Les journalistes lancent la conversation, parlent de leurs reportages récents et informent notre public de ce qu'il doit savoir. Mais je pense que la vraie particularité de l'audio social est la partie sociale, l'ouverture du micro au public pour qu'il pose des questions qui peuvent nous aider à comprendre des sujets que nous n'avons pas encore couverts ou à obtenir leurs réactions sur la façon dont NPR couvre l’actualité", explique M. Adams. "J'ai longtemps travaillé dans des communautés en ligne et avant, on envoyait un sondage pour obtenir des réactions ou demander aux membres comment améliorer un service... Pour moi, l'audio social est une enquête en temps réel qui nous permet d'obtenir des réactions et, espérons-le, de toucher de nouveaux publics."

Les Twitter Spaces mettant en scène des célébrités et des journalistes couvrant la Maison Blanche et le Congrès ont particulièrement bien marché pour NPR. L'acteur Matthew McConaughey a eu plus de 4 000 auditeurs lorsqu'il a déclaré, à propos d’une potentielle candidature à un mandat électoral, "Je ne le suis pas, jusqu'à ce que je le sois" dans un salon organisé par NPR. Une fois l'événement lancé, la rédaction peut encourager la participation en tweetant des citations de choix ou en faisant savoir aux utilisateurs qu'ils pourront bientôt poser leurs questions.

En fin de compte, M. Adams indique que les Spaces font partie d'une stratégie plus large de NPR visant à réfléchir à la manière dont la station de radio "peut aller au-delà des ondes ou de son site internet npr.org" et "mettre en avant un large éventail d'invités et de sources".

"Nous commençons à approcher des sujets en nous demandant : ‘Cela peut-il fonctionner comme une conversation audio sociale ? Comment faire entendre plus de voix, que ce soit celles du public ou de nos sources à ce sujet ?’", ajoute-t-il. "Je dirais que cela devient une partie de notre stratégie, à l’image des reportages que nous produisons pour l'antenne."


Cet article a d’abord été publié par Nieman Lab et a été republié sur IJNet avec leur accord.

Photo de Sara Kurfeß sur Unsplash.