Une nouvelle génération de photojournalistes émerge en République démocratique du Congo

16 nov 2022 dans Journalisme multimédia
Caméra

Une nouvelle génération de photojournalistes s'impose en République démocratique du Congo (RDC). Visant à montrer la beauté et les imperfections du pays de manière brute, ces journalistes congolais ont gagné des prix en travaillant avec certains des plus grands médias du monde : Le New York Times, l'Agence France-Presse (AFP), le Washington Post, entre autres.

Ces photojournalistes ont documenté des événements notables, tels que l'éruption meurtrière du volcan Nyiragongo en 2021, le conflit géopolitique entre la RDC et le Rwanda, et divers troubles politiques. Ce faisant, ils ont contribué à élargir le champ des possibles pour les photographes de la région.

Le COVID-19 comme porte d’entrée

"Pendant longtemps, les portes étaient fermées aux jeunes photojournalistes", se souvient Arsène Mpiana, un photojournaliste qui enseigne la photographie à l'Académie des Beaux-Arts de Kinshasa, et travaille en tant que pigiste pour Jeune Afrique, RFI et Der Spiegel.  Le manque de photographes congolais a entraîné un manque de diversité dans les images et les thèmes. Il y a quelques années encore, les images de la RDC portaient presque exclusivement sur la "famine, la misère, les conflits politiques, les violences sexuelles ou l'insécurité, sur commande des organisations humanitaires", explique Guy Muyembe, gérant de Afrik Pic, et cofondateur de Habari RDC.

La pandémie de COVID-19, qui a interrompu la plupart des voyages internationaux à destination et en provenance de la RDC, a ouvert les portes à de nombreux jeunes photojournalistes congolais. Finbarr O'Reilly, un photographe indépendant britannico-canadien qui n'a pas pu poursuivre son travail en RDC pendant la pandémie, a décidé de travailler directement avec de jeunes photographes locaux sur le terrain pour son projet de livre Congo In Conversation.

"À travers nos images, qui reprennent trop facilement les thèmes du [roman] Au cœur des ténèbres, nous avons marqué le pays de violence et de brutalité. Afin de changer les récits existants sur le Congo, les artistes congolais doivent occuper la place centrale si longtemps monopolisée par les étrangers", écrit M. O'Reilly dans la préface de son livre.

Dans le cadre de Congo in Conversation, 11 photographes congolais ont participé à une série de reportages sur la pandémie, la sécurité dans l'Est du pays, les défis sanitaires lors des épidémies d'Ebola et les questions de préservation de l'environnement. "Ce projet a été une aubaine pour plusieurs photojournalistes congolais en termes de reconnaissance internationale", remarque Arlette Bashizi, qui travaille pour l'AFP et a contribué à l'ouvrage. "Pour un certain nombre d'entre nous, c'est à partir de ce projet que nous avons commencé à vivre de la photographie."

Une reconnaissance internationale

Sur la lancée de Congo In Conversation, qui a remporté le 11e Prix Carmignac de photojournalisme, les photojournalistes congolais ont rapidement trouvé des moyens de collaborer davantage avec les médias internationaux. Guerchom Ndebo, lauréat en 2021 du Prix Albert Khan de la Photo organisé par l'AFP, a vu sa couverture de l'éruption du volcan Nyiragongo en mai 2021 publiée par Radio France International, CNN et le New York Times, entre autres. Ce reportage lui a ouvert des portes pour couvrir davantage d'actualités en RDC, notamment avec Getty Images et l'AFP.

"Il est important pour nous de raconter nos histoires”, souligne Moses Sawasawa, qui, en 2021, a enfin obtenu une accréditation de l'Associated Press (AP). "Au-delà de la connaissance du terrain, c'est important [car] nos photos sont des autoportraits. Nous racontons l'histoire de nos mères et grands-mères qui vivent des guerres et témoignent de leur résilience."

Des femmes photographes

Les médias congolais ont traditionnellement accordé la part du lion des reportages aux hommes, et l'égalité des sexes est loin d’être atteinte dans l'environnement médiatique actuel du pays. Pourtant, les femmes photojournalistes avancent à grands pas pour changer la donne et bénéficient d'une reconnaissance accrue. "J'ai choisi cette forme de journalisme parce que je crois qu'il est possible d'informer [ma communauté] avec mon appareil photo", explique Mme Bashizi. "J'ai fait le choix de montrer [des photographies], inspirée par l'amour grandissant que les gens portent aux images dans le pays."

Parmi les femmes photojournalistes reconnues, citons la collègue de Mme Bashizi, Pamela Tulizo, qui couvre les événements en RDC pour le New York Times et dont le travail photographique sur la représentation des femmes congolaises dans les médias a été récompensé par le Prix Dior en 2020. Citons également Ley Uwera, qui couvre le bassin du Congo dont les photos ont été publiées dans Le Monde, Al Jazeera, la BBC et le Washington Post.

"Elles aident à montrer certains visages sans angles préétablis et à faire voir qu'au milieu des conflits et des défis, certains font de leur mieux pour changer leur situation", souligne Mme Bashizi à propos de ces femmes photojournalistes.

Les défis affrontés

Malgré les succès, des défis persistent. "Il faut encore surmonter la barrière des refus d'autorisation dans certaines situations, comme avec les autorités ou lorsque je couvre des zones de guerre où les rebelles sont le sujet de mon travail", déplore M. Sawasawa.

Obtenir l'autorisation de filmer dans le pays est également un obstacle majeur. "Les autorités exagèrent lorsqu'il s'agit de donner l'autorisation de filmer. Il faut compter jusqu'à 1 000 dollars US pour un cinéaste étranger, ce qui est un frein", explique Caroline Thirion, une cinéaste belge qui travaille en RDC depuis 20 ans. "C'est l'un des pays où il est très compliqué de faire des images, même pour les réalisateurs congolais. C'est frustrant que les photographes ne soient pas autorisés à prendre des photos dans certains endroits de la ville, malgré leur autorisation."

La sécurité physique est encore une autre préoccupation. M. Ndebo se souvient des risques qu'il a encourus en tournant sa série, Les Forêts du Kivu, dans les environs du parc national de Kahuzi-Biega. "Il s'agissait d'une zone entourée de groupes rebelles, où la plus grande prudence est de mise", se souvient-il.

Une tendance à suivre ?

"Si le photojournalisme est longtemps resté discret, c'est aussi parce qu'il n'était pas enseigné, et qu'on n'en parlait pas aux jeunes", précise Didier Makal, fondateur de Congo Durable, et directeur de Kyondo Radio and Television. Cela est en train de changer, explique M. Ndebo : "Il y a encore quelques années, le photojournalisme était une sorte d'à-côté pour les reporters rédacteurs. Notre génération se consacre essentiellement à la photographie."

Internet devenant plus accessible pour beaucoup en RDC, les médias internationaux offrent davantage d'opportunités aux photojournalistes du pays. Ces photoreporters émergents répondent “autant à une demande des consommateurs que des professionnels de l'information dans le pays", assure M. Muyembe.

"La plateforme numérique et les réseaux sociaux rendent sa place au photojournaliste", affirme M. Makal. "Je connais de plus en plus de jeunes photojournalistes. Si ce n'est pas juste un effet de mode, cela se verra encore sur cinq ou 10 ans."


Photo de Johnnathan Tshibangu sur Unsplash.