Sous le régime des talibans en Afghanistan, les femmes journalistes font face à une situation désastreuse

20 juil 2023 dans Liberté de la presse
Des manifestants défilent

En Afghanistan, les journalistes font actuellement face à une répression sévère des médias et de la liberté d'expression, poussant bon nombre d'entre eux à quitter le pays. 

Cette situation est particulièrement difficile pour les femmes journalistes, car depuis que les talibans ont pris le contrôle du pays en août 2021, ils ont imposé de fortes restrictions sur les droits des femmes en matière de travail et d'éducation.

J'ai récemment interviewé une journaliste afghane, qui a choisi de se faire appeler Hawa, sur l'environnement étouffant dans lequel les journalistes afghans, en particulier les femmes, évoluent aujourd'hui. Hawa est une journaliste chevronnée qui travaille comme reporter à Kaboul. Bien qu'elle ait déjà fait face à des difficultés en tant que reporter avant le retour au pouvoir des talibans, les restrictions sont aujourd'hui plus sévères que jamais.

Voici ce qu'elle a à dire.

Parlez-nous de la répression des médias en Afghanistan sous le régime des talibans.

Depuis la prise du pouvoir par les talibans, les conditions de travail des journalistes sont devenues extrêmement difficiles. La loi sur l'accès à l'information et d'autres lois relatives aux médias ont été abrogées. En général, nous ne sommes pas autorisés à diffuser des informations critiques à l'égard des talibans. Nous devons travailler dans le cadre des restrictions imposées par eux, et les opinions politiques non censurées ne peuvent être publiées.

Les débats télévisés ne peuvent pas critiquer les talibans, et certaines informations essentielles ne peuvent être rendues publiques. Par exemple, les manifestations de femmes ne peuvent être publiées que sous forme de brèves, sans mentionner les slogans scandés par les femmes pendant ces manifestations. Lorsque des membres de la société civile et des militantes sont arrêtés, nous ne sommes pas autorisés à en parler. Les informations concernant les groupes d'opposition tels que le Front de résistance nationale, le Front de la liberté afghane et d'autres, ainsi que l’actualité d’Ahmad Massoud, le chef de l'opposition, n'ont aucune chance d'être publiées.

Même les déclarations des dirigeants étrangers doivent être publiées en omettant les critiques sévères à l'encontre des talibans. 

Quelles sont les difficultés rencontrées par une femme journaliste en Afghanistan sous le régime des talibans ?

La situation est encore pire pour les femmes journalistes. Les femmes reporters, présentatrices et leurs invitées ne peuvent pas apparaître à la télévision sans porter un hijab et se couvrir le visage. Les femmes et les hommes ne peuvent pas participer ensemble à un programme d'information. Les femmes journalistes et présentatrices sont tenues de porter de longs vêtements noirs, c'est une obligation imposée par les talibans. Sans eux, cette règle ne serait pas en place. Les femmes journalistes ne peuvent pas être filmées lorsqu'elles interviewent les talibans, si tant est qu’elles parviennent à obtenir une interview.

De nombreux responsables talibans refusent de donner des interviews aux journalistes afghanes et les femmes ne peuvent même pas entrer dans certaines institutions comme les ministères de la Défense, de l'Intérieur, de l'Education, de l'Enseignement Supérieur, du Développement Urbain et du Logement, et de la Justice. En général, les journalistes ont du mal à accéder à ces institutions, mais les femmes en sont complètement exclues. 

Parfois, lorsque des femmes journalistes parviennent à convaincre le porte-parole du ministère de la Défense de leur accorder une interview, celui-ci choisit de donner l'interview en plein air, dans la rue. Une autre règle talibane stipule qu'une femme journaliste ne peut pas interviewer les fonctionnaires seule, mais doit être accompagnée d'un collègue masculin.

Nos bureaux sont également séparés en fonction du genre. Même les entrées et les sorties sont distinctes, et nous ne sommes pas autorisées à parler aux hommes dans le bureau.

Les restrictions imposées aux femmes journalistes ne font qu'augmenter chaque jour. Elles craignent maintenant une interdiction totale de leur travail. 

Quel a été l'impact des talibans sur la perception des médias par la population ?

Les gens ont peur de risquer leur vie en s'élevant contre les talibans, car il n'y a aucune liberté d'expression. Personne ne peut critiquer le régime ou exprimer librement ses opinions et ses revendications.

En conséquence, les gens évitent de parler aux médias des talibans et des questions politiques. Parfois, ils acceptent de s'exprimer sur des sujets sociaux et économiques. C’est également le cas pour les experts.

Comment les talibans traitent-ils les femmes journalistes?

Lorsque nous nous rendons sur le terrain pour faire un reportage, nous avons peur que les talibans prennent des mesures de représailles et nous arrêtent. J'ai déjà été détenue par les talibans avec mon caméraman. Les services de renseignement nous ont emmenés dans un bâtiment inconnu - ce n'était pas le poste de police local - et nous ont interrogés.

Notre seul crime était d'avoir filmé une vendeuse et d'avoir réalisé un reportage sur sa situation. Les talibans nous ont interrogés sur nos intentions, se demandant pourquoi nous filmions cette femme. Ils nous ont accusés de montrer une image négative des talibans au monde en révélant la pauvreté. Pendant l'interrogatoire, ils nous ont traités de manière inhumaine, nous insultant et nous humiliant. Finalement, nous avons été libérés et avons pu publier notre reportage, mais seulement après que les talibans aient supprimé les parties de l'interview qu'ils considéraient comme critiques envers leur régime et révélant leurs faiblesses. 

Lorsque nous interrogeons des personnes en public ou que nous réalisons des reportages sur les femmes, nous avons encore plus peur d'être arrêtés. Chaque fois que les talibans nous voient faire des reportages, ils exigent la plupart du temps que nous leur présentions une autorisation écrite du département de la police de Kaboul ou du poste de police local. Il y a eu de nombreux exemples où nous avons été expulsés d'une zone simplement parce que nous n'avions pas obtenu cette autorisation.

Nous avons été insultées et humiliées à plusieurs reprises par les fonctionnaires du ministère pour la Promotion de la vertu et la Répression du vice. Ils ont arrêté notre voiture à plusieurs reprises et nous ont prévenues que si nous ne portions pas le hijab selon leur interprétation de l'islam, nous serions arrêtées. Les talibans ont interrompu à plusieurs reprises mes émissions publiques en direct.

Lors de la manifestation des femmes du 8 mars, les talibans nous ont menacées et ont effacé nos images. Bien que nous ayons résisté et continué à travailler, lorsque les forces spéciales talibanes sont arrivées et ont dispersé les femmes, nous avons également dû quitter la zone. Une autre fois, alors que j'interviewais des filles sur l'interdiction de l'éducation, les talibans les ont empêchées de donner des interviews et ont effacé mes vidéos. 

Dans le contexte actuel, qu'attendez-vous de la communauté internationale ?

Nous essayons de publier les faits du mieux que nous pouvons. Cependant, lorsque nous constatons qu'un reportage met en danger nos vies ou entraîne la fermeture de nos rédactions, nous devons parfois cesser de publier ou omettre des informations importantes et sensibles. À mon avis, ces restrictions ont réduit la confiance des gens dans les médias. Néanmoins, je pense que c'est préférable à la fermeture totale de tous les médias et à un vide d'information dans le pays.

Le seul point positif est que la sécurité est meilleure qu'auparavant. Les journalistes ne vivent plus dans la crainte constante des attentats suicides ou des attaques armées. Bien qu'ils craignent toujours les attaques de l'ISKP [État islamique - Province de Khorasan], cela n'est plus aussi préoccupant qu'auparavant, lorsqu'on craignait tant les attaques des talibans contre les médias.

Nous demandons instamment à la communauté internationale de garantir la liberté de travail des femmes. Celles-ci doivent pouvoir exercer leurs droits et être autorisées à travailler dans tous les services gouvernementaux, notamment à la radio-télévision nationale afghane. Elles doivent également jouir de leurs libertés civiles et sociales et être pleinement impliquées dans la vie politique du pays. Nous appelons à un soutien significatif et pragmatique de la part de la communauté internationale pour réaliser ces objectifs.

Si la situation actuelle perdure, de nombreux journalistes chercheront des moyens sûrs de quitter le pays. Malgré les difficultés et les risques, nous continuons notre travail autant que possible, pour le peuple afghan et pour encourager les femmes à s'exprimer et à s'émanciper. Je considère mon travail comme une forme de protestation contre les talibans.

 


Pour des raisons de sécurité, il n'a pas été possible de publier certains détails et photos de la journaliste interviewée. Nous avons édité certaines parties de l'interview, notamment des noms de lieux.

Cet article a été publié à l'origine sur notre site en persan.

Photo de Nk Ni sur Unsplash.