La question de la mesure de l'impact de la couverture médiatique existe depuis plus d'un siècle.
Dans les années 1920 et 1930, les chercheurs se préoccupaient du pouvoir de persuasion des médias de masse et de la propagande. Au fil de la seconde moitié du siècle, la collecte de données et les méthodes de recherche se sont améliorées, et les opinions des chercheurs sur les effets des médias sont devenues plus nuancées. Par exemple, ils ont découvert que même si les médias ne persuadent pas directement le public de ce qu'il doit penser, ils peuvent exercer une influence significative sur ce à quoi le public accorde son attention, phénomène connu sous le nom de "mise à l'agenda."
Les messages médiatiques peuvent également façonner l'opinion publique en encourageant les citoyens à évaluer les candidats politiques selon certaines prismes et en encadrant les récits dans un champ de signification particulier, par exemple, en discutant des déficits budgétaires dans le contexte de la corruption.
Enfin, les chercheurs ont soutenu que les médias peuvent influencer les élites locales, telles que la société civile et les chefs religieux, qui à leur tour exercent une influence sur les membres de leur communauté.
Aujourd'hui, l'impact des médias ne constitue plus seulement une préoccupation académique. Les journalistes et les organisations médiatiques du monde entier investissent dans la documentation et la quantification de l'impact de leur travail. Ces efforts sont motivés en partie par un désir d'auto-évaluation rigoureuse et en partie par la nécessité de justifier leur travail auprès des donateurs, des investisseurs et du grand public.
S'appuyant sur des entretiens avec un large éventail d'universitaires et de professionnels des médias, ainsi que sur une étude de plus de 50 ans de recherche sur les effets des médias, notre équipe de cinq chercheurs, couvrant trois disciplines universitaires, a rassemblé des décennies de recherche sur les effets des médias pour élaborer une taxonomie de l'impact des médias. Cette taxonomie peut être utilisée par les professionnels des médias et les chercheurs. Les résultats sont présentés dans notre récent article intitulé "Comprendre l'impact du journalisme : Une taxonomie multidimensionnelle pour le changement professionnel, organisationnel et sociétal".
Nous espérons que cette taxonomie contribuera à structurer les discussions entre journalistes, responsables éditoriaux, donateurs et chercheurs sur l'importance des programmes médiatiques et sur la manière de quantifier leurs effets.
Notre analyse a permis de dégager les principales conclusions suivantes :
(1) La voie la plus essentielle par laquelle les médias exercent leur influence est celle de l'information du public
Au cours des deux dernières décennies, les chercheurs en sciences sociales ont employé diverses méthodes pour documenter l'influence du journalisme et des médias de masse sur les connaissances du public, les attitudes, les normes perçues et les comportements politiques tels que le vote et la participation à des manifestations. Bien que l'effet des médias et du journalisme sur l'opinion publique puisse varier en fonction du programme et du contexte, il demeure la mesure la plus fondamentale de leur impact.
(2) Cependant, les programmes de journalisme performants ont des répercussions qui dépassent l'influence sur l'opinion publique
Nous avons identifié une vaste gamme d'impact des médias dépassant la simple diffusion d'informations au public. Par exemple, les programmes médiatiques peuvent catalyser et influencer les efforts de plaidoyer des groupes d'intérêt, favoriser la création de réseaux sociaux entre les professionnels des médias, les mouvements sociaux et les initiés. Dans l'ensemble, les journalistes ne se limitent pas à définir l'ordre du jour de la société ; ils ont un impact lorsqu'ils collaborent avec d'autres groupes cherchant à provoquer des changements.
(3) Il y a des limites aux analyses coût-bénéfice du journalisme.
"Democracy's Detectives” (Les détectives de la démocratie), écrit par l'économiste James T. Hamilton, applique les concepts du classique "Journalism of Outrage" (Le journalisme de l'indignation) dans son analyse de la carrière de Pat Stith, un journaliste de la Caroline du Nord lauréat du prix Pulitzer, qui a mené plus de 300 enquêtes en 36 ans. Sur ces 300 enquêtes, 149 ont entraîné des changements substantiels, 110 ont abouti à des résultats délibératifs et 43 ont eu un impact individuel. M. Hamilton a également tenté d'évaluer le rapport coût-bénéfice de certains articles.
Cependant, il reste difficile d'évaluer de manière précise l'impact coût-bénéfice du journalisme pour plusieurs raisons, notamment les variations importantes des coûts (comme l'écart de salaire entre un journaliste dans un pays à faible revenu et un journaliste dans un pays à revenu élevé) et la difficulté générale d'attribuer une valeur monétaire à un bien public, tel que la responsabilité ou la vérité, qui profite à l'ensemble de la société.
(4) L'impact du journalisme peut être divisé en trois phases
L'ouvrage "The Journalism of Outrage", publié en 1991, est un texte fondamental. Les auteurs observent que l'impact du journalisme se déroule en trois phases, débutant par des effets sur les connaissances et les attitudes individuelles, évoluant vers le débat public et la délibération, pour finalement aboutir à une politique substantielle ou à un changement matériel.
(5) L'emploi d'outils en ligne pour évaluer l'engagement/la portée ne constitue qu'une facette de l'ensemble
De nombreux médias évaluent leur impact en recueillant des données sur les réseaux sociaux, en menant des sondages et en créant des graphiques pour mesurer la portée et l'engagement. Cependant, il existe d'autres approches. Les universitaires ont élaboré divers outils novateurs pour mesurer l'impact, tels que des expériences naturelles comparant les résultats à l'intérieur et à l'extérieur des marchés médiatiques de la presse écrite ainsi que des plages de transmission radio/télévision. De plus, des expériences collaboratives ont été mises en place, impliquant la collaboration avec des journalistes pour diversifier les sujets de reportage et suivre leur impact.
(6) Les enquêtes transfrontalières forgent les compétences des journalistes qui les entreprennent
L'impact peut englober les effets qu'a le travail sur un article, voire une série d'articles, sur les journalistes et la profession elle-même. Nous utilisons notre matrice pour examiner comment les organismes transfrontaliers, tels que le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), ont non seulement influencé le monde, mais aussi la communauté des journalistes œuvrant sur ces projets. Nous entamons ainsi l'évaluation des effets des enquêtes transfrontalières sur les journalistes ainsi que sur les réseaux de journalistes les mettant en œuvre.
L'une des premières conclusions notables de notre enquête auprès des journalistes travaillant avec l'ICIJ est que la majorité d'entre eux ont signalé l'acquisition de nouvelles compétences et le développement d'une meilleure compréhension des sujets qu'ils couvrent. Parmi les compétences nouvellement acquises, citons le travail avec de vastes ensembles de données, les techniques de grattage de données, la compréhension des opérations de comptes financiers offshore et le décryptage des communications cryptées.
(7) L'impact peut englober des réactions défavorables envers les journalistes
Malheureusement, l'un des effets du journalisme d'investigation est de susciter des réactions négatives à l'égard des journalistes. Critiquer le messager est malheureusement fréquent, et des séries d'articles percutants, même ayant un impact positif, peuvent entraîner des conséquences néfastes pour les journalistes, telles que des arrestations, des poursuites et des actes de violence.
Nous avons élaboré une série d'enquêtes qui peuvent être utilisées pour mesurer l'impact, et Impact Architects (Architectes de l'impact) de Lindsay Green-Barber propose une consultation gratuite d'une heure. N'hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez en savoir plus.
Anya Schiffrin et Dylan W. Groves ont rédigé l'article avec André Corrêa d'Almeida, professeur associé au SIPA, Adelina Yankova, doctorante à l'université de Columbia, et Lindsay Green-Barber, cofondatrice d'Impact Architects.
Photo de Markus Winkler sur Unsplash.