Pourquoi les stratégies en faveur de l’inclusion à l’américaine ne peuvent pas fonctionner partout

par Feli Carrique
22 févr 2022 dans Diversité et inclusion
Des femmes se sourient, assises à un bureau

Pendant des années, les discussions mondiales sur l’état des médias ont été centrées sur des organisations basées aux États-Unis et les exemples d'innovation, de modèles économiques et de styles de reportage circulent souvent du Nord vers le Sud. Aujourd'hui, un phénomène similaire se produit autour des initiatives en faveur de la diversité et de l’inclusion, souvent dites “DEI” pour Diversity, equity and inclusion.

La pression en faveur des initiatives DEI dans les médias américains est une excellente chose, et elle peut contribuer à soulever des préoccupations similaires dans des endroits où ces réflexions n’ont pas encore eu lieu. Toutefois, supposer que les mêmes initiatives mises en œuvre pour lutter contre la discrimination aux États-Unis sont applicables ailleurs est inexact et synonyme d’un manque de vision au sens large.

Comme c'est également le cas pour l'innovation, les modèles économiques et les styles de reportages, les initiatives DEI ne naissent pas de nulle part. Les dynamiques de discrimination dans le monde prennent des formes différentes en raison de circonstances historiques, politiques et économiques. Chaque lieu a ses propres trajectoires, tant d'oppression que de résistance. Aborder ces questions avec une perspective développée pour des expériences et des difficultés vécues aux États-Unis empêche les rédactions du monde d'examiner les problèmes d'inégalité spécifiques à leur pays.

Si certains cas peuvent tout de même présenter certaines similitudes par-delà des frontières, copier-coller des solutions conçues pour le New York Times a peu de chances de prendre dans les rédactions de Buenos Aires ou de La Havane.

Par exemple, la catégorie "Latinx" est couramment utilisée aux États-Unis pour identifier à la fois les migrants et les descendants du reste des Amériques. Cependant, cette classification ne peut pas être appliquée dans les pays d'Amérique latine, où le terme n'a aucune signification quant à désigner une personne considérée comme faisant partie d'une minorité raciale.

Les stratégies qui fonctionnent pour une rédaction américaine ne sont pas nécessairement celles qui fonctionnent ailleurs, car les journalistes et les dirigeants d'autres pays tentent de résoudre des problèmes différents. Par exemple, en Argentine, la plupart des gens pensent qu'il n'y a pas de racisme, même si les descendants de non-européens sont peu ou pas représentés dans le secteur des médias. Pire encore, mettre en place une méthodologie américaine procure aux dirigeants internationaux l'effet placebo de croire qu'ils font réellement quelque chose pour changer les choses.

Dans chaque société, les notions telles que le genre, l'orientation sexuelle, l'appartenance ethnique, la religion, la race, les identités nationales et la classe sociale sont vues selon différentes configurations en fonction de l'histoire. Une compréhension approfondie de ces complexités est essentielle pour aborder l'iniquité et développer des solutions alternatives pour ces contextes spécifiques.

Le secteur doit trouver les moyens de s'assurer que ces relations sont prises en compte lors de l'élaboration de formations, d’outils d'information et de processus de travail dans les médias du monde entier. Nous devons faire l'effort de comprendre les réalités locales car c'est la seule façon de déclencher le changement et favoriser l’émergence d’un secteur mondial des médias réellement inclusif.

Je pense que la gestion de produits d’information est une discipline qui pourrait jouer un rôle positif en vue de répondre à ces questionnements. Elle repose sur une compréhension profonde des besoins des publics et sur le développement de produits d'information pour les servir. En ce sens, le “product thinking” peut fournir aux organisations des éléments sur la manière de rendre l'information plus accessible et plus équitable.

En tant que directeur exécutif de la News Product Alliance, j'ai la chance d'avoir plusieurs moyens de contribuer à cette mission. Voici quelques-unes des mesures que je vais prendre en 2022 :

  • Veiller à inclure intentionnellement davantage de voix d'origines diverses dans notre programmation en tant que participants, formateurs, mentors, consultants DEI ou coachs.
  • Au fur et à mesure que notre équipe s'agrandit, m’assurer que la dotation en personnel représente la diversité de notre communauté mondiale.
  • Dans le cadre du processus de réflexion sur les produits d'information, offrir des ressources pour donner une vision systémique des problèmes, en mettant l'accent sur la façon dont les dynamiques d'exclusion fonctionnent.

Je m'engage ainsi à affiner les contours de ce que signifient la discrimination et l'inclusion pour le secteur mondial du journalisme, et plus particulièrement pour la discipline de la gestion de produits d'information. Parce que, si nous ne consommons qu'un seul type de discours sur la diversité, l'équité et l'inclusion, nous ne trouverons pas les solutions idoines pour d'autres contextes, et laisserons les journalistes issus de milieux marginalisés à l'écart et de nombreuses voix sans écho.


Cet article a d’abord été publié par OpenNews Source, dans le cadre de leur série d’articles “Sincerly, Leaders of Color”, dirigée par P. Kim Bui et Emma Carew Grovum. Il a été republié sur IJNet avec leur accord.

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