- La désinformation vise directement la population latina aux États-Unis ; notre mission est de l'arrêter. Allez-vous nous aider ?
Le COVID-19 a touché de manière disproportionnée les communautés hispaniques et latinas aux Etats-Unis. Ces communautés, qui représentent presque un cinquième de la population du pays, étaient 1,5 fois plus susceptibles de contracter le COVID-19 que les personnes blanches non hispaniques, deux fois plus susceptibles d'être hospitalisées et 1,8 fois plus susceptibles de succomber au virus.
Les informations erronées et la désinformation en espagnol sur le virus, qui ont circulé de manière incontrôlée, ont-elles contribué au fort taux d’incidence d'infections dans les communautés latinas ? Les réseaux sociaux ont-ils joué un rôle ? Les communautés latinas ont plus tendance à utiliser des plateformes comme YouTube, Facebook et WhatsApp pour s'informer que la moyenne de la population américaine, car elles ne font souvent pas confiance aux médias traditionnels ou ne se sentent pas représentées par eux.
En réalité, nous en savons moins que nous ne le voudrions sur la désinformation ciblant les communautés latinas aux États-Unis, et il n'existe pratiquement aucune étude sur son impact.
Pour combler ce vide et lutter contre la désinformation qui touche les Latinos vivant aux États-Unis, nous avons lancé Factchequeado, une initiative menée par le média espagnol Maldita.es et l'argentin Chequeado. Nous prévoyons de rassembler les preuves nécessaires pour identifier les récits de désinformation et de mésinformation ciblant les communautés hispanophones et latinas des États-Unis, et d'analyser leurs caractéristiques distinctives. Tout aussi important, nous découvrirons comment circulent les mensonges qui touchent ces communautés.
Comment les fausses informations se propagent
Nous savons déjà que les théories du complot et les informations inexactes provenant des États-Unis, qu'il s'agisse de messages faux, exagérés ou sortis de leur contexte, font leur chemin vers les pays hispanophones. En parallèle, les informations trompeuses ou fausses issues de pays comme le Mexique, la Colombie, le Brésil, l'Espagne ou l'Argentine parviennent parfois aux Latinos des États-Unis par l'intermédiaire de leurs familles, de leurs amis ou de leurs contacts sur les réseaux sociaux et les applications de messagerie comme WhatsApp.
Notre travail démarrant à peine, nous gardons également à l'esprit le contexte politique actuel des Etats-Unis : le débat public et la désinformation ne feront que s'intensifier à l'approche des élections de mi-mandat, le 8 novembre.
Certains faux récits en espagnol sont liés à ceux qui circulent en anglais. C'est le cas, par exemple, du soi-disant “Big Lie” ou "gros mensonge" répandu par l'ancien président des États-Unis, Donald Trump, au sujet d’accusations de fraude non corroborées lors des élections de 2020. On trouve également du contenu trompeur en anglais et en espagnol, notamment des vidéos, qui exagèrent ou attribuent à tort des actions au président américain Biden et exploitent les craintes des gens qui pensent qu'à 79 ans, il était trop vieux pour se représenter aux élections.
On retrouve des schémas similaires dans le volume important de mésinformation et de désinformation concernant les vaccins contre le COVID-19, qui continuent de se propager plus d'un an et demi après leur lancement. La plupart de ces contenus mettent en avant des effets indésirables faux et non prouvés des vaccins, destinés à semer la confusion et à effrayer le public.
Les adultes latinos disent qu'ils aimeraient avoir accès à des informations crédibles, mais ce n'est aussi simple en espagnol. Les communautés latinas sont moins protégées contre les informations trompeuses et la désinformation. En cause ? La diminution des efforts de vérification des faits en espagnol et la priorité moindre accordée au signalement des faux contenus en espagnol par les plateformes des grandes entreprises de la tech, déplore Cristina Tardáguila, directrice des programmes de l'ICFJ, dans un article publié l'année dernière dans elDetector pour Univision.
L'utilisation supérieure à la moyenne des réseaux sociaux par les communautés latinas aux États-Unis exacerbe leur vulnérabilité aux fake news. Par exemple, presque tous les adultes hispaniques (98 %) possèdent un smartphone, soit 5 % de plus que la moyenne de la population américaine, selon une étude du cabinet de conseil Nielsen publiée en 2020. Ils passent également deux heures de plus par semaine connectés à leur téléphone que la moyenne de la population américaine, et ils sont 57 % plus susceptibles que les citoyens non latinos d'utiliser les réseaux sociaux comme principale source d'information sur le coronavirus.
Il est inquiétant de constater que Meta, Google et d'autres plateformes de réseaux sociaux accordent beaucoup moins d'attention à la circulation de fausses informations en langue non anglaise.
Les récits de la désinformation
Les récits de mésinformation et de désinformation qui se répandent dans les communautés latinas aux États-Unis sont souvent liés à des questions qui préoccupent cette population en particulier. Ils peuvent notamment s'appuyer sur les liens des gens avec leur pays d'origine. Nous pensons que ces fausses informations vont se propager encore plus rapidement à l'approche des élections de mi-mandat de 2022.
L'un de ces récits concerne l'inflation et l'augmentation des prix du carburant. En juin 2022, l'inflation américaine a atteint 9,1 %, son niveau le plus élevé depuis 40 ans. Ce phénomène rappelle à de nombreuses familles latino-américaines les prix élevés et l'augmentation de la pauvreté dans leur pays d'origine. La peur est un élément central de la désinformation sur ce sujet, qui circule sans contexte et omet généralement dans son analyse les impacts de la guerre en Ukraine et de la pandémie. Les informations sur les causes de la hausse des prix et les efforts déployés par le gouvernement pour l’enrayer sont donc souvent trompeuses.
Un autre thème, très répandu sur les radios de Floride, fait référence aux problèmes que de nombreux Latinos ont connus avant d'immigrer aux États-Unis depuis l'Amérique latine. Ces faux récits présentent le président Biden comme le chef d'un gouvernement qui "cherche à réprimer" le peuple et qui est "socialiste ou gauchiste" comme les dirigeants des pays que de nombreux migrants ont fui, tels que Cuba, le Venezuela et le Nicaragua. Le gouvernement est dépeint comme un régime cherchant le contrôle total. Comme l'ont exprimé certaines personnalités de la radio : "Pas socialiste, pas communiste, mais contrôliste".
Chez Factchequeado, nous avons vérifié l'affirmation selon laquelle les États-Unis sont un "État répressif". Nous avons levé le voile sur la désinformation, par exemple en vérifiant si l'IRS avait acheté des munitions pour poursuivre les personnes en défaut de paiement. Ceci est vrai mais est loin d’être un fait récent ; cela se produit chaque année depuis 100 ans, y compris sous le gouvernement républicain de Donald Trump.
L'avortement est un autre thème particulièrement pertinent et sensible pour les communautés latinas. Sujet très débattu dans toute l'Amérique latine, l'IVG a été légalisé à divers degrés ces dernières années en Argentine, au Mexique, en Équateur et au Chili, malgré l'opposition ouverte de l'Église catholique. En revanche, cette année, la Cour suprême des États-Unis a supprimé le droit constitutionnel et national à l'avortement jusqu'à la 20e semaine de grossesse.
À la suite de cette décision, la désinformation liée à l'avortement est devenue virale. Nous avons debunké les vidéos TikTok recommandant des plantes pour avorter qui peuvent être dangereuses pour la santé. Nous avons également vérifié les fausses annonces selon lesquelles diverses organisations communautaires ont fermé leurs centres d'aide à l'avortement, et clarifié dans quels cas les plateformes de réseaux sociaux sont dans l’obligation de partager les données personnelles qu'elles collectent, ainsi que les mesures qu'elles ont prises pour protéger la confidentialité des données.
La désinformation et la mésinformation sur les migrants, les changements dans les politiques d'immigration, les aides ou démarches administratives circulent également au sein des communautés latinas. Il existe également de fausses allégations liant les migrants aux fusillades de masse, ainsi qu’à pléthore de domaines d’escroquerie, allant des investissements dans les crypto-monnaies aux locations de vacances d'été en passant par les tentatives de phishing et les faux profils sur les applications de rencontre.
La surenchère de mensonges visant à convaincre ou à tromper les Latinos vivant aux États-Unis est variée. Nous devons en savoir plus sur cette désinformation en langue espagnole afin d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies de collaboration efficaces pour la contrer. Si vous recevez ou voyez du contenu suspect, envoyez-le à Factchequeado via notre Chatbot WhatsApp, afin de nous aider dans ce combat.
Image principale de Ricardo Arce sur Unsplash.
Cet article a d’abord été publié sur IJNet en espagnol.