Selon l'Organisation mondiale de la santé, près d'une femme sur trois (30 %) dans le monde subit au cours de sa vie des violences physiques ou sexuelles de la part d'un partenaire intime ou des violences sexuelles de la part d'un tiers.
Même si le sujet est difficile, il est important que les médias rendent compte de ces violences. Pour ce faire, les journalistes doivent identifier les personnes qui sont prêtes à parler de leur expérience et disposer du vocabulaire et de l'approche appropriés pour ce type de conversations. Les journalistes doivent également prendre soin de leur propre santé mentale lorsqu'ils réalisent ces reportages.
Pour obtenir des conseils et savoir comment bien couvrir ce sujet, j'ai parlé avec Martha Chumalo, psychologue, militante des droits humains, coach et fondatrice du Center for Women’s Perspectives. Mme Chumalo travaille depuis plus de 20 ans avec des survivantes de violences et d’abus. En décembre 2020, elle a reçu le prix annuel de la Tulipe des droits de l'homme des Pays-Bas.
Préparez l'interview
N'oubliez pas qu'une conversation avec les médias peut être aussi bénéfique que néfaste pour les personnes interrogées. "Potentiellement, toute conversation peut être thérapeutique ou traumatisante, tout dépend de son contenu", explique Mme Chumalo. "Une conversation sur un traumatisme revient à rouvrir des plaies." Les journalistes doivent donc être sensibles aux sentiments de leurs sujets.
Elle ajoute que, pour être fructueuses, les conversations doivent avoir lieu dans un endroit que la personne interrogée juge sûr. Il est essentiel que votre sujet se sente à l'aise avant de vous faire part de son traumatisme. Vous devez en discuter à l'avance, en lui posant des questions sur son bien-être, telles que :
- "Êtes-vous prête (ou prêt) pour cette conversation ?"
- "Avez-vous bien dormi ?"
- "Vous sentez-vous en sécurité ?"
Donnez à votre sujet le choix du jour et de l'heure du rendez-vous
Lorsque vous organisez l'entretien, il est important de permettre à votre sujet de prendre le plus de décisions possible.
"De nombreuses [survivantes], en particulier celles qui ont subi des abus et des violences pendant de longues périodes, n'avaient aucune autorité sur leur propre vie. C'est pourquoi elles tombent souvent facilement dans un schéma de subordination, surtout si elles n'ont pas encore abordé leur expérience traumatique", précise Mme Chumalo. "Il est important de ne pas prendre les décisions à leur place, tout en les encourageant à réacquérir cette compétence."
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Respectez le choix de votre sujet de refuser un entretien
Lorsqu'elle organise des formations pour les journalistes, Mme Chumalo leur demande de se mettre en binôme avec une personne avec laquelle ils se sentent en sécurité et à l'aise. Elle invite ensuite les journalistes à se souvenir d'une expérience sexuelle positive qu'ils ont pu avoir et à la partager avec leur partenaire.
"Vous devriez voir l'indignation et la réticence que suscite cet exercice. Je demande aux journalistes de se souvenir de ce moment, de la réaction de leur propre corps", raconte Mme Chumalo. "Parce que lorsqu'ils viennent à une interview, la personne interrogée doit partager une expérience non moins personnelle et pas du tout positive, même très désagréable et douloureuse."
Votre priorité absolue doit être l'écoute des sentiments de votre sujet. "Tout cela est très personnel", remarque Mme Chumalo. "Vous devez toujours vous attendre à ce que la personne ne soit pas prête à parler. Cette décision doit être respectée. Dans ce cas, remerciez-la et dites-lui que vous compatissez. Demandez pardon si vos actions leur ont apporté une souffrance supplémentaire."
Ne regardez pas trop votre enregistreur
Les survivantes de violences ont appris, par expérience, à détecter les signaux non verbaux. Elles peuvent s'attendre à ce qu'on les traitent injustement. "Si vous regardez votre enregistreur vocal au lieu d'elles, elles verront que vous ne leur accordez pas suffisamment d'attention", explique Mme Chumalo.
Pour éviter toute mauvaise interprétation, elle conseille d'être franc et honnête. "Par exemple, au début de votre conversation, expliquez que même si cela peut sembler impoli, vous devez regarder votre enregistreur vocal de temps en temps pour vérifier s'il fonctionne toujours, si la batterie n'est pas morte."
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Répondez aux questions qui vous sont posées avec tact
Préparez-vous à répondre avec empathie et compassion aux questions que votre sujet pourrait vous poser. Si la survivante vous demande, par exemple, ce que vous feriez si vous étiez à sa place, vous pourriez répondre quelque chose comme : "Je ne sais pas comment je me comporterais, mais je respecte et admire ce que vous avez fait."
Soyez attentifs si votre sujet montre des signes de malaise
Certains moments de votre conversation peuvent complètement bouleverser votre sujet. Si la personne interrogée se met à pleurer, par exemple, montrez votre inquiétude et offrez-lui un verre d'eau ou un mouchoir en papier. "N'essayez pas de les calmer", dit Mme Chumalo. "En les laissant pleurer, vous donnez à la personne un sentiment d'acceptation, même si elle est dans un état vulnérable."
Concentrez-vous sur les actions de l'agresseur
Se concentrer sur les actions de l'agresseur permet de détourner l'attention de la survivante, indique Mme Chumalo. N'essayez pas d'évaluer si elle marchait assez vite, si elle s'est bien défendue ou si elle a appelé à l'aide lors de son agression, par exemple.
"La violence est le fait des agresseurs, mais dans les médias, nous ne voyons souvent que les histoires des survivantes", dit Mme Chumalo. Bien que les journalistes aient rarement accès aux agresseurs pour des interviews, ils peuvent rapporter des informations sur l'agresseur en utilisant les mots des survivantes, des témoins oculaires ou d'autres personnes qui connaissent l'agresseur. "C'est essentiel dans la couverture des violences. Nous devons montrer ceux qui commettent de tels actes."
Les violences ne se produisent pas dans le vide, souligne Mme Chumalo. Elles se produisent au sein de la communauté. Si la violence a eu lieu dans un parc municipal, cela signifie qu'il y a des endroits dans la ville où ces choses peuvent se produire. Cela soulève des questions importantes sur la manière dont les autorités municipales peuvent rendre certains lieux plus sûrs.
La responsabilité de la violence incombe toujours à l'auteur des faits et à l'État qui n'a pas mis en place les garanties suffisantes.
Faites attention à votre vocabulaire
Les journalistes doivent choisir leurs mots avec soin. Par exemple, utilisez le mot "survivante" au lieu de "victime" pour décrire une personne qui a survécu à un incident traumatique.
"Nous utilisons le mot "victime" lorsqu'une personne est décédée", explique Mme Chumalo. "Il y a des victimes de la terreur, du génocide, de la famine. Il est important de dire 'survivantes de violences'."
Appuyez-vous sur l'expertise de votre sujet
Au cours de la conversation, prenez en compte l'expérience et les opinions de votre interlocutrice. Demandez-lui, par exemple, ce que le gouvernement ou le conseil municipal peut faire pour éviter que des incidents similaires ne se reproduisent. Ou demandez-lui ce qui, selon elle, peut être fait pour rendre le cadre de vie plus sûr.
Mariana Verbovska est une journaliste basée à Lviv, en Ukraine. Elle a été lauréate de la bourse Milena Jesenská à l'Institut des sciences humaines de Vienne en Autriche, où elle a étudié comment les médias couvraient le changement climatique. L'année dernière, Mme Verbovska a fait partie des Journalistes du mois d'IJNet.
Cet article a été initialement publié sur IJNet en russe.
Si vous avez trouvé ce contenu perturbant ou difficile à lire, vous n'êtes pas seul. Des services d'aide existent. Commencez par consulter les ressources du Dart Center for Journalism and Trauma, et n'hésitez pas à demander un soutien psychologique si nécessaire.
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