Meurtre de Shireen Abu Akleh : un révélateur des menaces contre les journalistes en Palestine

24 mai 2022 dans Liberté de la presse
Manifestations

L'assassinat de la célèbre journaliste américano-palestinienne Shireen Abu Akleh ce mois-ci est le plus récent d’une longue liste d’incidents de violence contre les reporters en Palestine. Mme Abu Akleh, qui a consacré trois décennies à couvrir la guerre et les conflits, effectuait un reportage sur une incursion militaire israélienne dans la ville de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie occupée, le 11 mai pour Al Jazeera, lorsqu'elle a été mortellement touchée à la tête. Les enquêtes menées par les médias indiquent que les forces israéliennes sont probablement responsables de ce meurtre.

Dans une vidéo de l'incident d'Al Jazeera, on peut entendre des coups de feu dans les premières secondes avant qu'un homme ne crie "Shireen ! Shireen ! Ambulance !" Une autopsie a révélé que Mme Abu Akleh a souffert d'une lacération cérébrale et de fractures du crâne dues à une blessure par balle. Un autre journaliste, Ali Al-Samoudi, a reçu une balle dans le dos au même moment, a annoncé le ministère palestinien de la Santé.

"Il y avait un arbre qui me séparait de Shireen, j'ai atteint l'arbre avant Shireen. Elle est tombée sur le sol", a déclaré la journaliste palestinienne Shaza Hanaysheh dans une interview à Al Jazeera. Mme Hanaysheh faisait partie d'un groupe de quatre reporters qui couvraient le raid à Jénine. "Les soldats n'ont pas cessé de tirer même après qu'elle soit tombée. Chaque fois que je tendais la main pour tirer Shireen, les soldats nous tiraient dessus."

Les violences entourant le meurtre de Mme Abu Akleh se sont poursuivies le vendredi 13 mai, lorsque la police israélienne a attaqué les personnes en deuil qui portaient son cercueil.

Qui était Shireen Abu Akleh?

Née à Jérusalem en 1971, Mme Abu Akleh a étudié le journalisme à l'Université Yarmouk en Jordanie. Après avoir obtenu son diplôme, elle est retournée en Palestine où elle a travaillé pour plusieurs médias, notamment la radio Voice of Palestine et la chaîne satellite Amman TV. Elle a rejoint Al Jazeera un an après son lancement en 1996, et fut une des premières correspondantes sur le terrain de la chaîne qatarie.

Icône des médias palestiniens, Mme Abu Akleh est devenue célèbre pour sa couverture de la deuxième Intifada palestinienne en 2000, et pour ses reportages sur les incursions israéliennes en Cisjordanie en 2002. Depuis, elle a rendu compte d'événements majeurs en Israël et en Palestine, dont la mort de Yasser Arafat en 2004, la décision des États-Unis de transférer leur ambassade à Jérusalem en 2018 et les attaques d'Israël contre Gaza l'année dernière, pour n'en citer que quelques-uns.

"J'ai choisi le journalisme pour être proche des gens", déclarait Mme Abu Akleh dans une vidéo avant sa mort, ajoutant : "Il n'est peut-être pas facile de changer la réalité, mais au moins je peux faire entendre leur voix au monde."

Les événements précédant l’assassinat

Les appels se multiplient pour une enquête transparente sur la mort de Mme Abu Akleh. L'ambassadeur américain en Israël et des membres de haut rang des Nations Unies ont demandé une enquête approfondie sur ce meurtre. La directrice de l'UNESCO, Audrey Azoulay, a déclaré qu'il s'agissait d'une "atteinte au droit international."

Le journaliste Mohammed Ateeq, qui se trouvait à Jénine le jour du meurtre, a déclaré à IJNet que Mme Abu Akleh portait un gilet qui l'identifiait clairement comme membre de la presse. "Ce qui s'est passé avec les journalistes à Jénine était un ciblage direct et prémédité, d'autant plus que la balle l'a atteinte juste sous le casque", dit M. Ateeq. "Le journaliste Ali Al-Samoudi a également été touché dans une zone non couverte par sa veste de protection."

La mort de Mme Abu Akleh porte à plus de 40 le nombre de journalistes tués en Palestine depuis 2000, ce qui démontre le danger auquel sont confrontés les reporters à Gaza et en Cisjordanie occupée. L'année dernière, le Centre palestinien pour les droits humains a recensé 150 attaques contre la presse. Cela comprend les fusillades, qui ont fait 40 blessés et au moins un mort. L'organisation a également recensé 28 cas de journalistes détenus ou arrêtés, 23 bureaux de médias détruits en Palestine à la suite d'attentats à la bombe et 20 cas de journalistes empêchés par les forces israéliennes de réaliser leurs reportages.

Le meurtre de Mme Abu Akleh s'est produit dans ce contexte, une réalité dont ses collègues journalistes sont bien conscients.

"La suppression de la presse et de ses institutions par les forces israéliennes n'est pas nouvelle", insiste M. Ateeq. "L'événement récent confirme qu'il n'existe aucune protection pour les journalistes palestiniens, et que la justice stipulée dans tous les pactes internationaux est absente pour que les assassins coupables."

Hisham Zaqout, correspondant d'Al-Jazeera à Gaza, s'est également entretenu avec IJNet au sujet de l'incident. "C’est un meurtre tragique, qui viole les lois et les normes internationales", dit-il déclaré. "[Les forces israéliennes] font des efforts incessants pour empêcher les médias d’accomplir leur mission." Un rapport du Comité pour la protection des journalistes de 2021, par exemple, a trouvé plusieurs cas d'arrestations et de blessures de journalistes par les forces israéliennes en Cisjordanie et à Gaza occupées.

Sulaiman Bsharat, qui dirige le Yabous Institute for Consulting and Strategic Studies, a fait écho à ce sentiment. Il a décrit les risques auxquels les journalistes palestiniens doivent faire face, et comment la mort d'Abu Akleh en est le reflet. "Les forces israéliennes prennent les équipes de médias pour cibles, dans le but de les empêcher de couvrir les développements sur le terrain", dit-il. "La preuve en est que la plupart des cas documentés de journalistes ciblés portaient leur gilet de journaliste."

Ressources additionnelles (en anglais)


Cet article a d’abord été publié sur IJNet en arabe.

Image sous licence CC par Shay Kindler.

Cet article a été mis à jour le 18 mai.