Les voix des femmes manquent à la couverture médiatique du climat

15 mars 2022 dans Diversité et inclusion
Des femmes travaillent

Alors que le monde entier a les yeux rivés sur l'incompréhensible invasion de l'Ukraine par la Russie, la prise en compte fragile de la crise climatique par les médias et leur public risque d'être une victime de plus de cette guerre.

Dans un récent article paru dans The Economist, Yuval Noah Harari, un penseur reconnu de notre époque, a évoqué sa crainte que l'invasion de l'Ukraine par Poutine ne compromette la coopération mondiale dont nous avons si désespérément besoin sur les grandes problématiques telles que le changement climatique. En effet, le 27 février 2022 a marqué le plus faible niveau de couverture du climat dans le monde au cours des 12 derniers mois : à l'échelle mondiale, à peine 0,6 % de toutes les nouvelles en ligne ont mentionné l’expression "changement climatique."

À la suite des conclusions de notre rapport de 2020, The Missing Perspectives of Women in COVID-19 News, selon lesquelles les voix des femmes en tant qu'expertes, sources ou protagonistes de l'actualité ont été encore plus tues pendant la pandémie, AKAS, le cabinet international de conseil en stratégie d'audience que j'ai cofondé il y a 10 ans, a récemment cherché à savoir quelle était la présence des femmes dans l'actualité climatique. À ce moment crucial de l'histoire, risquons-nous de permettre que les voix des femmes soient à nouveau étouffées dans l’actualité ?

Pour répondre à cette question, AKAS a effectué une série d'analyses afin de déterminer le niveau de représentation des femmes dans la couverture de la crise climatique, que ce soit en tant que journalistes, responsables éditoriales, expertes, sources, protagonistes ou activistes climatiques, et de découvrir les formes d’engagement des publics avec ces reportages.

Nous nous sommes demandés : quelle est l'empreinte des femmes dans la couverture de la crise climatique aujourd'hui ? Les femmes peuvent-elles se permettre de perdre une partie de leur voix ? Malheureusement, les résultats ne sont pas surprenants.

Les activistes et influenceurs climatiques sont principalement des femmes, mais la majorité de ceux cités dans les médias sont des hommes

Grâce à notre analyse de 59 activistes et influenceurs mondiaux de premier plan sur les questions de changement climatique, nous avons découvert que la majorité (53 %) sont des femmes. De plus, les femmes représentent six des dix militants/influenceurs les plus suivis sur Twitter, les trois premiers étant Alexandria Ocasio-Cortez, Greta Thunberg et Marina Silva. Les voix des femmes activistes sont toutefois minoritaires dans les informations en ligne au niveau mondial. Sur les 10 activistes les plus cités dans les actualités, seules quatre sont des femmes. Parmi elles, Mme Thunberg reçoit la plus grande part de mentions, suivie de Mme Ocasio-Cortez.

Selon l'analyse d'AKAS, les femmes représentent une minorité non négligeable (43 %) des 172 rédacteurs en chef et journalistes principaux écrivant sur le changement climatique et l'environnement. Cependant, huit des 10 rédacteurs en chef et journalistes les plus suivis sur Twitter sont des hommes. Les six premiers sont tous des hommes.

Cette surreprésentation des journalistes masculins a-t-elle un impact spécifique sur la couverture de l'actualité climatique ? Des recherches montrent qu'à l'échelle mondiale, les voix des hommes dominent la couverture médiatique. Il semble en aller de même pour le changement climatique : une analyse des pronoms "dit-il/dit-elle" de la couverture de l'actualité mondiale en 2021, à l'aide de la base de données d'actualités GDELT, a révélé que moins d'1/3 de tous les experts, sources et protagonistes cités dans la couverture de l'actualité du changement climatique en ligne étaient des femmes (29 %).

En moyenne, entre 2017 et 2021, environ une voix sur quatre citée dans les actualités en ligne sur le changement climatique appartenait à des femmes (27 %). Emma Howard Boyd, présidente de l'Agence britannique pour l'environnement, a récemment souligné ce problème dans une prise de parole, en indiquant que le rôle essentiel des femmes dans la gestion de la crise climatique n'était pas reflété ou suffisamment mis en avant dans les nouvelles.

L’angle du genre est quasiment absent de la couverture médiatique du climat

L'analyse des articles sur le changement climatique pendant la conférence des Nations unies COP26 à Glasgow en novembre 2021 effectuée par AKAS a révélé que seulement 2 % des articles sur le changement climatique contenaient un angle de genre. Par ailleurs, la proportion d'articles abordant des questions liées au genre est passée de 2,2 % en 2017 et 2 % en 2020 à seulement 1,4 % en 2021. Cela suggère qu'au cours des dernières années, l'intérêt déjà minime des journalistes pour la couverture des aspects de genre sur ce sujet a encore diminué.

L’engagement des publics sur les reportages environnementaux est bas

Le défi de longue date pour la couverture du changement climatique réside dans l'engagement des publics, dont la plupart ne perçoivent pas cette question comme réellement pertinente pour eux au niveau personnel. Entre le 11 novembre et le 11 décembre 2021, dans le sillage immédiat de la conférence COP26, alors que davantage de personnes effectuaient des recherches en ligne sur le changement climatique et que son inclusion dans les reportages était plus importante qu'à n'importe quel moment au cours des cinq dernières années, seuls 19 % des 4 000 adultes interrogés par AKAS en Australie, au Canada, au Royaume-Uni et aux États-Unis ont déclaré suivre le sujet de "très" ou "assez près". Les hommes suivaient cette question de façon légèrement plus attentive que les femmes (16 % contre 14 % aux États-Unis et au Canada, et 23 % contre 20 % en Australie). Les chiffres sont les plus élevés au Royaume-Uni, où environ 25 % des hommes et des femmes ont déclaré suivre ce sujet.

Ce faible engagement des audiences pour cette question montre que le secteur de l'information n'a pas réussi à rendre le sujet pertinent pour ses publics. Selon Mitzi Jonelle Tan, une militante pour le climat des Philippines, ce faible niveau d'engagement porte préjudice à notre capacité collective à agir sur le changement climatique. Comme dans le film Don’t Look Up, la crise climatique est souvent présentée comme un problème futur plutôt que comme "quelque chose que nous vivons et subissons déjà", explique Mme Tan. C’est selon elle un cadrage narratif néfaste du sujet, qui fait écho à la vision du problème de la part du Nord global. Non seulement il ne fait pas le lien entre le changement climatique et la vie des lecteurs, mais il ne reflète pas non plus de manière adéquate les perspectives des protagonistes féminins ou des militantes du monde entier.

Une étape importante pour le journalisme est claire :

Briser le biais masculin dans l’actualité en intégrant plus de femmes expertes, protagonistes et sources dans la couverture médiatique du climat.

En offrant davantage de perspectives féminines, tant du Sud global que du Nord, le journalisme peut étendre sa pertinence au-delà de son public de base et, par conséquent, accroître son impact. L'analyse par AKAS des 44 articles les mieux classés sur Google News au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Allemagne, en France, au Canada et en Australie pendant la COP26 de l'année dernière a révélé que les femmes journalistes étaient plus performantes que les hommes : 39 % des signatures dans les 10 premiers articles appartenaient à des femmes, tandis que 32 % étaient attribuées à des hommes et 29 % à des organisations. Faisons en sorte de trouver des proportions plus proches de celles-là dans la couverture future du climat.


Les éléments de recherche pour cet article ont été fournis par Richard Addy & AKAS.

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