Les six indicateurs d’engagement des lecteurs qui se méfient des médias

par Shraddha Chakradhar
16 sept 2022 dans Engagement des lecteurs
Une main

Comment les personnes qui ont peu confiance dans les médias décident-elles des sources auxquelles elles font confiance ? C'est la question centrale d'un rapport publié dans le cadre du projet Trust in News du Reuters Institute for the Study of Journalism.

La réponse : les gens sont prompts à porter des jugements, ou jugements à l'emporte-pièce, comme les auteurs de l'étude les ont appelés, lorsqu'ils sont confrontés à des médias sur des supports numériques connus. Ces décisions hâtives sont fondées sur une série d'éléments, notamment les noms et marques des médias eux-mêmes et les personnes qui ont partagé les articles.

Pour explorer ce phénomène, les chercheurs ont interrogé 100 personnes dans quatre pays différents, le Brésil, l'Inde, le Royaume-Uni et les États-Unis, sur leurs habitudes en matière d'information.

Plus précisément, les auteurs ont choisi des participants étiquetés comme "généralement méfiants". Ces volontaires ont été jugés comme tels en raison de leurs réponses aux questions "Quel intérêt portez-vous, le cas échéant, à la politique ?" et "D'une manière générale, dans quelle mesure faites-vous confiance aux informations provenant de la liste suivante" comprenant 15 organes de presse de leur pays. (Aux États-Unis, cette liste comprenait ABC, NBC News, Breitbart et d'autres).

Les réponses des participants à ces questions ont été mesurées sur une échelle de cinq points, et ceux dont les scores suggéraient une confiance inférieure à la moyenne dans les médias d’actualité ainsi qu'un intérêt inférieur à la moyenne pour la politique ont été sélectionnés pour l'échantillon final. Ces personnes étaient également des utilisateurs réguliers de Facebook, WhatsApp et Google.

Avec chacun de ces participants, les chercheurs ont réalisé des entretiens vidéo au cours desquels les volontaires leur ont montré comment ils utilisaient chacune des plateformes en ligne choisies. Cela, écrivent les chercheurs, "nous a permis d'observer en temps réel ce à quoi ils prêtaient attention pour juger si les informations étaient pertinentes et dignes de confiance pour eux. Cette technique nous a permis d'aller au-delà des réponses théoriques sur l'utilisation des plateformes et de s’appuyer sur des expériences réelles, où nous pouvions également sonder davantage les participants sur des exemples spécifiques et concrets."

Voici ce qu'ils ont découvert :

Ces volontaires "généralement méfiants" avaient peu de chances de trouver des actualités sur leurs plateformes habituelles. Lorsqu'ils en voyaient, ils y étaient indifférents. Et les rares fois où ils les voyaient, les nouvelles avaient tendance à porter sur des sujets moins importants, comme le divertissement.

Lorsque ces participants tombaient sur des articles d'actualité sur Facebook, Google ou WhatsApp, ils se faisaient rapidement une idée de la crédibilité de l'information diffusée. Ces jugements ont tendance à se baser sur six éléments principaux, mis en évidence ci-dessous :

 

 

 

Les chercheurs ont constaté que les personnes qui ne font pas attention à l'actualité étaient interpellées par les titres, mais que l'effet était peut-être contraire à celui recherché par les médias. Une personne au Brésil a déclaré : "Plus le titre est accrocheur, plus je m'en méfie". Un sentiment partagé par un autre participant au Royaume-Uni, qui a ajouté : "Je pense que plus le titre est ennuyeux, plus il est digne de confiance."

Le sujet de l’article joue également un rôle dans la confiance que les volontaires accordent aux publications. Si ces personnes ont tendance à être sceptiques à l'égard de l’actualité, elles le sont particulièrement à l'égard des informations portant sur des sujets politiques. Voici le point de vue d'une personne interrogée au Royaume-Uni :

Quand vous dites "faire confiance", cela dépend. Leur faire confiance à quel sujet ? Si je regarde un reportage sur les inondations dans le sud, est-ce que je pense qu'ils en parlent correctement ? Probablement. Si je lis quelque chose sur les statistiques qui comptent pour les politiciens, est-ce que je le crois ? Non, parce que tous les médias sont détenus par des politiciens.

Ce à quoi les personnes interrogées ont prêté attention dépend de la plateforme sur laquelle elles ont vu l’information. Sur Facebook et WhatsApp, le fait de savoir qui a partagé l’article influence leur perception de l'information au même titre que l'engagement que l'article obtenait (j'aimes, commentaires, etc.). La vérification et les étiquettes sur Facebook ont également aidé. Par exemple, une personne interrogée en Inde a déclaré qu'elle faisait confiance à un média "parce que cette source a une coche bleue, ce qui signifie qu'elle est vérifiée par Facebook".

Pourtant, les volontaires, tout comme la majorité de la population, ne semblaient pas savoir comment les plateformes déterminent quelles nouvelles leur sont montrées. Ils ont remarqué que la source des informations n'était pas toujours visible. Les gens étaient également sceptiques quant à la valeur à accorder aux articles libellés comme étant du contenu sponsorisé. Un volontaire aux États-Unis, par exemple, a dit ceci à propos du contenu sponsorisé dans les recherches Google :

"Google est une entreprise privée. On peut payer Google pour être le premier résultat que vous voyez. Donc, pour certains sujets, je dois me rappeler qu'il est très facile de payer pour être dans les premiers résultats de Google."

Les participants se sont également dits préoccupés, à juste titre, par le fait que la nature sociale de ces plateformes (les amis et la famille partagent des informations, ce qui incite à les considérer comme des sources fiables) facilite la diffusion de fausses informations ou la dissimulation de pratiques douteuses.

WhatsApp, par exemple, n’est pas qu'une simple messagerie par texto ; les nouvelles y sont souvent partagées en format audio. Les utilisateurs ont également exprimé leur inquiétude à ce sujet. Un répondant brésilien a déclaré ceci à propos de l'utilisation de l'audio sur WhatsApp par son père :

 

"[Il] sait à peine lire et écrire. Il utilise uniquement des messages audio, donc de son point de vue, les nouvelles paraissent plus fiables car il ne sait pas d'où elles viennent. Il est donc beaucoup plus probable qu'il croie tout ce qu'il reçoit de n'importe qui."

Qu'est-ce que cela signifie pour les médias qui cherchent à gagner la confiance des utilisateurs ?

"Pour les organes de presse, atteindre ce segment du public peut nécessiter des efforts plus réguliers et plus soutenus en matière d'image de marque, ainsi qu'une attention plus particulière à la manière précise dont les articles sont présentés dans les espaces numériques et à l'impact que cela peut avoir sur la confiance", explique sur Twitter Amy Ross Arguedas, chercheuse postdoctorale au Reuters Institute et autrice principal de l'article.

Et comme ces volontaires découvrent les informations sur des plateformes qui ne sont pas les sites web des médias, l'étude "exhorte les plateformes à examiner plus attentivement le rôle de leurs décisions en termes de design et de leurs technologies dans l'évaluation des informations par les utilisateurs".

Lire le rapport complet ici.


Cet article a d’abord été publié par le Nieman Lab et est republié ici avec leur accord.

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