Les journalistes nigérians couvrent la communauté LGBTQ, visée par une loi répressive

10 févr 2022 dans Diversité et inclusion
Drapeau LGBTQ

Lorsque Shade Mary-Ann Olaoye a commencé à écrire en 2021 sur les personnes LGBTQ au Nigeria, elle savait que son travail "se distinguait du courant dominant". Dans un pays où 60 % de la population n'accepte pas un membre de sa famille qui est LGBTQ, documenter ces histoires "peut être une voix précurseur du changement", dit-elle. Elle n'est pas la seule à le penser.

"Il y a tant de choses à dire, tant d'expériences de vie à capturer, tant de joie, tant de douleur et tout ce qui se trouve entre les deux, que je pense que cela vaut la peine de raconter ces histoires", explique Mme Olaoye.

Son journalisme dénonce le Same Sex Marriage Prohibition Act (SSMPA) et la façon dont il dessert et déshumanise les membres de la communauté LGBTQ. Signée par l'ancien président Goodluck Jonathan en 2014, cette loi interdit le mariage entre personnes de même sexe, avec une peine allant de 10 à 14 ans de prison.

Même avant le projet de loi, l’homophobie et la discrimination à l'encontre des personnes LGBTQ était palpable au Nigeria, raconte Mme Olaoye. La législation n'a fait qu'enhardir les crimes commis contre cette communauté, tant par des civils que par des agents des forces de l’ordre.

"Lorsque le SSMPA a été adopté, il a en quelque sorte criminalisé les personnes homosexuelles vivant au Nigeria, dans le sens où nos vies ont été menacées, les gens ont été victimes de kito [ndlr : un acte de vol et d’agression commis sous couvert d’invitation à un rendez-vous galant], l’homosexualité des personnes a été révélée à leur famille contre leur gré juste dans le seul but de se venger. La police peut vous arrêter si vos habits ne correspondent pas à la norme. Cela a causé beaucoup de mal et étouffe notre expression et notre développement personnels", déplore Mme Olaoye.

Parfois, le travail de Mme Olaoye est à la limite du journalisme et de l'activisme. "Vous ne pouvez pas être journaliste sans avoir à défendre ouvertement la communauté LGBTQ ou à vous exprimer contre l'homophobie dans des espaces en ligne et hors ligne. En dehors du journalisme, de ce travail que vous avez écrit, il y a toujours cette partie de plaidoyer", explique-t-elle, ajoutant qu'elle pense que le silence des journalistes sur la question ouvre la voie à l'homophobie.

C'est pourquoi Mme Olaoye met en avant le travail des journalistes LGBTQ dans le pays. "C'est ce à quoi vous voulez vous référez lorsque vous voulez mettre en avant des statistiques et des expériences, et documenter ce qui se passe. C'est comme une archive", dit-elle.

Les collègues de Mme Olaoye font également pression en faveur du changement. Pour Mariam Sule, journaliste de 26 ans et responsable éditoriale de Zikoko HER, documenter la vie quotidienne des personnes LGBTQ vivant au Nigeria est une cause personnelle. Elle dit suivre les préceptes de l'écrivaine Audre Lorde, à savoir "faire le travail là où vous vous ancrez."

"J'écris sur les personnes queer parce que je suis moi-même queer, et je veux que ce soit ma contribution à la promotion de l'égalité des genres dans les médias. Il s'agit de rechercher un équilibre en matière de genre et d'orientation sexuelle, au-delà de toutes les frontières ", précise-t-elle.

En tant que journaliste d'avant-garde, son travail reçoit sa part de retours négatifs, tant sur Internet qu'hors ligne, et surtout de venant de personnes aux opinions anti-LGBTQ. Cette exposition constante à l'homophobie est un prix personnel qu'elle est prête à payer.

"Je suis en train de me désensibiliser à ce sujet. Je ne me sens plus ébranlée par l’homophobie, ce qui n'est pas une bonne chose, car elle me poursuit dans d'autres aspects de ma vie. Mais ce coût, je suis prête à le supporter parce que je veux voir plus de personnes queer actives dans tous les domaines", déclare Mme Sule.

Ayant travaillé en tant qu'animatrice communautaire, elle dit que de nombreuses personnes LGBTQ ne sont pas nécessairement conscientes de la manière dont l'interdiction du mariage homosexuel les affecte. "Cela ne signifie pas seulement la violence, la discrimination et la ségrégation envers les personnes queer, mais que s'ils peuvent faire cela aux personnes queer au Nigeria, alors ils peuvent le faire à tout le monde. J'espère que les gens comprendront ; cela ne concerne pas seulement les personnes queer, mais tous les Nigérians."

L'objectif premier des travaux de Mme Sule est d’impulser le changement et d'établir un lien avec celles et ceux sur lesquels elle écrit. Au plus fort des manifestations #EndSARS au Nigeria en 2020, elle a raconté sur la façon dont la communauté LGBTQ joue un rôle important dans le mouvement.  Les articles sur des questions comme celle-ci ont aidé les gens à devenir plus ouverts envers les personnes LGBTQ, remarque-t-elle.

"C'est ainsi que les gens continuent à apprendre du travail que moi et d'autres journalistes couvrant les questions queers faisons", conclut Mme Sule. "Ils ne connaissent peut-être pas notre réalité, mais lorsqu'ils lisent nos articles, ils apprennent quelque chose de nouveau."


Photo de Tim Bieler sur Unsplash.